L’Amérique vue par Edward Hopper
Né en 1882 sur la Cote Est dans les dernières années de l'âge d'or, disparu en 1967, à l'âge de l'empire industriel, Edward Hopper, reconnu comme l'un des plus grands peintres réalistes américains, a traversé le 20ème siècle avec nonchalance un sens aigu de l'observation et un grand individualisme, loin des prouesses techniques et du dynamisme du mythe américain.
L'homme et son œuvre
Adepte du déjà vu, des scènes ordinaires, de la banalité du quotidien, mais sans rien qui n'y ressemble, des lieux de passage, de transit, de l'urbanité typiques de la civilisation américaine. Ses compositions d'une implacable géométrie, recouvrent une grande recherche architecturale : Early Sunday Morning (1930) révèle une suite de trois boutiques surmontées par un étage , dans un décor urbain, qui s'étend sur toute la longueur de la toile, d’où toute vie a été extraite et où le temps s'est arrêté dans l'équilibre suspendu d'un fragment d'avenue.
Sa production, qui recense environ 130 tableaux ,des croquis préparatoires, des aquarelles a été reçue par la critique comme tournant autour des thèmes de la solitude, de la mélancolie, de la frustration, de la tension, alors que « son Amérique » est un espace ouvert qui envahit par sa puissance lumineuse la boite optique de la perspective impressionniste. Sa peinture apparaît au premier abord immédiatement accessible, mais il ne faut pas se fier aux apparences, son monde est un théâtre déconcertant pour le spectateur crédule. Ses compositions réputées aussi lisibles qu'immédiates, aussi précises que conventionnelles, présentent une force déconcertante au delà des motifs à caractère très banals. Dépeignant des lieux inhabités ou des intérieurs peuplés d'êtres immobiles et solitaires, il nous renvoie à des moments de suspension absolue de l'action, là où le temps s'est figé, là où la tension est omniprésente.
Les routes, les voies ferrées, les horizons de l'Ouest, les fenêtres, les balcons, les rues et les vitrines urbaines qui occupent la première période de son œuvre, participent de son besoin insatiable d'expériences visuelles. Son art évolue dans le temps vers une recherche d'abstraction et devient dans les dernières décennies davantage une expérience de l'esprit que de l’œil, par une volontaire réduction iconographique, par l'apparition de sujets plus psychologiquement intenses : avec Two Comedians (1966), œuvre ultime, il donne à voir de son épouse et de lui-même l'image théâtrale de personnages habillés de blanc qui viennent saluer leur public pour la dernière fois sur un fond bleu noir de nuit artificielle. Et enfin par des zones frontières entre intérieurs et extérieurs, où toute présence humaine disparaît. Dans une configuration d'espace vide, Sun in an Empty Room (1963), la lumière fait irruption et triomphe du monde sur lequel elle se pose. On est alors dans l'Amérique d' Andy Warhol.
Thèmes et Moments, d'une toile à l'autre
De la toile à l'écran
Hopper a su transmettre les atmosphères de sa cinéphilie, Hitchcock, Wenders, Lynch l'ont reconnu et ont su s'en inspirer. L'ouvreuse apparaissant dans New York Movie (1939) qui se tient appuyée au mur dans la lumière tamisée d'une salle de cinéma, absorbée dans ses pensées, du coté droit du tableau, requiert toute l'attention. Elle apparaît comme une figure mélancolique, absorbée dans une méditation sans objet qui nous ouvre les conditions du rapport entre le visible et l'imaginaire. La fière bâtisse, House by the Railroad (1925), devenue une icône, semble projetée dans un autre temps par la voie ferrée, symbole du nouveau monde, qui occupe le premier plan. L'atmosphère mystérieuse qui y règne, dans un étrange et magnifique ballet de lumières et d'ombres a inspiré à Alfred Hitchcock la maison de son film Psychose (1960) .
Il y a de la lumière
Sa réflexion récurrente qui va de la solitude à l'aliénation chez ses personnages féminins, a été admirablement décrit dans Automat (1927), où une jeune femme seule boit un café, les jambes croisées sous une table ronde , figée dans ses pensées, presque inanimée, semblable à une poupée de cire, un automate en quelque sorte. Hopper introduit progressivement l'éclat solaire comme une réponse à leur inquiétude. La jeune femme de Summertime ( 1943), d'une grande sensualité, vêtue d'une robe transparente, debout sur le seuil d'une maison, incarne la jeunesse et une force rayonnante. Elle se tourne vers la lumière du soleil, alors qu'un coup de vent soulève le rideau de la fenêtre resté ouverte. Ce tableau fait partie d'un ensemble d’œuvres qui ont pour motif la relation érotique. On retrouve cet accord pictural entre une maison et une femme dans Cape Cod Morning (1950), mais ici son regard, protégé par une loggia, se tourne vers l'extérieur, vers la nature environnante et ce dans une position d'attente. Ces thèmes de l'attente dans la permanence de la lumière sont d'une grande intensité poétique, et en appellent à notre imaginaire. Pour Yves Bonnefoy, ces figures féminines « sont là des Annonciations sans théologie ni promesse, mais non sans un reste d’espérance. »
Hopper aura contribué à nous faire découvrir l'Amérique, ses valeurs et ses mythes, de par ses personnages pris dans la banalité du quotidien résistants au consumérisme de la civilisation contemporaine, de par la description des paysages lumineux de la Nouvelle- Angleterre ,de par la représentation du temps immobile de « son Amérique, » à l'écart des grandes métropoles urbaines. C'est peut-être en cela qu'il suscite aujourd'hui un intérêt grandissant, pour nous, Européens.
Un ensemble de reproductions fidèles aux originaux peuventêtre consultées sur ce site : https://www.edwardhopper.net/edward-hopper-paintings.jsp
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