Journalistes : questions de déontologie
Une journaliste TV dans une campagne de pub et un Premier ministre donnant une leçon de déontologie aux journalistes : ces deux faits récents mettent en lumière l’approche trop floue de la déontologie et du rôle du journaliste, de même que la confusion grandissante entre information et communication.
Le premier fait révélateur est quasiment passé inaperçu, sauf au sein de LCI. Et pour cause, puisqu’il implique une de ses journalistes vedettes, très exposée ces derniers jours après avoir été annoncée un peu trop rapidement par la presse comme la nouvelle « joker » de Claire Chazal au 20 h de TF1 : Mélissa Theuriau. La jeune présentatrice de la matinale de La Chaîne Info, qui vient de refuser contre toute attente de succéder à Laurence Ferrari, partie sur Canal+, pose depuis peu dans une publicité pour une grande marque de lunettes (voir : www.vuarnet.com, rubrique Ambassadeurs). Un choix qui écorne indubitablement sa réputation de « bonne professionnelle » dont les patrons de LCI et TF1 veulent nous convaincre... Car tout journaliste doté d’un minimum de conscience professionnelle sait qu’il existe une ligne à ne pas franchir entre l’information et la communication/marketing, pour éviter tout conflit d’intérêt et préserver son indépendance. Interdit clairement énoncé dans la Charte des devoirs professionnels des journalistes français (*), que Mélissa Theuriau a bafoué avec, de toute évidence, l’accord de sa hiérarchie. On ne pouvait trouver meilleure illustration d’un manque de déontologie favorisant un mélange des genres croissant -et néfaste- entre information et communication. Comment s’étonner de voir la crédibilité des journalistes diminuer auprès des téléspectateurs, lorsqu’ils passent sans sourciller de la présentation d’un JT à une affiche de pub ? Et comment ne pas s’interroger aussi sur le rôle du journaliste TV ? Après l’épisode Theuriau, on a du mal à croire une Anne-Sophie Lapix quand elle clame, en couverture d’un grand magazine télé, que les présentatrices de JT ne sont « pas des mannequins ». Poser pour une campagne de publicité relève pourtant, semble-t-il, plus du mannequinat que de la recherche et de la vérification de l’information.
Le deuxième fait révélateur a, lui, connu une forte médiatisation. Lors de sa dernière conférence de presse mensuelle, le 4 mai, le Premier ministre Dominique de Villepin a dû répondre à une batterie de questions, légitimes, sur ses déclarations contradictoires dans l’affaire Clearstream. Cette fois, les journalistes étaient dans leur rôle, celui de contre-pouvoir. Qu’a choisi de faire le PM pour se défendre ? Les attaquer sur leur déontologie. "Quand on est journaliste, on a aussi un code de déontologie à appliquer, on a aussi des scrupules à avoir. C’est tellement facile d’utiliser un mot pour un autre, d’insinuer. Les mots ont un sens", a-t-il déclaré. Etrange attitude que celle d’un homme politique s’improvisant opportunément professeur de journalisme pour se sortir d’un mauvais pas... Puisque le Premier ministre a cru bon de se fendre d’une leçon aux journalistes, donnons-nous lui à notre tour une leçon de démocratie. Rappelons-lui que, dans ce type de système politique, c’est aux gouvernants de rendre des comptes à la presse -et par extension au peuple- et non l’inverse ! Au regard de ce principe démocratique fondamental,
la « leçon » de Dominique de Villepin paraît parfaitement incongrue. Elle traduit, en fait, la conception bien particulière qu’ont nos élites du rôle des journalistes. Le pouvoir a l’habitude non pas de les respecter pour ce qu’ils doivent être -des médias indépendants et responsables, aptes à les critiquer- mais de les prendre pour ce qu’il aimerait qu’ils fussent -des instruments de communication relayant docilement ses messages. Au point de se sentir autorisé à leur dire comment faire leur métier... Là encore, la confusion règne entre information et communication. Quant à la question de la déontologie, ce n’est pas au Premier ministre de la soulever pour la tourner à son avantage, mais aux journalistes eux- mêmes.
Ces deux faits révélateurs nous rappellent en effet que seul le respect effectif de principes déontologiques pourra mettre la crédibilité et l’indépendance des journalistes à l’abri de leurs dérives internes et des pressions externes. Ces principes ont été fixés dans une charte, datant de 1918, dont on sait qu’elle est peu appliquée en pratique et qui paraît obsolète face à l’offensive du monde de la communication sur celui de l’information. Une rénovation s’impose. Vieux débat qui agite la profession depuis bien longtemps, et qui, malheureusement, tarde chaque jour un peu plus à trouver son issue.
(*) Un journaliste digne de ce nom ne signe pas de son nom des articles de réclame commerciale ou financière - Charte des devoirs professionnels des journalistes de 1918, revue en 1939.
14 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON