Justice : la psychiatrisation du prévenu
La délinquance banalisée au point de faire partie de notre quotidien reste intimement liée à notre jugement. Là où le citoyen voit l'auteur comme responsable d'un comportement délictuel, donc coupable, la justice peut y voir une part de responsabilité de la victime. Pour le sociologue, le responsable c'est la société, le philosophe de se poser la question qu'est ce qui est bien, qu'est ce qui est mal ? La perception du délit est donc considérée à travers la culture, l'idéologie et les mœurs.

L'expertise psychiatrique ne repose pas sur une science, il s'agit tout au plus d'une méthode (mise en œuvre de procédés rationnels) visant à étayer une interprétation purement contingente à une doctrine dont il en existe des dizaines, freudiens, lacaniens, etc. L'expert s'appuie sur « des observations et des faits portés à sa connaissance et des impressions subjectives issues de la représentation d'une réalité passée » (reconstruction). L'expert ne doute ni de la méthode ni de soi, d'où une incapacité à rectifier les erreurs de jugement ou de la méthode. Il est convaincu que ce qu'il dit est la vérité jusqu'à faire fi de tout sens critique.
Le 12 novembre 2008, un patient du centre hospitalier spécialisé Alpes Isère de Saint-Egrève s’en était échappé. Il avait pris le bus jusqu’à Grenoble avant d’acheter un couteau dans une quincaillerie et de poignarder mortellement Luc Meunier croisé sur le trottoir. Il fut reproché au psychiatre d’avoir autorisé le patient à sortir dans le jardin de son pavillon sans l’avoir examiné ni avoir mis en œuvre les mesures nécessaires pour empêcher le patient déjà connu pour avoir tenté de poignarder, étrangler du personnel médical et des inconnus à plusieurs reprises et de fuguer. Le psychiatre reconnu coupable a été condamné à 18 mois d'emprisonnement avec sursis.
Au siècle dernier, on savait que certains désordres mentaux pouvaient modifier le comportement d'un individu, perturber son adaptation sociale, réduire son discernement, donc sa responsabilité. Au début de notre siècle, la justice va évoluer pour envisager non plus l'infraction isolée, mais aussi prendre en compte la personnalité du criminel. La société va desormais différencier le besoin de se préserver d'avec les conditions de réadaptation du délinquant. Cela va aboutir à la psychiatrie médico-légale et la psychopathologie criminelle.
L'expert psychiatre doit répondre aux questions suivantes :
L'individu recèle t-il des anomalies mentales ou psychiques ?
L'infraction reprochée est-elle en relation avec de telles anomalies ?
Le sujet présente-t-il un état dangereux ?
Le sujet est il accessible à une sanction pénale ?
Le sujet est-il curable ou ré-adaptable ?
L'individu doit-il être considéré comme ayant agi en état de démence au moment des faits qui lui sont reprochés ?
Selon le docteur Phillipe Tersand, psychiatre des hôpitaux dans la région parisienne, qui avait été l'ami de Guy Georges et n'avait pourtant rien remarqué dans son comportement, écrit : « A propos des points 1 et 2 : le sujet peut ne plus présenter les mêmes troubles qu'au moment des faits. Il peut tout aussi en présenter de nouveau qui ne soient pas en rapport avec les faits. (...) Un délire peut n'être que transitoire et non permanent. Point 3 : il s'agit de se projeter dans l'avenir ; Comment savoir ? Point 4 : Encore faudrait-il que les vertus de la sanction aient été démontrées. Point 5 : pour cela il faudrait apprécier la nature et la valeur du traitement. Cela s'apparente aux pronostics. S'il y a bien un mot récurrent, c'est bien celui de psychopathe, à propos duquel le docteur Tersand écrit : « ils traduisent (les psychiatres) leurs embarras en les qualifiant de psychopathes, qui n'est ni classé dans les névroses ou psychoses. Il s'agit d'un paradigme qui englobe les distorsions de la personnalité et anomalies de la relation à autrui. » Autrement dit, un original pourrait être assimilé à un psychopathe...
Le système pénal est organisé autour du criminel, de sa dangerosité & de sa réinsertion. L'éducation n'est pas sans jouer un rôle dans l'intégration sociale. Pour Hirschi, les indicateurs d'une bonne intégration sont : attachement à autrui, engagement dans un projet professionnel, activité ne laissant pas de place à l'oisiveté et conviction de la nécessité du respect d'autrui. Pour Matza, Frechette et Leblanc, la délinquance résulte d'un relâchement des liens sociaux. La personnalité du délinquant reste un ensemble complexe dans lequel les caractéristiques innées et acquises ne sont pas anodines. Citons : les fréquentations, l'éducation, l'hérédité, le tempérament, les aspirations, etc. Chaque individu a une personnalité qui le distingue des autres, mais si certains traits de la personnalité présentent une gène pour la société, on parle alors de personnalité pathologique. Celle-ci peut déboucher sur un comportement dangereux : CBV, homicide, sévices à enfant, terrorisme, attaque à mains armées, etc.
La personnalité psycho-pathologique peut s'expliquer, parfois, par l'attitude parentale et le vécu du sujet : enfance perturbée, fugue, colère, indiscipline, éléments qui ne font que s'accroître à l'adolescence et qui débouchent sur l'échec scolaire, la marginalisation, tentative de suicide, toxicomanie. Adulescent, l'instabilité et le rejet des valeurs persistent, la personnalité ne tarde pas à évoluer vers l'égocentrisme et une instabilité affective (liaisons passagères, ruptures, abandon de famille). L'individu ne parvient pas à faire face à ses responsabilités. Il est victime d'un mal être et part à la recherche de nouvelles expériences ou sensations pour se prouver qu'il existe. Ce mal-être peut se traduire par des explosions de colère démesurées. Les conséquences de son geste lui échappent totalement jusqu'à en ignorer tous les affects induits : honte, remords, culpabilité. Ce type d'individu n'apprend ni de ses expériences ni de ses erreurs passées. Envahi d'un sentiment de supériorité il est hermétique à la morale et les récompenses et punitions ne laissent chez lui aucune empreinte.
Les experts ne sont pas tous d'accord sur l'origine de la maladie mentale, elle pour les uns liée à un traumatisme affectif, d'autres incriminent un dérèglement biochimique. Quoi qu'il en soit, l'expert se doit d'établir le dossier de personnalité (art 16 CPP) qui doit comporter : l'enquête de personnalité, l'examen médical, l'examen médico-psychologique. L'homme de l'art va tenter :
1° D'évaluer les dispositions de la personnalité : l'intelligence, l'affectivité, la sociabilité, et en apprécier leur dimension pathologique éventuelle.
2° De faire ressortir les facteurs : biologiques, familiaux et sociaux ayant pu influencer sur le développement de sa personnalité.
3° Préciser si des dispositions de la personnalité ou des anomalies mentales ont pu intervenir dans la commission de l'infraction.
La réponse est complexe. Un traumatisme crânien peut être à l'origine d'un syndrome post commotionnel avec des troubles névrotiques : céphalée, vertiges, troubles visuels, fatigabilité sans origine anatomique, voire une sur-simulation plus ou moins consciente ou en relation avec une conduite psychopathologique antérieure. La perversion peut conduire à un dédoublement de la personnalité avec deux comportements bien distincts et parfois contradictoires. Bien qu'un pervers puisse ressentir une réelle culpabilité, sa perversion est une succession d'actes répétitifs desquels sont absents tous scrupules ou honte. Les substances toxiques : alcool, psychotropes, hypnotiques, tranquillisants, stupéfiants peuvent induire eux aussi une répercussion sur la personnalité. L'auteur du drame de Newton était sous Fanapt, un antipsychotique dont les effets secondaires catastrophiques étaient pourtant bien connus ! La liste est longue : médicaments hormonaux, anti-inflammatoires, analgésiques, anti-hypertenseur, anti-arythmiques cardiaques, analgésiques, psychotropes, les benzodiazépines peuvent conduire à un automatisme amnésique et à un syndrome de soumission. Les troubles du comportement peuvent aussi être liés à certaines tumeurs (encéphalite), à une insuffisance mentale, sans parler des nombreuses maladies mentales.
En psychiatrie on recherche l'anomalie alors qu'en psychologie on décrit la personnalité (traits de caractère, motivations, tendances, émotivité, influencabilité, adaptation) qu'elle soit normale ou pathologique. Les appréciations de la part d'experts ayant conduit à des erreurs sont légions. Une perle..., dans un article paru dans « La Dernière Heure » en date du 7 novembre 1997 et rapporté dans « la saga Dutroux » de Pierre Gueff. On peut y lire écrit par un psychiatre directeur d'un centre universitaire : « Que l'on cesse de proclamer que Dutroux est fou. Psychologiquement c'est un homme normal » et 5 lignes plus loin : « A vrai dire, c'est un psychopathe, il est atteint d'une maladie mentale caractérisée par une inadaptation à la vie sociale sans sentiment de culpabilité perceptible. »
Il peut être tentant de chercher à vouloir établir le profil de personnalité en soumettant l'individu à un interrogatoire, à un test de personnalité, et ainsi donner l'impression à la justice que la raison et la « science » triomphent. En théorie, l'examen psychiatrique devrait se conformer aux critères du milieu hospitalier : observation continue, type de relations avec les autres personnes, attitudes quotidiennes, à table, l'hygiène, en confrontation avec les tests. Dans la réalité, l'expert y consacre une trentaine de minutes ! Le juge serait fondé à s'interroger, n'est-il pas face à une expertise biaisée et les deniers du contribuable sont-ils utilisés à bon escient... On peut également s'interroger sur la collaboration, l'honnêteté du sujet et de sa compréhension et l'interprétation des questions ? N'aurait-il pas tendance à vouloir donner une certaine image de soi ? N'a-t-il pas biaisé les réponses en se plaçant dans la « peau » d'un autre ? A-t-il distingué la teneur psychologique de certaines questions ?
L'expert pour affiner son avis, à moins que ce ne soit pour se prémunir de l'erreur ou se retrancher derrière un possible contre-feu, peut faire procéder à des examens médicaux complémentaires. Se pose alors le problème des droits de l'individu et celui du choix des examens. Pour l'anxiété, par exemple, il peut faire appel aux examens : cardio-vasculaire, neurologique, pleuro-pulmonaire, le réflexe oculo-cardiaque, sans oublier les analyses de sang et d'urine. N'étant pas médecin, j'en oublie sûrement d'autres (résistance de la peau, image cérébrale, etc.), mais quel que soit l'examen, le résultat ne va t-il pas traduire l'anxiété du sujet en rapport avec l'examen ?
Le concept de dangerosité médico-légal a été vivement combattu par Webster et Aron qui affirment : « Qu'il est scientifiquement impossible de prédire un comportement dangereux. » Quand bien même cela le serait, cela ne le serait qu'au détriment de la liberté. Pour Negrier et Dormant, la criminologie de traitement (45 % des inculpés emprisonnés), de réinsertion ou prophylactique reste dénuée de toute efficacité. Ils vont même plus loin en disant que l'enquête de personnalité qui participe à la personnalisation de la peine et l'expertise sont contraires à la présomption d'innocence, car faisant passer l'inculpé dans une classification.
°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°
30 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON