José Bové : la désobéissance civique face aux urnes
La bataille finale, le pugilat fratricide entre les quatre candidats de la gauche de la Gauche, a commencé. Et le sang coule, jugez plutôt : en habitué du coup de poing, José Bové essaie désespérément de piquer sa mère, pardon, ses maires à Besancenot, le facteur sympa. Argument principal du moustachu : la dérive "droitière et libérale" (sic) de la LCR ! Frottez-vous les mirettes et relisez. Vous avez bien lu.
Faisons crédit à Bové que cette déclaration probablement excessive soit plus le fait du feu de l’action que d’une conviction réelle, mais on pouvait aisément deviner que, à quatre sur le même petit bout de viande, tout le monde ne trouverait pas à grailler ! Une certaine animosité était donc prévisible.
Curieux personnage en vérité que ce Joseph de son vrai nom, paysan et altermondialiste de son état qui a fait du mépris de la loi et de la médiatisation de ses spectaculaires arrestations ses premiers vecteurs de communication.
C’est d’ailleurs certainement ce qui lui vaut de ne pas être embastillé à cette heure, après la confirmation en cassation de sa condamnation à quelques nouvelles semaines de prison pour la destruction de plants de maïs transgénique. Le respect de l’institution républicaine que représente une élection au suffrage universel dont le candidat Bové est de facto le représentant est peut-être la cause de la nonchalance du juge d’application des peines, mais je suis certain que l’envie de ne pas entrer dans un jeu politique dont le martyr Bové ne peut que sortir gagnant n’y est pas étrangère.
Ce fils d’un directeur régional de l’INRA (rien moins !) et d’une prof de sciences naturelles a fait mentir toute hérédité dans la matière en se spécialisant dans l’arrachage de plants transgéniques et le pillage de laboratoires. Il a en ligne de mire les multinationales voyous de l’agroalimentaire, leur commerce effréné de malbouffe et les atrocités biologiques qu’elles nous préparent pour le futur selon lui, pour qui ces monstres qui commettent des crimes bien plus graves que les siens ne subissent pas l’ombre d’une sanction pour leur non-respect de la personne humaine.
Remarquez que l’extrémisme se nourrit toujours d’une part de vérité, pour ténue qu’elle soit. Avez-vous entendu parler de la graine Terminator ? Et pourtant elle aurait changé la face du monde et en pas bien, jugez plutôt : en 2003, la firme américaine Monsanto a tenté de commercialiser une graine voyoue répondant au nom sans équivoque de "Terminator".
Terminator est stérile, ce qui signifie qu’après l’avoir plantée vous pourrez faire une récolte mais inutile de remettre en terre la graine issue de la plante. Terminated : il ne poussera rien, puisqu’on vous dit qu’elle est génétiquement stérile. En conséquence, pour poursuivre vos paysannes activités, il vous faudra retourner acheter des graines à... Monsanto ! Gagné.
Quelques organisations internationales et les pays émergents ont vigoureusement protesté, Monsanto s’est retiré du derrière des paysans en s’excusant et a promis qu’on ne la reprendrait plus à besogner les mouches. Jusqu’à la prochaine fois.
C’est donc fort de ce type d’exemples que José généralise allègrement. Fils de chercheur refusant de chercher, il réfute ce droit aux laboratoires et balaie d’un coup de serpe leurs arguments de progrès biotechnologiques. La menace la plus grande selon lui est le silence qui nous amènerait, sans coup férir, droit sous le joug de ces exploiteurs. Il faut donc faire du bruit.
La première erreur de José est cette idée que la gestion de la mondialisation est une affaire sérieuse de Gauche, alors qu’il s’agit d’une affaire sérieuse tout court. Il devrait s’inspirer de Nicolas Hulot qui, ni homme d’Etat ni de parti, est parvenu pourtant à contraindre les principaux candidats à venir demander sa bénédiction, en échange de quelques promesses signées sous l’oeil des citoyens. Elles ne seront pas toutes tenues mais le calcul est très bon : celles qui le seront constitueront un socle, une véritable avancée écologique d’autant plus prospère qu’elle sera de facto imperméable à l’opposition et à l’alternance politique puisque tous s’y sont engagés. Le succès de Nicolas Hulot vient incontestablement du fait qu’il a fait de ses idées un lieu commun car les idées valent plus que le parti qui les porte. Qu’attendent donc les Verts pour prendre des notes ?
Penser que seul le peuple de l’extrême gauche souffre de la perte des emplois et du transfert des richesses vers les pays émergents est une erreur ; transformer le besoin commun de l’humanité de rester maître de son destin en une idéologie politique est une hérésie ; croire que les paysans du monde entier sont des antilibéraux est une sottise.
Lorsque les agriculteurs brésiliens, coréens ou africains manifestent à l’OMC contre les subventions accordées à leurs homologues européens ou américains, ils ont pour but que les conditions d’une concurrence loyale soient rétablies, afin qu’ils puissent emporter des marchés sur lesquels ils se savent structurellement les plus forts. Et c’est parfaitement légitime. Refuser que les Etats interviennent dans nos petites affaires de commerce de fruits et légumes, c’est pas du libéralisme, ça ?
Dire que la violence est l’ennemie des causes qu’elle prétend servir est une niaiserie, tant tout le monde s’en fout depuis longtemps. Mais il demeure que les méthodes musclées de Bové sont sa deuxième et principale erreur. D’abord parce qu’elle indiquent clairement les limites de son argumentation : si les laboratoires qu’il attaque sont illégaux, s’en remettre à la justice est son droit de citoyen. Les juges qui le condamnent savent appliquer la loi et ont du sens, mais cela ne lui vient pas l’esprit.
Ensuite, cela donne une idée de sa conception de la démocratie : un homme seul qui aussitôt qu’il se sent entouré de quelques ouailles croit qu’il a affaire au peuple tout entier et agit en conséquence. C’est donc sûr de son mandat qu’il met à sac, pille, arrache et renverse. Dans une société ou, malgré nos efforts, les mots démocratie et liberté restent fragiles, il prône la désobéissance civique et le droit pour chacun d’agir brutalement lorsqu’il l’estime nécessaire.
Fort de ses certitudes, Joseph Bové s’avance au devant du peuple - et non par derrière comme d’aucuns - avec l’ambition de compter dans ce premier tour de présidentielle, ceux qui croient à ses idées. Mais la façon dont il a choisi de les incarner et de les réduire risque fort de lui faire plutôt connaître seulement le nombre de ceux qui croient en lui.
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