L’autre

L’autre, écrivait Freud, se maintient tout au long de ma vie sous forme d’interdit ou de modèle, d’ami ou d’adversaire. Cette permanence de l’autre, d’habitude sous forme d’un surmoi plus ou moins assumé, reste l’attribut de tout homme apaisé, qui l’intègre, l’assume et l’utilise pour éviter la démesure, l’excès - et donc un regard critique dévastateur sur soi-même qui en résulterait - mais aussi pour éviter la déperdition de tout contrôle de ses propres actes. Ce qui est vrai pour l’homme reste vrai pour la société et ses manifestations, en en l’occurrence les élections. Il n’est donc pas étonnant que le candidat avec le surmoi le plus anémique rêve à haute voix de frontières et en fait l’éloge aux populations qui tendent d’éliminer la partie amicale de l’autre et à exalter sa partie hostile.
L’absence de surmoi devient endémique à condition que la mémoire, l’expérience, le vécu réel, s’affaissent. A condition que l’hybris agisse impunément, sans crainte des Érinyes. A condition que l’individu se place dans un vacuum hors de l’Histoire, hors de ses voisins, hors d’une continuité, traçant sa propre histoire et sous un prisme explicatif réducteur qui le ramène à tout expliquer à travers sa pathologie. Y découlent une série d’attitudes : déni de réalité, mensonges phantasmatiques répétitifs mais mobilisateurs qui ne craignent pas la sanction, fuite en avant, agressivité, etc. Ces attitudes et ces pratiques sont mobilisées pour l’érection de murs protecteurs contre l’autre, tandis qu’en fait, elles ne sont que des tentatives d’un combat contre soi même, visant à limiter le rôle d’un surmoi hélas toujours présent.
En écho, cet agissement rencontre ce que Wilhelm Reich déterminait comme une cuirasse caractérielle collective, c’est à dire, une névrose hystérique généralisée causée par la réalité (bas salaires, problèmes de toit, chômage, mal vivre) et/ou la crainte d’une précarité à venir qui réduisent de manière a historique la cause de ces malheurs à un Autre hypothétique.
Ainsi, et quel que soient les faits, la culture, l’économie, la Nation, l’architecture, l’éducation, la santé, la sécurité, et tout autre aspect de la vie sociale sont regardés sous le prisme d’une détérioration, d’une phobie, d’une crainte, toujours identifiés à une fin des limites (mondialisation) et à l’autre (étranger).
Or, ni le président, ni la cuirasse caractérielle collective ne sont dupes du fait qu’ils sont, eux aussi, le produit de cet Autre polymorphe. Mais ils investissent sur l’instantanéité : il y a là un refus obstiné d’assumer la complexité de l’Histoire et de tous les éléments de la vie sociale, voir le tropisme vers une mythologie qui les remplacerait.
Le conte de Baroncelli qui aimait la Camargue - à l’époque un espace marécageux occupé par des populations d’une extrême pauvreté -, importa de toute pièce mythe, us et coutumes, uniformes et traditions et lui donna sa forme actuelle, avec ses gauchos, ses arlésiennes, ses taureaux et tout le folklore. Cette transformation cinématographique devint la réalité, créa une mémoire collective et même une culture. Mais elle permit aussi de tourner le dos à la mémoire remplaçant un pays réel par un pays mythique qui ne se pense et ne se projette pas. Le vote massif FN dans la région témoigne et prévient de ce qui pourrait advenir à un peuple privé volontairement de surmoi : prendre le mythe pour la réalité, les bobards pour argent comptant, le futur pour le passé, les murs pour la sécurité. La rétractation volontaire de l’intelligence et de la pensée, le parti-pris de les stopper net comme médicament antidouleur, bref, le choix de devenir un crétin juste pour ne pas souffrir.
Le discours présidentiel est dévastateur. Mais le pire de ce qui véhicule est l’espoir d’administrer des idiots, juste pour avoir la joie de rester incontestable. Cette offense à l’entendement, cette mystification simplificatrice produit des sujets craintifs à la place de citoyens adultes.
En ce sens, c’est un déni absolu de démocratie.
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