L’audiovisuel, ou avoir le con d’être Droit
Toute cette histoire, là, à propos de PPDA, qui se présente aujourd’hui comme l’immaculé journaliste, alors qu’il en a commis de belles (*), nous rappelle aussi qu’historiquement, des journalistes cireurs de pompes du pouvoir ont été légion du temps de l’ORTF ou de la RTF. Et parmi tous ceux-là, un homme particulièrement, Michel Droit, qui, comme son nom pourrait l’indiquer, a servi servilement le pouvoir de droite en place pendant de très longues années. Le seul journaliste autorisé à interviewer De Gaulle de 1965 à 1969, le seul supporté par De Gaulle. S’il nous fallait définir un étalon de la servilité audiovisuelle, l’homme serait à cent, et Poivre à à peine dix. Non pas que PPDA ait été la foudre d’indépendance dont il voudrait bien nous convaincre aujourd’hui. Non, c’est que notre homme était à mille lieues de l’impertinence, et s’attachait surtout à servir une soupe inimaginable aujourd’hui, même en ces temps récents où un président fait et défait les organigrammes des chaînes et où l’allégeance forcée au pouvoir fait son grand retour.

Le plus beau fleuron de ce passeur de plats obligé est sans contexte l’interview de De Gaulle en 1968, le 7 juin, à la fin des "événements" de 68. Un anniversaire à quelques jours près. L’occasion de revisiter la télévision des sixties, son noir et blanc enregistré sur bandes vidéos larges comme une paume de main, et un De Gaulle qui en impose bien plus que ses successeurs, à en crever littéralement l’écran. La longueur des questions de Droit, et le ton solennel et ampoulé qu’il emploie, montrent un cas d’espèce rare de brossage télévisuel. Grandiose, même : tout l’art de la brosse à médias expliqué en quelques minutes, un cas d’école de journalisme à décrypter sur ce document visible en intégralité dans les archives de l’INA. Je vous invite à la regarder attentivement pour bien saisir l’atmosphère de l’époque est ce qu’était un journalisme aux ordres. Bientôt, on pourra faire à nouveau des comparaisons. En face, De Gaulle paraît nettement moins amidonné, se la joue "historique" en rappelant ses hauts faits d’armes de 1940 pour tenter d’expliquer son départ en catimini de Paris le 30 mai... Une fuite pour rejoindre Massu, qui avait amassé des chars à Baden-Baden en Allemagne au cas où la "subversion" l’emporterait. La droite tentera bien d’expliquer autre chose, mais de façon tellement farfelue que l’hypothèse s’effondre au bout de deux minutes. Un général, même en habits civils gardant ses habitudes de putschiste potentiel. Evidemment, de chars, on ne parlera pas dans cette interview... pour repartir aussitôt sur le célèbre voyage en Roumanie, en plein Mai 1968... alors que Peugeot, Citroën et Renault viennent de se mettre en grève à la suite des transports en commun (chemin de fer, métro, autobus et même les compagnies aériennes), mais aussi la poste, des grands magasins, des banques et des mines. Tout cela pour dire selon De Gaulle que c’était "important", alors que rien n’était sorti de tangible de ce voyage : la Roumanie figurait sur l’agenda gaullien, rien d’autre. De Gaulle admettre devant les caméras qu’il s’était trompé sur les événements, en n’en saisissant pas l’importance, vous n’y pensez quand même pas... ? Comme vous ne pensez pas non plus que Michel Droit puisse y revenir ! Quand on joue le rôle de la louche, on la joue à fond avec la soupe à endormir à servir. A la meilleure température, si possible.
Rien, bien entendu non plus, sur le fameux défilé des caciques du pouvoir qui avait marqué la fin de Mai 68 et la reconquête immédiate de la droite. Quarante ans après, il faudra attendre les révélations du Net pour apprendre que derrière les Druon et les Malraux se cachait la fine fleur de la pègre française avec tout le clan Zemmour et les barbouzes de Pasqua. La raison étant toujours la même : le pouvoir craignant une attaque des gauchistes avait diligenté sur place ses meilleurs protecteurs : des truands notoires, ceux-là mêmes qui avaient nettoyé l’OAS à Alger après avoir nettoyé... le FLN. Au pays des basses œuvres, on recrute toujours la même engeance pour nettoyer les écuries d’Augias. Lucien Bitterlin, notamment. Aux dernières nouvelles, ceux formés par Charles Pasqua lui-même semblent ne pas avoir trop perdu la main.
Mai 68 vu par De Gaulle, ça reste cependant un gigantesque champ de bataille, ou figurent d’un côté les "brise-tout" (selon son expression !), et de l’autre un gouvernement "stoïque", celui de Pompidou, pourtant passablement dépassé... Dans l’interview, on a juste après cette évocation façon Belles Histoires de l’Oncle Paul, un Michel Droit qui joue son PPDA "petit garçon" en OSANT demander à De Gaulle d’expliquer un remaniement consécutif aux émeutes qui aurait paraît-il "déçu" les Français... à le voir dire "déçu", on sent bien que la question avait été préparée (comme les précédentes) mais que notre homme n’osait pas vraiment la dire. Les purges télévisuelles ont eut lieu entre-temps, les deux-tiers des journalistes ayant fait grève pointent au chômage, on sent bien que Michel Droit tient à garder son poste, lui qui n’avait bien entendu pas fait la moindre grève en1968. Couve de Murville et Debré "permutés" c’était un ministère à peine remanié pour faire croire à un changement véritable : on repartait... comme en quarante, en 1969. Michel Droit revient un peu plus loin à la charge sur le côté négatif prononcé de Mai 68 (c’est là où on sent fort l’odeur de la soupe, car le journaliste prend ouvertement parti) et les quelques avancées que les événements auraient pu apporter. Là encore, on sent bien que notre homme n’était pas du genre à balancer des pavés, mais plutôt à aller à la messe tous les dimanches. "Dans l’univers intérieur de Michel, il y avait d’abord Dieu. Sa foi était totale, solide et sans fissure. Il était un fidèle, à tous les sens du terme, mais d’abord au sens religieux" dit Maurice Druon le jour de son enterrement. Et ajoute "Michel admettait mal que la religion qu’il avait apprise en son enfance pût changer en rien, fût-ce dans les formes". Droit était raide comme un piquet à l’écran et pensait pareil en son for intérieur. Pour lui, rien ne devait bouger : les réformes de Jean XXIII ne sont pas pour lui, et la messe se devait de rester en latin. Cette raideur va lui jouer des tours, pourtant.
Juste avant de devenir académicien en 1980, notre homme se fâche tout rouge en effet, le 1er juin 1979, en entendant la Marseillaise de Gainsbourg. Directeur du Figaro littéraire (de 1961 à 1971), il se lance dans un article furibard qui n’est pas dénué d’antisémisme."Quand je vois apparaître Serge Gainsbourg je me sens devenir écologiste. Comprenez par là que je me trouve aussitôt en état de défense contre une sorte de pollution ambiante qui me semble émaner spontanément de sa personne et de son oeuvre, comme de certains tuyaux d’échappement sous un tunnel routier..." pour Michel Droit, la chanson est une "odieuse chienlit […] une profanation pure et simple de ce que nous avons de plus sacré." Ce faisant, Droit va faire passer Gainsbourg pour une victime, ce que notre chanteur intelligent va s’empresser de suivre, pour le ridiculiser dans les grandes largeurs. Face à Gainbsourg, Droit ne fait pas le poids, mais il ne le sait pas encore. Il va l’apprendre par la presse. A Tribune Juive (no 572, 15 au 21 juin 1979), judicieusement choisie, Gainsbourg explique : "Lorsque Droit a écrit pour dire que je faisais du mal à mes coreligionnaires, je me suis précipité sur mon dictionnaire. Sous ’coreligionnaire’, j’ai trouvé cet exemple : ’Ce riche banquier juif passait pour aider ses coreligionnaires’. Intéressant, non ? Le racisme est latent partout. » Gainsbourg a souvenance du mot : "coreligionnaire", car c’est bien la façon avec laquelle la Gestapo parlait des juifs et c’est bien celui qu’emploient encore aujourd’hui les extrêmistes de droite, qui utilisent aussi à satiété le mot "allogène", qualificatif auquel à eu droit aussi Gainsbourg. Avec l’argent gagné avec le disque, l’homme à la tête de chou, roublard et rusé, achètera pour 135 000 francs le manuscrit original du chant, sur lequel était bien estampillé "aux armes et cætera", titre qui lui avait été aussi reproché ! Non sans s’être auparavant vengé façon Gainsbarre, en signant un superbe édito intitulé On n’a pas le con d’être droit, et qui commençait ainsi : "Peut-être Droit, journaliste, homme de lettres, de cinq dirons-nous, […] croisé de guerre 39-45 et croix de la Légion d’honneur dite étoile des braves, apprécierait-il que je mette à nouveau celle de David que l’on me somma d’arborer en juin 1942 noir sur jaune et ainsi, après avoir été relégué dans mon ghetto par la milice, devrais-je y retourner, poussé cette fois par un ancien néo-combattant ?" Michel Droit avait été effectivement décoré de la Croix de Guerre par de Lattre de Tassigny le 23 février 1945. Un commando de parachutistes bien remontés ira jusqu’a saccager la salle où devait se tenir un concert de Gainsbourg le 4 janvier 1980, où notre chanteur provocateur était monté seul sur scène pour entonner sa Marseillaise a capella (ses musiciens reggae ayant eu peur !), devant un parterre de points levés en uniforme. Gainsbourg en tirera une gloire inattendue... et son premier disque d’or, sur l’héritage de Mai 68 et ses vertus provocatices, en définitive !
Un De Gaulle qui met dos à dos communisme et capitalisme dans cet interview indispensable en cherchant une troisième voie, qu’il appelle "participation", et qui va en fait provoquer quelques mois plus tard sa chute définitive. En reconnaissant à mots couverts l’apport révolutionnaire de Mai 68 à la société moderne, dont les accords de Grenelle, et en tentant de s’en accaparer toutes les réformes. En s’appropriant seul les vertus de la participation, De Gaulle focalise sur sa personne : les Français lui feront amèrement savoir que c’est justement sa personne qu’ils ne supportent plus : en particulier il n’avait pas vu venir Mai 68 et s’apprêtait même à tirer au canon sur la foule au cas où ! De Gaulle, trop présomptueux, était persuadé que la France lui ferait une nouvelle fois confiance comme il y a dix années. De Gaulle out, Droit, rédacteur en chef de l’actualité télévisée depuis 1961, se retrouvera écarté de la télévision où son image de serviteur zélé du gaullisme avait été trop prononcée, émargera à Fance Inter comme chroniqueur, et ne sera plus vraiment à la fête à partir de 1981, on le comprend aisément. Il lui faudra attendre le retour de la droite dans les urnes et le gouvernement de Jacques Chirac lors de la cohabitation de 1986 pour se retrouver à la tête de la CNCL, organisme fortement marqué à droite. Parmi les membres de cet ancêtre du Conseil supérieur de l’audiovisuel : Gabriel de Broglie (président et ancien directeur de l’ORTF), Michel Droit, Daisy de Galard, Catherine Tasca, Bertrand Labrusse, Pierre Huet, Jacqueline Baudrier, Roger Bouzinac, Pierre Sabbagh, Jean Autin, Michel Benoist et Jean-Pierre Bouyssonie. Sa première décision étant... la privatisation de TF1 attribué à Bouygues pour 4,5 milliards de francs de l’époque, un choix poussé par Balladur à la place de... FR3. En avril 87, PPDA entre à TF1, en provenance d’Antenne 2. Tout se tient, voyez-vous. PPDA était au départ estampillé giscardien.
Michel Droit rayonne alors à nouveau, mais pas pour longtemps. En 1987, pour la première fois un académicien est accusé de forfaiture dans l’attribution de deux fréquences radio : c’est Michel Droit, qui aurait favorisé Radio Courtoisie , à la place de Radio Larsen. Radio Courtoisie est le fief aujourd’hui de la droite la plus réactionnaire sinon le second bureau de l’extrême droite, et où on trouve de tout, comme notre ami l’évangéliste Grimpret, le pourfendeur zélé de... Mai 68. L’affaire sera conclue par un non-lieu en 1990 mais ne lèvera rien des tractations auxquelles Droit avait pu assister (et insister !), comme sur le choix de TF1 en qualité de seule chaîne privatisable. Une autre radio marquée à droite, Radio Rythme Bleu, en Calédonie, du RPR local, illégalement installée, avait continué à émettre en 1981 sans que la CNCL ne l’empêche, bien trop marquée politiquement. La CNCL montrera par là son manque d’indépendance, et sera au final un échec politique imputable à un Premier ministre trop entreprenant...à droite.
Pour en revenir à Michel Droit, l’homme qui terminait son interview de juin 68 par un fort obséquieux "est ce que je peux me permettre de vous rappeler la deuxième partie de ma question, Général... ?" aura servi d’exemple, en définitive, à pas mal de présentateurs télé, y compris PPDA sans hésitation, même si l’inverse est fort récent chez lui. Par sa déférence et sa soumission davantage que par son talent. Son spectre va t-il bientôt hanter tous les plateaux ? Sans nul doute, à voir la tournure que prend depuis hier l’audivisuel français. Aujourd’hui, malheureusement il n’y a plus de Gainsbourg pour venir cracher dans la soupe. Et la relève tarde, la Star Academy n’étant pas vraiment un couvain à révolutionnaires ou à provocateurs.
(*)
- l’histoire de la fausse interview de Castro en 1991.
- l’histoire rocambolesque du bébé (Florian) sauvé d’IRAK.
- sa condamnation dans l’affaire Botton pour recel d’abus de biens sociaux, 15 mois de prison et 200 000 fr d’amende en 1997 pour avoir un peu trop aidé l’ascension de son beau-père le RPR Michel Noir .
- son enfant "secret", François, avec Claire Chazal, reconnu 10 ans après sa naissance.
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