L’Accord franco-algérien de 1968, parlons-en !
Lors de son discours de politique générale, prononcé le 1er octobre dernier, à l’Assemblée nationale française, le nouveau Premier ministre Michel Barnier a abordé la question de l’immigration et évoqué la renégociation des accords migratoires de la France avec certains pays.
Bien qu'il ne l'ait pas explicitement mentionné, c'est a priori l'accord franco-algérien de 1968 qui est dans sa ligne de mire.
Comment peut-il en être autrement lorsqu’il ne se passe plus une semaine sans que l’Algérie et ses ressortissants ne soient convoqués dans le débat politique français ?
C’est d’autant plus vrai, depuis que le Rassemblement National de Mme Le Pen semble avoir déclassé la classe politique traditionnelle, en particulier celle de la droite, et atteint le seuil de nuisance suffisant pour faire et défaire les gouvernements, en attendant d’accéder au pouvoir central.
C’est désemparée et acculée, par la déferlante de l’extrême droite, que la classe politique française de droite, s’est engouffrée, dans l’agitation populiste de l’accord de 1968, un accord vidé de son contenu mais qui manifestement permet néanmoins de se positionner et surtout de tenter d’exister dans un espace politique dévasté et dévitalisé de ses idéaux et de ses grandes idées politiques traditionnelles.
Se faisant, la voilà donc en renfort de ceux qui ont l’obsession de l’Algérie et des Algériens !
Et pour tenter, vainement, de convaincre un électorat qui ne lui est de toute façon pas acquis, elle épouse, par conviction pour certains, de manière complètement désinhibée et assumée des thèses et des éléments de langage jusque-là l’apanage d’une extrême droite raciste et xénophobe, composée de nostalgiques de l’Algérie française et des orphelins des temps « bénis » du colonialisme.
Elle accepte et justifie le délitement de la pensée humaniste, auquel elle participe, et couvre les propos les plus nauséabonds, déversés sans limite à partir des grands médias, et ciblant les musulmans et les arabes de manière générale, et les Algériens de manière spécifique.
Autant de thèmes et de postures porteurs pour une classe politique désorientée, en plein naufrage politique, sans leadership et sans idées innovantes face aux immenses et réels problèmes qui se posent à la société française et auxquels elle n’arrive pas à répondre, sans avoir à sombrer dans les idées sordides, funestes et extrémistes.
L’agitation politicienne autour de l’accord franco algérien du 27 décembre 1968 n’est donc rien d’autre que la traduction non assumée de ce désarroi politique.
Or, que contient et qu’apporte cet accord de 1968 à l’Algérie et à ses ressortissants présents sur le sol français et en quoi il constitue aujourd’hui un problème pour la France et les français ?
L’accord de 1968, qui porte le nom complet de « Accord relatif à la circulation, à l’emploi et au séjour en France des ressortissants algériens et de leurs familles », avait été initialement conçu pour favoriser l’entrée d’une main d’œuvre algérienne pour construire la France et contribuer à son développement. Il est donc loin d’être le fruit d’une aumône française !
Mais au fur et à mesure que les idées de l’extrême droite progressaient, en particulier à la faveur des difficultés économiques et sociales de la France, cet accord est devenu un enjeu politique pour la droite dans les débats sur l’immigration en France.
Et progressivement, les gouvernements successifs français vont aligner les dispositions de cet accord sur le droit général des étrangers en procédant quasiment à son abrogation à travers les 3 avenants intervenus en 1985, 1994 et 2001.
Aujourd’hui, et malgré l’agitation politique qui l’entoure, il reste tellement peu de cet accord dans le droit français.
En réalité, cela fait plus de 30 ans que les Algériens disposent en France d’un statut plus défavorable par rapport aux autres étrangers hors-Union européenne.
Aujourd’hui, certaines dispositions favorables du droit courant des étrangers hors-Union européenne ne s’appliquent pas aux Algériens. Il en est ainsi, par exemple, de la régularisation des sans-papiers par le travail, prévue par la loi de 2004 ou de l’obtention d’un visa pluriannuel pour les étudiants, les étudiants algériens étant astreints à renouveler leur titre de séjour chaque année, de sorte que certains se retrouvent « sans droits » à la fin de leur cursus. On peut aussi évoquer la différence de régime concernant l’exercice d’un emploi étudiant et la durée de résidence pour une régularisation.
Par conséquent, et en étant désormais moins disant que le droit commun des étrangers hors UE, cet accord ne participe en rien à plus d’immigration en France.
Tout cela, les politiques français le savent très bien !
Mais hélas ! Acculés et multipliant les défaites politiques, ils se retrouvent à agiter un épouvantail vidé de son contenu pour espérer survivre à la vague du Rassemblement National.
Mais en agissant ainsi, ils font crédit aux thèses haineuses de ce parti et de ses piètres clones, qui elles, visent, non seulement les ressortissants étrangers légalement présents sur le sol français, mais aussi les français d’origine étrangère, en particulier les français d’origine arabe et de confession musulmane, avec une « préférence » toute particulière pour les franco algériens et les ressortissants Algériens.
C’est ainsi qu’ils participent à instiller dans la société française un profond sentiment de rejet de l’autre, celui par qui l’altérité arrive, et qu’ils font preuve d’un grave manque de courage pour affronter avec sérieux et rigueur les vrais problèmes de la France et assumer avec force et volontarisme les idéaux qui sont censés les animer et les distinguer des porteurs de haine et de stigmatisation.
Mais maintenant que le débat est ouvert, de part et d’autre de la méditerranée, que faut-il faire de cet accord ?
A date, les principales spécificités persistantes de cet accord portent sur la liberté d'établissement pour exercer une activité de commerçant ou une profession indépendante et l’accès plus rapide à la délivrance d'un titre de séjour valable 10 ans pour le conjoint algérien d'un Français, après un an de mariage, et le parent d'un enfant français à l’échéance d'un premier certificat de résidence d'un an.
Par ailleurs, les membres de famille admis au séjour en France au titre du regroupement familial reçoivent un titre de séjour de même durée que la personne qu'ils rejoignent. Et s'ils ne l'ont pas obtenu avant, les ressortissants algériens peuvent solliciter un certificat de résidence de 10 ans après 3 ans de séjour, contre 5 ans dans le cadre du droit commun, sous condition de ressources suffisantes.
En revanche, les titres de séjour créés par les lois de 2003, 2006, 2018 ne sont pas applicables aux ressortissants algériens, notamment les titres de séjour en matière d'immigration professionnelle tels que la carte de séjour pluriannuelle portant la mention « passeport talent » ou encore la carte de séjour pluriannuelle portant la mention « étudiant programme de mobilité », qui n'ont pas d'équivalent dans l'accord franco-Algérien.
En outre, s’il souhaite exercer une activité salariée en France, l’algérien titulaire d’un certificat de résidence mention « étudiant » doit solliciter une autorisation provisoire de travail et ne peut travailler au maximum 50 % de la durée annuelle de travail pratiquée dans la branche ou la profession concernée (contre 60 % de la durée annuelle légale du travail pour les autres nationalités).
Enfin, il faut savoir que tout ce qui relève des procédures, dont les fameuses OQTF (Obligation de Quitter le Territoire Français) est hors accord et est donc applicable de la même manière aux algériens comme aux autres étrangers sans aucune espèce de régime de faveur.
De fait, personne ne peut croire que les dispositions résiduelles de l’accord de 1968 favorisent une émigration algérienne qui déferlerait sur la France et mériterait toute cette agitation politicienne !
Par conséquent, et contrairement à ce que l’on veut faire croire, l’abrogation de l’accord de 1968 ne résoudra absolument rien aux flux migratoires en France. Pas plus que n’aura d’effet sur les ressortissants algériens, la loi migratoire annoncée, sous les fourches caudines du Rassemblement National.
Enfin, les politiques et les personnalités médiatiques, aux motivations sournoises, qui agitent l’abrogation de l’accord de 1968, notamment ceux qui ont présenté, en décembre dernier, une résolution à l’assemblée nationale française pour demander cette abrogation, font mine de ne pas savoir que l’accord de 1968 est un accord bilatéral et qu’à ce titre, sa modification ne peut se faire de manière unilatérale. Son abrogation doit en effet obéir aux règles qui le régissent.
Or, sa dénonciation n’est prévue dans aucune de ses dispositions. Seul l’article 12, créant une commission mixte franco-algérienne, permet à une telle commission chargée de suivre son application et d’en résoudre les difficultés, de proposer des évolutions préalablement convenues entre les deux parties. En attendant, elles sont tenues à son exécution !
Naturellement, et dans leur course, à droite, au populisme, les apprentis agitateurs de cet accord se gardent bien d’évoquer ces éléments juridiques et leurs implications, se contentant de vendre des chimères à leurs concitoyens, et se faisant, d’entretenir et de participer à une entreprise haineuse.
L’abrogation pure et simple de l’accord de 1968, si elle devait advenir, avec l’assentiment des deux pays, alignerait de fait le régime d’entrée et de séjour des algériens sur celui de l’ensemble des étrangers hors UE. Les ressortissants algériens perdraient alors les rares dispositions favorables précitées mais bénéficieraient de facto de celles issues du droit commun des étrangers, notamment des lois de 2003, 2006 et 2018, qui, compte tenu de l’évolution de la structure migratoire de nos ressortissants, seraient plus adaptées.
Naturellement, et au regard du nombre de ressortissants algériens sur le sol français, 587 000 en 2023 selon l’INSEE, l’Algérie serait tout à fait légitime à privilégier, dans le cadre des dispositions de l’accord de 1968, une renégociation qui permettrait d’en adapter ses dispositions à l’évolution des migrations algériennes, pour sauvegarder, notamment, les dispositions relatives à la régularisation à travers la règle des dix ans de présence sur le territoire français, tout en intégrant de nouvelles dispositions, dont celles du droit commun relatives à la régularisation par le travail après une certaine durée de présence sur le territoire français, comme cela est possible depuis 2012 pour les autres étrangers, ainsi que l’alignement du régime des étudiants sur le régime général.
Telle devrait être la réponse et l’orientation algériennes dès lors que la partie française serait prête à engager une discussion bilatérale sérieuse sur l’évolution et l’adaptation de l’accord de 1968, loin des surenchères, de la stigmatisation et des postures populistes porteuses de haine.
Publié in TSA le 19/10/2024
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