L’anti-spécisme est un anti-humanisme
L’anti-spécisme est un mouvement philosophique qui s’inspire d’une spiritualité orientale (bouddhisme, hindouisme, jaïnisme) prônant la non-violence, le végétarisme (le jaïnisme exclut même la consommation de racines), la compassion, la tolérance et où humains, animaux et végétaux sont liés à l’Univers.
C’est à partir de cette pensée que les anti-spécistes en déduisent des considérations politiques.
Pour les anti-spécistes, l’espèce - animale ou humaine -, en tant qu’entité collective, n’a qu’un sens très marginal. Au contraire, ils estiment que l’individu - animal ou humain - doit être au cœur des modes de pensée de nos sociétés. Ces dernières devraient faire primer l’égalité entre leurs individus ainsi que leur confort (accès au bonheur, absence de souffrance, etc.) plutôt qu’une sorte de hiérarchie entre humains et animaux qui mènerait nécessairement, selon eux, à l’asservissement des seconds et la domination des premiers.
Cette égalité entre les individus n’est pas une égalité absolue : on ne parle pas nécessairement d’une égalité de traitement ou de droits. Un article de Wikipedia précise : "tout comme il serait absurde d’accorder à un homme (mâle) le droit à l’avortement, il est absurde d’accorder à une poule le droit de fréquenter l’université." Mais si différences il doit y avoir, celles-ci ne peuvent pas se déterminer pour des raisons liées à l’espèce. Les inégalités ne sont que des compromis dus à la particularité des individus.
Dans ce contexte où l’animal est l’égal de l’humain, l’Homme ne fait plus partie de la chaîne alimentaire. La consommation d’animaux est associée au cannibalisme, la chasse à la guerre, l’élevage aux camps de concentration et le spécisme n’est qu’un dérivé du sexisme, du racisme voire du nazisme.
Les spécistes, justement, seraient restés à l’âge de pierre, dans un monde aussi rétrograde que dégradant. La barbarie supposée de leurs sociétés ne les choquerait plus, tant ils seraient incapables de remettre en cause les postulats séculaires qui ont bâti l’humanité. A commencer par le dogme judéo-chrétien qui veut que l’Homme - non l’animal - ait été conçu à l’image de Dieu. Malgré certaines évolutions (abolition de l’esclavage, sociétés démocratiques, droit des enfants, égalité des sexes, etc.), les spécistes seraient incapables de sortir de leur paradigme pyramidal où l’Homme serait supérieur à l’animal, ce carcan idéologique que les anti-spécistes veulent faire voler en éclats.
L’anti-spécisme est un anti-humanisme
Le problème c’est que les anti-spécistes ne croient pas en l’Homme. Ils considèrent que l’Homme n’est qu’un saccageur d’environnement, un pilleur de ressources, un tortionnaire d’animaux. De ce pessimisme sur notre humanité découlent des mouvements en faveur des animaux dont la violence n’est que le reflet de leur aversion envers l’humain.
Cette situation est préoccupante car le comportement de certains groupes semble s’apparenter à un mouvement de lutte révolutionnaire. La libération finale des animaux purs et innocents est-elle en marche ? Toujours est-il que, toutes proportions gardées, le mouvement de libération animale est à l’anti-spécisme ce que la Révolution bolchévique était au communisme : le moyen de réaliser, par la force si nécessaire, un monde supposément meilleur.
Or, l’humaniste que je suis ne se reconnaît pas dans la vision de l’Homme des anti-spécistes. Moi, Homme, je ne suis pas ce qu’ils disent que je suis. Je ne suis ni barbare, ni tortionnaire, ni dominateur. Je suis davantage qu’une espèce fut-elle humaine : je suis une civilisation.
Selon Philippe Val, philosophe français, l’espèce vise sa propre reproduction. C’est son unique loi. Aveugle, sans état d’âme, sans conscience, elle élimine les faibles et obtient des plus forts leur reproduction... avant de précipiter leur mort car l’espèce s’autorégule, la surpopulation pouvant la menacer.
La loi de l’espèce régnait ainsi en maître durant des milliards d’années avant qu’elle ne se prenne les pieds dans le tapis en inventant, via son mode de sélection brutal et hasardeux, un nouvel être : l’homo sapiens sapiens. Cet être sélectionné pour ses aptitudes à faire survivre l’espèce mieux que n’importe quel autre - grâce au cortex de son cerveau surpuissant - s’est mis à défier la loi de l’espèce dont il était issu. Car l’homo sapiens sapiens non seulement devînt conscient de sa finitude mais en plus devînt conscient de sa conscience. De cette réflexivité, l’Homme élabora ses propres lois, autrement moins douloureuses, arbitraires et brutales que la loi de l’espèce. On appelle cela : la civilisation.
Espèce ou civilisation ?
Face à la caricature qu’ils se font de l’Homme - un barbare sanguinaire - la réponse des anti-spécistes consiste à banaliser l’humanité, la réduisant au rang d’un animal parmi les autres alors qu’il s’agit d’une civilisation.
Certes notre civilisation est imparfaite et l’Homme a eu, et a encore, des comportements condamnables tant envers ses semblables qu’envers le monde du vivant qui l’entoure. Car, nous dit Val, notre civilisation n’est jamais acquise pour toujours. C’est une construction de tous les instants. Qui plus est, nous conservons tous en chacun de nous une part bien vivante de l’espèce, donnant à la civilisation sa part de violence, sa part de loi de l’espèce. Nos rapports à la violence, à la différence, à la compétition, à la compassion en témoignent.
Mais il nous faut dépasser cet instinct grégaire de l’espèce. Pour les anti-spécistes, entre domination et banalisation, il n’existe rien. Pour moi, dans cet interstice béant, il y a la civilisation.
La civilisation, poursuit Val, c’est la prise de conscience par l’Homme de sa propre fin et donc que la vie n’est pas seulement cette ligne droite qui mène de la naissance à la mort en passant par la lutte pour sa survie et la reproduction sexuée. Désormais, la vie c’est le plaisir de prendre plaisir, c’est aimer aimer son prochain ou Mozart, c’est rechercher des moments d’éternité dans le bonheur et même dans la jouissance du bonheur.
La civilisation suppose des lois : là où le faible doit mourir car l’espèce ne s’embarrasse pas de celui qui menacerait sa résistance au temps, la civilisation protège les plus faibles car elle a conscience du caractère unique de tous ceux qui la composent.
La civilisation s’oppose donc au rapport de force brute, à la souffrance, à la guerre et à toute forme d’activité où le plus fort triomphe en soumettant les autres à sa force. La civilisation s’oppose à la sélection de l’espèce.
Ainsi, dans sa relation avec l’écosystème-Terre, la civilisation doit mettre sa science, sa compassion et son humanité au service du vivant car il y va autant de son éthique que de sa victoire sur la loi aveugle et froide de l’espèce.
Toutefois, l’humanité est singulière. Je ne dis pas supérieure mais bien singulière. Elle a inventé la civilisation et avec elle la justice (quelle justice y a-t-il dans le monde animal sinon la loi du plus fort qui est la loi de l’espèce ?) ; elle a inventé les arts, inutiles pour l’espèce et tellement indispensables pour l’Homme dans son rapport au Cosmos et à la mort ; elle a inventé la conscience et la conscience d’avoir conscience qui lui confèrent l’obligation morale de garantir la diversité biologique et l’équilibre des écosystèmes.
Ce sont les lois de la civilisation qui font que l’humanité n’est plus un simple animal, n’est plus une simple espèce vivante et n’est plus un barbare sanguinaire.
À la fois détenteurs et créateurs de cette richesse, nous, les Hommes, devons obstinément œuvrer pour encrer l’humanité dans cette relation si singulière avec son environnement : au sommet de la chaîne alimentaire et pourtant humble et compatissante. Ce n’est pas du spécisme. C’est de l’humanisme.
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