L’argent a gagné I
Aujourd'hui la honte nous prend trop souvent. Pour la France, qui fut une civilisation. Pour les Français, qui furent un vrai peuple, un peuple vrai.
« Il y a bien une guerre des classes, et nous, la classe des riches, l’avons gagnée. »
Warren Buffett
La honte nous prend
Aujourd'hui la honte nous prend trop souvent. Pour la France, qui fut une civilisation. Pour les Français, qui furent un vrai peuple, un peuple vrai. Elle nous « gagne » devant l'acceptation pure et simple du soit-disant fait accompli, universel, mondial, imparable, irréparable, historique – historique comme la fin elle-même de l'Histoire – Cette fin de l'histoire tant souhaitée par la cléricature du Marché, les nouveaux curés de l'Argent.
Mais nous savons bien, nous les vieux peuples, les peuples anciens d'Europe – comme tous les peuples premiers survivants – que tous ceux qui ont voulu – à commencer par nous-mêmes, avec le génocide culturel de la Renaissance – arrêter l'histoire, avec un petit ou un grand h, et l'assigner à résidence, l'asseoir ou la coucher, la « forcer », et l'enterrer dans des valeurs matérielles stoppant son moteur spirituel et son cœur d'humanité, nous savons bien que tous ceux-là n'ont pas tardé à se retrouver en décadence, en régression, « en arrière » selon le terme malin, militaro-révolutionnaire, des « progressistes », pour désigner le mal en soi, d'être hors compétition pour le droit à la vie, et non le mal fait à l'humain, devenu pure matière première, gladiateur de sa vie.
Nous avons oublié la chute de l'Empire Romain, la corruption liée aux matérialismes d'argent et l'inévitable décadence qu'ils entraînent à tous les niveaux, quand ils ne sont pas équilibrés par des principes supérieurs partagés, non imposés.
« L'argent a gagné, le capitalisme a gagné », entend-on partout clamé, répété, scandé sur tous les tons, comme si une guerre avait été gagnée, ou comme si les vaincus – honte à eux ! – devaient se résigner, s'agenouiller devant la brutalité économique triomphante, et rendre les armes dans le silence de la honte bue, de la ciguë sociale.
Nous entendons cette chanson, chauvine, avinée au champagne, depuis plus de 20 ans maintenant, comme une sorte d'avertissement. Peut-être l'écholalie des mots d'ordre ne doit-elle, en politique, ou en temps de guerre, rien au hasard. Peut-être sonne t-elle un glas, comme le prélude à des violences « supérieures » à venir, mauvais jours d'un hiver planétaire nouveau, puisque du Moyen-Âge nous n'aimons, démesurément, retenir que le pire.
Par delà la tentative rampante et larvée, – « innocente », quand on pense aux nouvelles générations formatées – , de démoralisation et d'abaissement général des valeurs, de dévitalisation spirituelle du Vieux Continent, avant la douce et sournoise perfusion matérialiste, par delà cela, il y a comme une subtile et dernière sommation : il n'y aura pas de cadeaux pour les perdants, les vaincus, les faibles, les sacrifiés, les ratés, les dégénérés.
Comme disait un grand humoriste étrangement « disparu » : « Choisis ton camp, camarade ». Tout cela a déjà une odeur à soulever l'estomac, une odeur d'hallali froid, comme celle d'une nouvelle glaciation mentale des sourires et du coeur.
Quand on connaît le degré de barbarie « spirituelle » atteint par nos frères ennemis d'outre-atlantique, il y a de quoi cacher femmes et enfants : le blé, le poulailler et la porcherie ne leur suffiront pas, la maison brûlée non plus. Ils veulent notre âme et même notre amour, qu'ils rebaptisent sérieusement « motivation », au cœur d'un fanatisme conquérant et tout de chantage à la vie.
Dans cette course à l'abîme, dans laquelle les bâtards d'Albion sont engagés contre le monde lui-même, ces fous furieux de l'argent, comme les fous de Dieu du camp d'en face, défient jusqu'à la mort, à l'instar de certains escadrons de triste réputation. Ces deux folies construites, entre marteau et enclume, pour réduire en miettes le fantôme de la liberté humaine, sont un nouveau dilemme, réducteur des têtes bien faites qui bougent encore, en pensée unique, en « rêve-planète ». Nous ne remercieront jamais assez l'Agence du Service de L'Intelligence pour ce moderne progrès des consciences en Monde Libre.
« L'Argent a gagné ! » Évidence absurde s'il en est, pour un Français de culture. Assénée en révélation indiscutable d'un « entre nous » plutôt louche, par des propagandistes apparemment « heureux », dont l'aplomb et la légèreté révoltent l'esprit le plus honnête, quand on pense aux souffrances de tous ces gens de peu qui font que le monde tourne encore sur son axe malade. Et surtout sur leur dos.
Ceux-là ont droit à l'éducation, ou plus précisément à une rééducation. Les pauvres doivent se mettre les choses en tête. Il faut qu'ils se mettent au plus vite à l'Evangile de l'Argent, celui des maîtres, qui sont aussi chanteurs. Chacun, s'il veut éviter le pire, et d'abord la honte sociale, la pression du soupçon de trahison civique – en ces temps difficiles – , devra chanter la belle chanson, en cadence, sans oublier le ton, le bon ton. Une ! Deux ! Demi-tour à droite ! Marche !
Chacun devra penser et faire « comme si ». Jusqu'à finir par se donner l'illusion d'y croire, aux yeux des « nouvelles » générations, aux yeux de ses propres enfants, y semant d'invisibles germes de la haine de soi et du monde vrai. Toujours le même chantage, les même simagrées, les même grimaces obligées, imposées, « nécessaires » comme l'ordre apparent, les mêmes humiliations.
En un peu plus psychologique peut-être, en un peu plus maternaliste sans doute, le paternalisme étant passé de mode. Il faut bien remplacer notre Sainte Mère et ses attentions pathologiques, obscures, maladives, malignes, fatales au bébé barbotant dans l'obscène bain des temps, par une « réplique » parfaite, cosmétique, allaitante et alléchante, moderne, ajustée aux corps, à ses présentations et représentations. Ah ! Ces sacrées écrevisses rouges ! Elles nous feront toujours pleurer de rire ! En attendant d'en mourir.
Comme si l'argent était une cause, une valeur en soi. Un programme de vie, une fin en soi de l'histoire humaine, donc et désormais le but de nos vies, déjà si endettées. Depuis 20 ans le nombre de petits et gros riches a considérablement augmenté, mais tout le monde en aurait profité, nous est-il répété par les « spécialistes », comme si nous ne savions plus que la misère des uns fait la richesse des autres.
Le mensonge, le doux mensonge, certifié et reconnu, qui nous flatte et nous rend dépendants de ses subtiles relativités, est affaire de suggestion, de persuasion, d'idée parfaite, de propagande et « communication », de club, de groupe, de catégorie. De classes de tout et n'importe quoi de préférence, annulant toute référence à la réalité, au cas où l'intox ne ferait pas son bon bas office.
On nous parle de choses, uniquement de choses, avec des chiffres, uniquement des chiffres, encore et encore des chiffres. Jusqu'à ce que nous ne sachions plus parler que le novlang comptable de la gestion objective. Que la mise en équation surlogique de chaque vérité dominée, ou son rejet dans des ténèbres extérieures au Plan.
Nous ne savons que trop ce que nous avons perdu, et qui n'a pas grand chose, finalement, à voir avec les choses. A la vérité, il y a une humiliation véritable et supplémentaire à s'entendre dire que nous y gagnons avec les Grands Gagnants. A s'entendre énumérer la litanie des avantages incontestables de ce qui ne peut être contesté ou « négocié », de toute façon et justement.
Chaque mot, enfermé à double tour dans ses doubles sens ou son sens unique, calibré et enchaîné aux autres, pas plus « gratuits » ni libres que lui, tout aussi économicisé ou juridicisé, quand il n'est pas scientifiquement « vérifié ». On pense à la lessive vue par Coluche le Gaulois.
S'entendre dire que nous sommes, encore ici, parmi les plus privilégiés, un peu comme l'étions déjà autrefois, au vu des misères du système soviétique, avec notre inflation de biens industriels « bon marché », nos montagnes de gadgets, nos pacotilles pour « nègres » de l'intérieur. S'entendre rabâcher ces salades pour nous menacer de perdre nos soit-disant avantages, avec la guerre qui vient, a quelque chose d'obscène, par delà l'infantilisation larvée, entrelardée de morceaux de basse morale.
Ce recours à l'effroi d'un réveil annoncé d'un « Tiers-Monde » affamé et assoiffé de vengeance a quelque chose de sale, un peu comme la menace, mafieuse, à peine voilée d'une bouche tordue, surmontant un cou mal cravaté. Nous connaissons ces avertissements froids et savons ce qu'ils signifient. Comme nous savons ce que veulent dire des déclarations comme : « Il va falloir retrousser ses manches ». Nous connaissons la rhétorique stalinienne de droite et ses exhortations au stakhanovisme citoyen. Que ceux qui promettent du sang et des larmes versent d'abord les leurs, pour voir.
Il y a là quelque chose d'obscène pour nous, qui savons mieux que quiconque ce que sont misère et sacrifice, au point que la vieille religion de nos aïeux faisait une place de choix à la pauvreté et aux pauvres. Mais l'habitude a été prise de nous considérer comme des bourgeois ordinaires d'un système à dormir debout, qui nous « gouverne » en sous-main de velours et de voleurs.
Même si tout est relatif et si nous savons que la misère fait réfléchir sur la pauvreté – relative – La menace devient alors le toujours le pire, qu'on « imagine » : le déclassement, la chute dans le néant social des sans droits des zones extérieures de l'Empire de la Marchandise. Après l'enfer du Moyen-âge, la Rue, devenue un enfer ordinaire, climatisé à l'américaine.
Il est bon de garder à l'esprit, fixé à la conscience morale citoyenne comme dernier avertissement, que nous avons toujours été des privilégiés, des nantis, un peuple de bourgeois. Dès que nous cessons, en tout cas, d'être un peuple d'arriérés, de culs-terreux, selon les besoins du marteau ou de l'enclume. Une ! Deux ! En avant marche !
Il y a toujours pire, et c'est toujours mieux que rien, ou qu'avant. Comme rien ne le sera plus jamais, comme avant, nous voilà bien avancé ! Nous ne pourrons jamais trouver ni prouver le mensonge, le stratagème, la combine. C'est sans doute ce qui fait la force de frappe des menteurs, leur arrogance et leur impunité.
Puisqu'ils ont ont trouvé le moyen de définir, à notre place, notre niveau de « bonheur », ainsi que le moyen de nous imposer ce moyen. Ce bonheur et « ses droits légitimes » à l'aune de la vérification officielle de notre jouissance, statistique et appliquée.
Mesure fine, expertise patentée d'entomologiste, certifiée conforme aux normes internationales de nos vies et de nos pensées. Comment les remercier, ces messieurs-dames de la bonne société de consommation de masse ? En votant pour eux ! En donnant « généreusement » pour leurs campagnes officielles !
Nous qui ne savions pas que le bonheur pouvait se mesurer socialement et individuellement. Pratique, non ? Nous ne connaissions pas le tableau de bord du bonheur, qui se pilote simplement, comme une machine. Nietzsche avait déjà prévu qu'on inventerait le bonheur, après la machine à couper le beurre. Nous ne savions pas que le bonheur était uniquement matériel, que si l'argent, au départ, ne fait pas le bonheur, il finit toujours par nous y faire « contribuer ».
Nous ne savions pas non plus de l'argent qu'il s'héritait des plus riches, comme tombe la pluie du ciel, ou la neige, héritage béni, faveur, indicible grâce touchant les plus pauvres, par capillarité, par contagion, par ruissellement naturel et surnaturel, et en vérité par pure générosité, par une sorte de partage conditionnel invisible : il suffit d'aller dans le bon sens, d'aider à la manoeuvre, et donc de s'aider soi-même, comme dit le joli proverbe, instrumentalisé par l'invisible main qui tourne la manivelle aux prières. Par « miracle économique ».
Nous ne savions pas, pauvres de nous, pauvres ignorants, que la satisfaction matérielle, exclusive comme un client, était un bonheur en soi, une vertu et même une charité. Une récompense divine, un diplôme de vie, un socialisme céleste, un commerce divin. La nouvelle Église de l'argent veille sur ses pauvres comme la poule sur ses oeufs d'or.
Le bonheur de ne pas mourir de faim, d'avoir un toit et un travail, une famille. Nous ne savions pas que le bonheur était là, dans ces simples évidences « naturelles », que la misère, la paupérisation programmée du monde, transforme chaque jour un peu plus en privilège égoïste rare, hors de prix, raréfié par explosion provoquée d'une demande sans limite, d'un plaisir illimité, à satisfaire « en temps réel », mais seulement dans la mesure des stocks disponibles... Attention, il n'y en aura pas pour tout le monde, aux soldes de la vie !
Nous ne savions pas ! Comment aurions-nous pu imaginer la réalité d'un tel édifice, d'un tel temple, d'un tel autel, et tous ces « tabliers » autour ?
Nous pensions que le bonheur exigeait plus et mieux que le plus ou le mieux, ou l'encore et encore. Que ceci était une condition de départ, pas un point d'arrivée, pas une voie de garage : nous étions naïfs, très naïfs, trop naïfs. Mais on va nous soigner, nous guérir.
Comme des primitifs fraîchement domestiqués, il fallait nous ramener à la raison du plus fort, à la dure réalité, à la terreur économique, celle du ventre. Celle, vieille comme le monde, qui transforme les fauves en agneaux d'abattoir, celle de la loi de la jungle, du prétendu combat pour la survie, la loi de l'assiègement, de la famine et du chantage permanent, présenté comme La Raison dans l'Histoire, planquée derrière ses coups de bluff à répétition, comme les fusils qui permirent de « vaincre » les Indiens.
Chantage et trahison, ces deux mamelles de l'Histoire : élevons-leur une statue d'or fin, comme symbole de l'époque.
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