Jeunesse européenne : une contestation culturelle mais sans issue

Une certaine jeunesse risque de devenir insurrectionnelle. Des événements significatifs mais d’amplitude limitée se sont produits tout récemment en Italie et en Angleterre. En ce 13 décembre où les deux assemblées se sont réunies pour voter la confiance envers Berlusconi, des affrontements se sont produits entre des jeunes et la police. Avec une violence inédite. Les observateurs de la société italienne disent qu’il faut remonter à trente ans pour voir un tel déchaînement dans les rues. La situation est tendue mais il ne faut pas accorder à ces émeutes le caractère affirmé d’une tendance insurrectionnelle. Car bien souvent, des groupuscules extrémistes font monter la mayonnaise médiatique qui sert alors quelques images impressionnantes. La révolte d’une partie de la jeunesse ne doit pas occulter l’apathie des citoyens italiens et l’atonie de la gauche tétanisée par l’arrogance festive de la droite sans proposer d’alternative séduisante et crédible. On lira le livre de Raphaëlle Simone, qui fait débat actuellement dans les cercles réfléchissant à gauche. Quant à ces violences, elles ne doivent pas faire oublier que le différent entre le pouvoir et les groupuscules ne date pas d’hier et que lors du sommet de Gênes en 2001, les policiers assurant la sécurité du G-8 n’ont pas fait dans le détail.
Italie, Irlande, Grèce, Angleterre, tous ces pays voient se dessiner une marginalisation de la jeunesse qui, avec des moyens divers et des nuances culturelles spécifiques à chaque pays, se radicalise et conteste les politiques de rigueur conduites dans ces pays. Il ne faut pas sous-estimer l’absence de cohésion idéologique dans ces mouvements réunissant des groupuscules violents aux idées extrémistes et des jeunes lycéens et étudiants à la démarche plus critique. Ainsi, le 30 novembre 2010, Rome fut envahi de hordes d’étudiants protégés derrière des boucliers de mousse affichant des titres de livres classiques signés Boccace, Morante, Miller, Cervantès, Melville, Beauvoir… et ce qui ne surprendra pas, Deleuze et Guattari, auteurs ayant exercé une influence souterraine depuis les révoltes de Bologne en 1977. Ville où ont été décidés récemment des accords universitaires européens très controversés. Maurizio Ferraris de la Repubblica met l’accent sur la nature culturelle et disons traditionnelle de cette protestation. Ni pop music, ni bande dessinée, ni culture télévisée mais tout ce qui incarne le milieu de l’Université, comme si aux yeux de cette jeunesse l’instruction et la culture revêtaient un côté sacré par opposition au profane représenté par une culture pop diffusée pendant des décennies de télévision spectacle dont le promoteur fut l’actuel chef de gouvernement. Les étudiants protestent contre cette sous culture qui abrutit et sert le marché plus que l’humain, dans un contexte où les professeurs et autres savants doutent de plus en plus en s’interrogeant sur leur mission dans un milieu sociopolitique gangrené par le populisme et la facilité festive. Comme le dit Ferraris, on sent une exigence de faire « passé » pour contrer le présent. Une attitude qui n’aurait pas déplu à nos anti-modernes comme Muray.
En Angleterre on a assisté également à une fronde des étudiants assez inhabituelle par son ampleur, avec des manifestations, des sit-in, des assemblées générales, des discussions et les lycéens qui ne sont pas en reste, montrant des aptitudes à s’organiser qu’on croirait héritées de la jeunesse française. Le motif de la colère est financier. Augmentation des frais d’inscription, coupes budgétaires dans les bourses d’étude. Même les enfants des classes un peu aisées rejoignent par solidarité les jeunes des classes moyennes anglaises pour s’opposer à ces restrictions budgétaires. Là aussi, le sacré refait surface à travers le droit aux études. Difficile d’interpréter le mouvement dont les deux thèmes s’amalgament, le côté symbolique de l’éducation et le volet économique faisant que les études sont un moyen de s’insérer et d’échapper à la précarité, que ce soit à Londres ou à Paris. La fronde n’a rien des années 60 marquée par une jeunesse en quête d’expériences nouvelles, pénétrée d’espérance en un avenir inédit et prometteur. La jeunesse de 2010 est en colère parce qu’elle sent l’avenir se dérober sous ses pieds.
Ces mouvements traduisent un malaise de la jeunesse européenne mais ce n’est pas pour autant que l’Histoire en sera changée car l’inertie du productivisme et du consumérisme balaye toute velléité de tracer et emprunter une voie. La contestation est incohérente, sans unité, mais elle est avérée. La défense de la culture marque une singularité d’époque. Dans les années 1900, la jeunesse allemande prônait le retour à la nature, le culte du corps, de l’existence frugale et rude, de la fraternité virile, c’était la mouvance volkisch au caractère bien trempé pour ne pas dire douteux, axé sur la race et la biologie. En 2010, ce n’est plus la biologie et la nature mais le culturel qui est défendu contre ce qui reste en fait le même adversaire, l’Etat rationnel, la technique, la marchandise. Sauf que parmi les étudiants contestataires, nombreux sont ceux qui n’ont rien contre la vie moderne mais redoutent tout simplement de rester sur le quai et regarder le train partir. Les adeptes du volkisch voulaient au contraire faire dérailler le train. Comme d’ailleurs quelques anars gauchistes en Grèce et même dans les contrées reculées des Etats-Unis où Sarah Palin fait des émules mais à droite. Autant ouvrir les yeux et comprendre que cette contestation de la jeunesse ne prépare pas un nouveau monde. Désolé de décevoir et de faire tomber les illusions. L’ensorcellement de la bête marchande a pour l’instant la main mise sur les populations, avec l’appui des propagandes et des Etats.
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