Johnny Hallyday, le retour de l’enfant prodige : veau gras et célébration
De sa première télévision au côté de Line Renaud à l’âge de 17 ans, effacé et timide, aux concerts-festin gargantuesques devant un public composé de plusieurs dizaines de milliers de fans dans les années 70 jusqu’aux années 2000…
Nietzschéen sans le soupçonner pour n’avoir jamais lu Nietzsche, dans son parcours en forme de « Deviens qui tu es ! », Johnny Hallyday aura aussi été, très certainement, un modèle dans l’intimité de son public - modèle de volonté et de persévérance -, deux générations durant.
D’une énergie exceptionnelle en intensité et sur la durée, démiurge, Johnny a conquis la France comme s’il s’agissait de conquérir le monde : avec démesure et dans la surenchère : toujours plus de lumière, toujours plus de musiciens, plus de voix, plus de places à prendre d’assaut.
Nous qui étions proches d’un Ferré, d’un Bernard Lavillers dans ces mêmes années 70, jamais avares de mots lorsqu’il s’agissait de conspuer une chanson de variété sans queue ni tête, nous tous avons fini par nous y faire (1) : c’est sûr, Johnny Halliday ne partirait pas ; il faudra faire avec ; il sera là pour longtemps et aujourd’hui pour plus longtemps encore : l’éternité ?
Il faut le dire que les publics de tous ces artistes des années 70 ne se mélangeaient pas ; très clivées jusque dans la chanson dite populaire, à un point que l’on imagine pas aujourd’hui ces années 70 ! de Lavilliers à Claude François, de Maxime le Forestier à… Johnny Halliday justement, tous nous nous ignorions superbement. D’un côté l’ouvrier déjà à la tâche au sortir de son adolescence, en majorité mâle – les fans de Johnny ; de l’autre les traînards des lycées et des facs qui souhaitaient changer le monde avant même d’y être entrés de plain-pied.
Authentique artiste populaire aux fans à la dévotion touchante d’une fidélité à toute épreuve, héros auprès d’un public qui ne s’y est pas trompé, il était leur "winner" à eux tous ; eux qui se situaient que trop rarement du côté des vainqueurs.
Artiste de variété le plus moqué, son public un temps méprisé, avant la réconciliation des années 80 puisque le jeu n’en valait plus la chandelle - avec la trahison du PS, il n’était plus nécessaire de se penser « à gauche » contre une droite et des beaufs -, les sarcasmes ne l’atteignaient pas ; du moins, il s’est bien gardé de le montrer ; caricaturé par tous ceux qui en ont fait un commerce (2), jamais capricieux, ni pourri-gâté, si Johnny Halliday a fait du cinéma, jamais il n’a « fait sa star ».
Finalement, c’est le public de Johnny qui s’est imposé à nous car nous aurions été mal venus de continuer de le bouder ou de le ridiculiser plus longtemps : à gauche on pouvait encore « snober » l’artiste mais pas son public ; pas ce public-là en tout cas : classe ouvrière oblige ; c’était donc devenu un devoir que de reconnaître le bien-fondé, la justesse de leur engouement et sa nécessité à la fois émotionnelle et psychique : le partage, l’appropriation, l’intériorisation et la fierté de soi retrouvée dans le soutien à cet artiste dont ils entretenaient la célébrité car c’est bel et bien le public de Johnny qui a fait Johnny Halliday et non le matraquage radiophonique et télévisuelle des Maisons de disques qui l’ont produit et distribué.
Si Eddy Mitchell a épousé le Rock n’roll du bout des lèvres, avec parcimonie, précautionneux – à chaque jour suffit sa peine de chanter et de vivre ; son public plus féminin n’avait aucun goût pour l’hybris -, Johnny choisira très vite de prendre le Rock n'roll au mot, à la lettre ; dionysiaque et iconique, acteur majeur de la scène Rock à la sauce française, il y investira tout jusqu’à y laisser sa santé.
Même s’il n’a ni écrit ni composé aucune des chansons de son répertoire, c’est bien lui, en les interprétant, qui leur donnera la vie ; et quelle vie ! A chaque naissance, le nouveau-né venait au monde avec tapage ; il était alors tentant de confondre les grandes gueules avec les grandes voix,
Ce Mick Jagger français privé des Rolling Stone roulera sa bosse de scène en scène, années après années, près de 60. On peut soupçonner que Johnny n’a rien calculé ; d’autres s’en sont très certainement chargés ; lui fonçait tout droit, craignant ni le ridicule ni le faux-pas. Les amitiés qui l’entouraient n’étaient pas toujours désintéressées ; faut dire qu’on le disait généreux : il ne savait pas dire non.
Sa mort, la mort de ce gladiateur du rock, ce Spartacus de la scène, c’est aussi un retour : le retour de l’enfant prodige. Nul doute que son public saura tuer le veau gras car un Johnny Halliday, ça ne se commémore pas, ça se célèbre porté en triomphe. Aussi, rendons-leur à tous leur idole ; donnons à son public la primeur d’une célébration qui n’aura rien à devoir à personne.
1 - Un peu comme avec Jean d’Ormesson qui vient de nous quitter en ce qui concerne la littérature : d'Ormesson n'avait pas grand-chose à dire mais il le disait bien . ;ce qui fait qu'on a tous fini par croire qu'il avait quelque chose à dire : en cela, c'était bien un homme de son temps. Et tous s’y sont laissés prendre.
2 - La dernière "Une" de Charlie Hebdo aurait été drôle si Johnny avait pu triompher de cette maladie qui l’a emporté ; parti quelques jours après sa publication, la blague tombe à l’eau ; mais c’est les risques du métier de caricaturiste.
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