L’élève Sarkozy a (largement) dépassé le maître Chirac
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Souvenez-vous de la scène : un homme abattu, qui vient de sortir de prison, où il a vainement attendu de l’aide de la part de ses anciens amis, vidé, au bout du rouleau, se sachant condamné par la maladie, décidait de laisser un testament sous forme de cassette enregistrée dans laquelle il allait expliquer ses années de travail au sein de son parti. Celui consistant à rabattre l’argent, à fabriquer des fausses factures et à faire transiter des enveloppes en numéraire. Cet homme, c’était Jean-Claude Méry. "Intarissable, Méry désigne avec insistance Michel Roussin comme le superviseur du système raconte cet épisode sidérant qui va, bientôt, être repris en boucle par tous les médias du pays : en 1986, alors que Jacques Chirac était Premier ministre, il affirme avoir apporté à l’hôtel Matignon une commission occulte versée par la Compagnie générale des eaux, en contrepartie du marché de chauffage des HLM de Paris - ce qu’il appelle fièrement « une opération d’encaissement de fonds assez prestigieuse ». « Je vais porter l’argent moi-même dans le bureau de M. Michel Roussin, chef de cabinet de M. le Premier ministre. M. le Premier ministre va s’asseoir en face de moi (..). Après avoir parlé de qui avait donné l’argent, pourquoi l’argent avait été donné, ce que nous avions fait (...), m’être entendu féliciter par M. Chirac parce que je savais gagner de l’argent (...), ce jour-là, j’ai remis les cinq millions de francs en argent liquide directement sur le bureau de M. Roussin, en présence de M. Chirac". (in "L’irresponsable, une présidence française 1995-2007, Hervé Gattegno, "le livre du mois", novembre 2006, page 126).
Finalement, c’est donc cela : Eric Woerth n’est autre qu’un Michel Roussin bis, à vrai dire. Un Michel Roussin, un gendarme devenu ancien directeur de cabinet de Jacques Chirac et ancien ministre de la Coopération d’Edouard Balladur, qui, en bon militaire (de la DGSE) obéissant aux ordres, acceptera de se faire envoyer en prison, à la place de son chef, non sans avoir tenté toutes les ressources judiciaires pour repousser l’échéance : mis en examen le 14 novembre 1994 et condamné fin 2005 pour "complicité et recel de corruption" à 4 ans de prison (avec sursis), 80 000 euros d’amende (30 000 euros pour son "équipier" Louise-Yvonne Casetta, qui a travaillé avec Eric Woerth, quel curieux hasard...) et 5 ans de privation des droits civiques, il fera appel, mais cette condamnation sera prononcée à nouveau le confirmée le 7 novembre 2006 : en cassation, il perdra également le 20 février 2008.
En homme méfiant, il avait gardé, semble-t-il, des biscuits avec lui : sa boîte à malices a été dénichée tout en haut de la tour Bolloré où il avait ses nouveaux bureaux. Par des hommes bien renseignés, comme j’avais pu l’écrire ici-même :"Ça commence le 13 avril 2005, où les bureaux de Michel Roussin, dans la tour Bolloré, à Puteaux, sont visités. Logique, à l’époque, il est le vice-président du groupe... Bolloré (celui qui prête ses Falcon et ses yachts au président). Ancien directeur du SDECE et de la DGSE, on lui prêtait l’idée saugrenue d’avoir enregistré quelque part... (sur cassette vidéo ?) certaines choses compromettantes pour le pouvoir qu’il a longtemps servi, à savoir Jacques Chirac, à qui il a servi de paravent judiciaire jusqu’au bout". Une deuxième tentative aurait même été effectuée, selon Gattégno, caractérisée par lui de "menace" (**). Un Michel Roussin, qui, interviewé à la veille de l’élection présidentielle sentait son petit cœur vibrer si fort en déclarant que "je dois vous avouer que ma culture me pousse vers Nicolas Sarkozy". Sa culture des enveloppes, sans aucun doute.
Les relations de Jacques Chirac et de Michel Roussin s’étaient en effet très nettement détériorées lors de l’élection présidentielles de 1995, l’ancien gendarme ayant choisi, avec Nicolas Sarkozy, le camp de Balladur. Vu par un bloggueur ayant une bonne plume ("Oncle Bernard"), ça donnait ça : "En 1994, j’ai fait une connerie. J’ai trahi Jacques pour Couille-Molle. Jacques était accablé. II a décidé de "déroussiniser" le RPR. J’ai dit : « Jacques, je sais tout. Tout sur les Services secrets, tout sur l’Afrique, tout sur la Mairie de Paris. Je sais tout sur ta famille. Sois prudent. » Il m’a filé prudemment la présidence de SAE International, plus un poste d’administrateur dans une finale d’Erap, et j’ai pu financer le Transgabonais, la filière de l’uranium à Franceville, quelques hôtels à Rangoon. Ensuite, il m’a prudemment nommé au Conseil économique et social. Bon. Je cracherai pas le morceau. Enfin..." Notre bloggueur expliquant à sa manière les fameux "biscuits" si bien cachés et si longtemps recherchés :"maintenant, je le dis tout net : on m’emmerde pour l’affaire des HLM de Paris ! Les HLM de Paris, moi qui tiens dans ma main tout le continent africain ! Qui ai constitué un réseau plus puissant que ceux de Foccard et Pasqua réunis ! C’est un peu comme si on me foutait en taule pour un stationnement interdit, voyez ?"... c’est un peu ça aussi qui arrive à Eric Woerth, en définitive. Pour l’instant, il tente encore de nous faire croire qu’il est simplement mal garé sur le parking de la République... alors qu’il doit être en train de ranger frénétiquement ses dossiers de l’Oise dans une autre boîte à biscuits... informatique. On trouverait bientôt une tentative d’effraction chez lui que j’aurais beaucoup de mal à y voir une simple manifestation des intrusions habituelles d’été... au pays de la sécurité tant vantée, c’est fou ce qu’on a pu voler comme ordinateurs ces dernières années...
Heureusement, Eric Woerth peut compter sur ses amis. De l’UMP, ainsi Luc Chatel, qui n’a pas fait vraiment dans la dentelle cette après-midi nous rapporte 20 Minutes : "Interpellé par le député PS Christian Eckert sur les révélations de l’ex-comptable de Liliane Bettencourt, Eric Woerth cède la parole à Luc Chatel, porte-parole du gouvernement. Ce dernier fustige le Parti socialiste, qui « a transformé le principe de présomption d’innocence et principe de culpabilité ». Et de citer Simone Weil, Michel Rocard, Jean Jaures ou encore Léon Blum..." une envolée un peu osée, quand on rappelle simplement que Luc Chatel a passé douze années de sa vie au sein de chez l’Oréal... qu’il a quitté pour entrer au gouvernement !
Michel Roussin aurait pu aussi être un Alain Joyandet bis : il avait eu aussi maille à partir avec la justice pour... sa villa du Var, à Grimaud : des travaux y avaient été faits par une "Société de Construction Générale et de Produits Manufacturés" (ou SCGPM), que l’on retrouvait aussi dans des factures douteuses au nom de Didier Schuller, mais également pour des règlements suspects effectués auprès de Jean-Claude Méry (retour au même individu, décidément)... le monde est bien petit, me direz-vous. Très petit et très inquiétant : dans l’histoire de sa villa du Var, un homme, Michel Mauer, l’ex-PDG de la Cogedim (mouillée dans les fausses factures de la mairie de Paris elle aussi !) avait acheté six lots à bâtir, et Roussin avait hérité de l’un d’entre eux à la moitié seulement de sa valeur, selon la presse. Deux autres acheteurs parisiens, Albert Auliac et un autre ancien directeur de la Cogedim, Gilbert Chapron, bras droit de Mauer, avaient acheté chacun un lot. Et étaient tous deux morts subitement : le premier dans un accident de voiture, le second "naturellement" -d’une crise cardiaque-), mais son corps avait été néanmoins exhumé, au cas où. Pour Auliac, c’était encore plus troublant : "Quant à Albert Auliac, la direction départementale de l’Equipement venait de refuser de lui délivrer le certificat de conformité pour sa maison. Peu de temps après, il avait retiré 200 000 francs en liquide à sa banque. Selon lui, la mallette qui contenait l’argent lui avait été volée sur le chantier de sa maison. Il est mort dans un accident de la circulation à Cogolin (Var). Sa voiture est sortie de la route dans une ligne droite pour une « raison indéterminée ». Une enquête a été ouverte et confiée à la gendarmerie locale. Fait troublant : Albert Auliac devait être entendu par le juge Halphen..."
Un juge Halphen qui va instruire le dossier Méry, et finir par abandonner, lassé par les pressions politiques (handicapé il est vrai aussi par l’affaire de son beau-père... et au final par le décès de Méry en juin 99 !). "Si Eric Halphen persistait à dérouler la pelote des fausses factures du RPR, d’autres ministres, après Michel Roussin, allaient forcément tomber. Michel Giraud, le ministre du Travail, et pourquoi pas Nicolas Sarkozy ou encore Charles Pasqua, tous deux élus des Hauts-de-Seine, département qui intéresse particulièrement le jeune magistrat de Créteil" pouvait-on lire à l’époque : car déjà, au temps de l’épisode Méry, l’actuel président figurait déjà au casting. Mais pas seulement lui, enfin pas tout de suite : l’histoire a parfois de ces retournements inattendus...
Cette cassette si sulfureuse (que DSK a eu a lui aussi en copie, ne l’oublions pas !), les français la verront, un peu médusés, en 2000 seulement, dans une toute nouvelle émission de télévision sur France 3, intitulée " Pièces à conviction", avec le reportage signé Emmanuel Gagnier sur les tribulations de cette fameuse cassette. "Rappelons que c’est Pièces à conviction qui a diffusé la cassette Méry, aucune rédaction de France ne voulait se mouiller. " affirmera en 2008 Lionel de Coninck, l’un des ses créateurs. Cette émission avait été acceptée, avec ce premier numéro en fanfare par un tout nouveau directeur de FR3. Un homme qui désirait ainsi sans doute marquer son indépendance vis à vis du pouvoir, semble-t-il. Un patron de chaîne qui avait donc entendu Elise Lucet, en vanter les mérites : "je crois que les patrons de chaîne ont été surpris de l’intérêt des téléspectateurs pour ce type de programmes ( ...) Je crois aussi que les magazines d’enquête ont fait beaucoup de progrès dans la mise en images, la fluidité. Ça n’est plus réservé à une élite, tout le monde peut comprendre certains enjeux même si les sujets sont parfois très compliqués. En tout cas, c’est bon signe !". Or, ironie mordante de l’histoire, c’est que ce tout nouveau directeur s’appelait Rémy Pflimlin, tout juste nommé par Nicolas Sarkozy, qui a dû sans doute oublier le "coup de la cassette Méry", avant de le choisir comme candidat pour la direction de France Télévisions... "un scoop toujours d’actualité" pourtant, en disait il n’y a pas si longtemps encore Edwy Plenel.... un autre "scoop" en forme de boomerang dans la figure, ce soir, que cette fameuse cassette "autorisée" à la diffusion par le chouchou audiovisuel de l’Elysée ! Ce dernier autorisera-t-il des reportages sur les avoirs de Bettencourt en Suisse ? Ou attendra-t-il que les banques suisses se lâchent ? Aura-t-on droit à une visite du Cercle de France", ?Aura-t-on droit à des informations sur l’autre poupée russe du dossier, à savoir le tout aussi étonnant dossier de Sylvia Wildenstein, héritière des avoirs de l’homme aux casaques bleues, toques claires, dans lequel apparaît également... Eric Woerth ?
PS : je suis retombé sur le dossier Méry avec ce superbe cliché associant Méry, Chirac et Sarkozy sans m’apercevoir qu’un de nos meilleurs rédacteurs ici, j’ai nommé Imhotep, l’avait déjà utllisé en une en novembre dernier. J’espère qu’il me pardonnera cette redite : on peut aussi relire son dossier, c’est ici... en conclusion il y avait ce superbe : "Que nous avons la mémoire courte !" Effectivement : ce sont bien les mêmes qui ont.... recommencé.
(*) En confiant cela à de "petites mains", parmi lesquelles celles de Gaston Flosse, englué dans un autre scandale de la Chiraquie : celui de la disparition (sinon du meurtre, d’après un témoignage accablant d’un homme retrouvé mort lui aussi quelque temps après) d’un journaliste trop embarrassant, Jean-Pascal Couraud. En 1997, au plus fort du scandale Méry...qui avait commencé à enregistrer sa cassette le 24 mai 1996. L’homme décédé peu de temps après son aveu s’appelait Vetea Cadousteau, et c’était un ancien membre du "Groupement d’Intervention de la Polynésie (GIP)", la garde prétorienne de Geston Flosse. Jean-Pascal Couraud, "JPK", enquêtait sur les supposés comptes japonais de Jacques Chirac, dans lesquels Flosse avait un rôle important semble-t-il. Un autre reportage signé Elise Lucet... encore du FR3, et encore indirectement Rémy Pflimlin ! "Les sommes considérables versées par l’Etat sans contrôle"... dit la présentatrice... une version tahitienne des enveloppes Méry ?
(**) "La menace : un cambriolage commis dans son bureau, dans la nuit du 21 au 22 mars 2005, au dix-septième étage de la tour Bolloré, où il exerce les fonctions de vice-président du groupe éponyme. Le procès de l’affaire des lycées franciliens était alors en cours depuis trois semaines. Dans ses tiroirs, l’ancien ministre gardait son dossier et les notes qu’il avait prises pour préparer sa défense. La porte avait été forcée sans que le système d’alarme soit déclenché et les intrus s’étaient laissé filmer dans les couloirs par les caméras de surveillance, pourtant aisément repérables. L’enquête ne donna rien mais quelques mois plus tard, après la fin du procès, une seconde effraction fut commise - qui, elle, ne fut jamais connue". (Hervé Gattegno, "L’irresponsable, une présidence française 1995-2007", page 212)
Ouvrage de référence : "L’irresponsable, une présidence française 1995-2007", Hervé Gattegno, "le livre du mois", novembre 2006, le Club du Livre.
Documents joints à cet article
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