Journaliste français aux J.O. d’hiver, mode d’emploi
Couvrir pour France Télévisions un évènement aussi médiatisé que les Jeux Olympiques de Sotchi ne s’improvise pas. Il faut, pour justifier cette ambition, être doté de qualités spécifiques que le premier quidam venu ne possède évidemment pas. Petit tour d’horizon pour ceux (et celles) qui seraient tenté(e)s par l’expérience en vue des prochains J.O. de Pyeonchang en Corée du Sud...
En premier lieu, il convient d’intégrer la règle d’or que doit observer tout journaliste ou consultant envoyé par France Télévisions commenter cet évènement planétaire : faire preuve d’un chauvinisme exacerbé. Primordial, le chauvinisme ! Un chauvinisme qui ne doit en aucun cas être saupoudré et timoré, mais omniprésent et assumé – le cas échéant jusqu’à la nausée – dans les propos tenus à l’antenne.
Moyennant quoi, les athlètes français vainqueurs n’ont dû qu’à leur seul talent les médailles qu’ils ont décrochées. Vaincus, ces mêmes athlètes ont, en revanche, dû faire face, selon la nature des épreuves, à des conditions météorologiques défavorables, au désastreux état de la neige, à un problème de santé, à des erreurs de fartage de l’équipe technique, à une injuste élimination sur des incidents de course.
A contrario, les athlètes étrangers vainqueurs ont dû leurs médailles à des conditions météo qui les favorisaient, à un état de la neige qui les avantageait, à des incidents de course qui ont prématurément éliminé leurs adversaires français en leur ouvrant une voie royale vers le podium olympique.
Les commentateurs du patinage se doivent évidemment d’être sexistes, n’hésitant pas à émailler leurs propos de réflexions sur les patineuses, du type « Je connais un anaconda qui serait bien allé embêter cette Cléopâtre canadienne ! » ou « Elle a beaucoup de charme, Valentina, un petit peu comme Monica Bellucci. Peut-être un peu moins de poitrine, mais bon… » Autre obligation : la plaisanterie de bon goût, tel ce « bougre d’An » prononcé à Sotchi à l’égard d’un short-tracker russe d’origine coréenne.
Côté biathlon, ne surtout pas oublier d’appeler de ses vœux, et avec insistance, les échecs au tir des adversaires des athlètes français. Ne pas hésiter à friser l’indécence dans le genre.
Dans les épreuves nordiques – ski de fond, biathlon et combiné nordique –, tutoyer systématiquement les représentants français comme s’il s’agissait de gamins interrogés après leur prestation à la kermesse de l’école, et cela même si vous ne les aviez jamais rencontrés auparavant. Pour peu que ces athlètes aient été battus, débrouillez-vous en outre pour leur faire dire qu’ils ont été victimes de l’une des conditions d’échec évoquées plus haut.
Cette mise en avant de l’échec lié à une cause extérieure aux qualités intrinsèques du skieur doit également être recherchée en ski alpin ; le commentateur digne de ce nom doit pousser l’athlète, malgré la modestie naturelle de celui-ci, à lui faire dire qu’il a été victime des circonstances et non de lui-même.
Toujours en ski alpin, ne pas omettre de placer dans son commentaire un « eh bien » à peu près tous les dix mots, genre « Notre 2e représentant, eh bien, s’est élancé. Souhaitons lui de faire mieux, eh bien, que le Suédois actuellement en tête de cette compétition. Son 1er temps intermédiaire s’affiche, eh bien, avec un retard de 29/100e seulement, voilà qui devrait lui permettre, eh bien, de venir taquiner le Suédois... »
Cela dit, tous les commentateurs ne sont pas sur les sites de compétition, il en est également en studio qui coordonnent la programmation. Placé dans ce rôle, le journaliste doit impérativement arborer un sourire niais censé sans doute le mettre au niveau du téléspectateur lambda. Paradoxalement, il doit aussi lui servir régulièrement des citations littéraires destinées à montrer à ce même téléspectateur que le service des sports n’est pas constitué de triples buses*.
Chargé de répartir l’antenne entre les différents sites, il va de soi que ce « professionnel » expérimenté doit éviter de polluer l’antenne avec des directs sur les finales de relais en ski de fond lorsque les Français en sont absents pour privilégier des débriefings en studio ou des rediffusions d’images de la veille, même si elles ont déjà été vues à plusieurs reprises.
Il appartient également à cet homme de studio de tenir la comptabilité des médailles et de pousser de longs, profonds et amples cocoricos lorsque la France décroche une nouvelle médaille. Et si d’aventure le record du nombre de médailles est battu, cela doit être clamé avec force enthousiasme, mais en occultant soigneusement le fait que cette performance est très relative, eu égard à l’augmentation constante du nombre des épreuves** au fil du temps.
En résumé, tous ceux et celles qui pourraient être tentés par une expérience journalistique aux J.O. d’hiver pour le compte de France Télévisions doivent impérativement travailler leur potentiel franchouillard et leur capital de beauferie s’ils ne possèdent pas naturellement ces qualités comme la majeure partie de l’équipe qui a couvert Sotchi. Un rude challenge !
* NDLR : la « triple buse » n’a rien à voir avec une figure de patinage artistique
** Les commentateurs de France Télévisions se sont bien gardés à Sotchi de souligner que, dans l’histoire des J.O. d’hiver, la performance française ne vient qu’au 6e rang de l’histoire de ces jeux d’hiver avec 5,10 % des médailles distribuées, loin derrière Grenoble 1968 avec 8,57 %.(cf. article de Félicien Arcuel).
70 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON