L’enfumage de l’orientation : classements, diplômes, impossible de s’y retrouver, les grandes écoles de commerce dans le brouillard
C'est le moment de l'orientation post bac, la presse multiplie les classements et valorise de nouvelles formations, les BBA.
Attention brouillard
Après avoir enseigné en CPGE commerciales pendant 35 ans j’ai pris ma retraite mais aussi le temps du recul. J’avoue quelques inquiétudes devant un certain nombre d’évolutions insidieuses de cette filière.
Ma première inquiétude porte sur l’enfumage des diplômes destiné à valoriser une formation lucrative inventée par certaines écoles : le « bachelor » ou BBA.
Ces formations coûteuses ne délivrent ni le grade de licence ni celui de master. Même titulaire du BBA Essec ou ESCP, l’étudiant aura pour seul grade… son baccalauréat de la fin de terminale .Les étudiants du programme Grande école de l’ESSEC, de l’ESCP, de l’EDhec et de bien d’autres écoles seront demain concurrencé par des EDHEC, ESSEC… recrutés à bac +zéro…..
Les écoles transformées en facs de luxe auraient-elles encore besoin des Cpge pour recruter ? Pourquoi ne recruteraient elles pas uniquement sur les premiers cycles universitaires quitte même à en mettre en place de payants, les très chers « bachelors ». Les prépas elles sont gratuites ou peu coûteuses.
Les bachelors ou BBa menacent de mort les CPGE.
Il est assez curieux de retrouver sous un même habillage « moderniste » la dénonciation des prépas jugés élitistes, le souhait de voir les universités devenir plus sélectives, la mise en place d’écoles à l’américaine.
On retrouvera des libéraux souhaitant moderniser, c’est à dire américaniser notre système éducatif : l’institut Montaigne, Benoist Apparu.
On y trouvera tous ceux qui considèrent le système français trop élitiste : des politiques comme Vincent Peillon, Benoit Hamon, des sociologues comme Monique Dagnaud, le Café pédagogique et à peu près tous les journalistes s’intéressant à l’éducation.
Ma deuxième inquiétude porte précisément sur l’enfumage des classements .
La presse multiplie les classements, invente des critères et se mélange les pinceaux entre doubles diplômes et doubles compétences. Nous apprenons qu’un ESC Montpellier obtient en débutant le salaire que peut espérer un Hec dans la réalité…
Challenges vient de publier son classement des écoles de commerce. Les efforts sont notables et bien des critères semblent sérieux. On peut cependant s’interroger sur les résultats.
Une fois de plus les auteurs du classement n’osent pas toucher aux parisiennes même si certains chiffres sont surprenants. C’est en dessous que l’on peut tout chambouler et faire le buzz…
Le miracle de Kedge, celui de l’EM Strasbourg, la déconvenue de l’Edhec(derrière Kedge), la déroute de Audencia , la tragédie de Neoma . Ces deux écoles passent derrière Strasbourg Montpellier et bien d’autres. Réalité ou mystification ?
Les institutions de province les plus solides et les plus fidèles aux prépas sont massacrées au profit d’écoles post bac ou recrutant majoritairement hors de la filière CPGE.
J’ai voulu comprendre et j’ai repris tous les classements, la méthodologie et les critères et mon inquiétude a été démultipliée.
Un certain nombre d’écoles ont fait le choix de sous-traiter une partie de la formation qui est même effectuée gratuitement par l’université, l’école se contentant de prélever des frais de scolarité pas toujours justifiés.
De telles pratiques appelées « doubles diplômes » sont valorisées systématiquement dans les classements des écoles de commerce publiés par la presse.
Le classement Challenges veut prendre en compte les doubles diplômes. Bonne initiative complètement détournée de l’objectif.
L’Etudiant commet la même erreur mais le critère du double diplôme est plus dilué dans son classement. Le critère permet cependant de découvrir que c’est l’EDC qui fabrique le plus de doubles diplômés… Notons que l’Etudiant oublie Hec dans son classement.
Qu’apporte sur le marché un diplôme de gestion complété d’un diplôme de gestion de même niveau ? Rien. Pourtant le classement fait de cet artifice un point positif.
Un diplôme de gestion complété d’un diplôme d’ingénieur ou de droit, c’est autre chose, cela correspond à une double compétence. La presse ne fait pas la différence.
Les classements sont donc contestables. Confondre doubles diplômes « jumeaux » et doubles diplômes avec doubles compétences est une faute.
Une école peut très bien bénéficier de ses faiblesses. Si elle soustraite à une université une formation pour laquelle elle n’est pas habilitée, ses étudiants seront titulaires d’un double diplôme. L’école sera bien classée…
Exemple Skéma et Strasbourg laissent à l’université la préparation au DSCG , Neoma les forme elle-même. SKema ou EM Strasbourg seront créditée de nombreux doubles diplômés . La chute de Neoma s’explique par … ses points forts . Le Dscg, le Cfa y sont préparés en interne dans d’excellentes conditions.La direction de Neoma a bêtement déclaré les seules doubles compétences. Un scrupule qui ne pardonne pas.
Le double diplôme CCa de SKEMA (formation à LILLE2) n’apporte rien de plus que le parcours expertise DSCG des autres écoles (EDHEC, AUDENCIA, GEM, NEOMA) où la formation se fait en interne
Idem pour l’autre Double Diplome pour préparer le cfa etc.
Montpellier organise systématiquement ses formations en partenariat avec l’Iae ce qui permet de délivrer des doubles diplômes qui ne sont pas de doubles compétences.
Le critère de double diplôme ne devrait prendre en compte que les vraies doubles compétences : droit, ingénieurs, culture, philosophie …. L’Edhec qui met en place une vraie double compétence en droit ne voit pas ses efforts reconnus , c’est la même chose pour Audencia ou l’ICN.
Les revues s’honoreraient à reprendre leurs classements. Malheureusement les classements se suivent, se ressemblent
Le classement du Figaro me laisse dubitatif. Le journal se veut prudent, il ne communique pas sa méthodologie, il accorde surtout une énorme place à la reconnaissance vérifiée par les accréditations internationales. Mais comment attribuer pour ce critère 100 points à Hec , à l’Essec, à Toulouse et seulement 93 à Lyon ? Elles ont toutes la triple accréditation.
Pourquoi l’IESEG qui n’a pas la triple accréditation obtient elle 94 points ?
Pourquoi 93 points à Skema et seulement 79 à Neoma qui a la triple accréditation ? Pour cette école ce critère sera fatal dans le classement du Figaro. Sans cette aberration Neoma serait 9eme.
Pourquoi donner le même nombre de points à une école avec trois accréditations (Neoma, Rennes) et avec une seule (Strasbourg, Montpellier).
Aberrant.
Challenges fait du nombre d’entreprises incubées un critère discriminant. Pourquoi pas mais les résultats de l’enquête interpellent …
Aujourd'hui, l'incubateur de l'EDHEC a accompagné la création de 12 nouvelles entreprises qui ont conduit à la création de 30 emplois. On compte actuellement 50 projets en cours de développement.
L’enquête de Challenges découvre …. 148 entreprises incubées, trois fois plus que la réalité.
Challenges trouve 104 entreprises incubées à l’EM , L’Etudiant fait mieux et en trouve.. 134. Sur son site l’école en avoue… 24
Que penser du chiffre donné pour Skema, 55 entreprises actuellement incubées ? Combien sont-elles par bureau ?
L’incubateur Tonic dans le Nord est modeste avec seulement dix bureaux, les entreprises n’y demeurent que jusqu’à la création de leur identité juridique, ainsi 40 entreprises ont été aidées depuis la création en 1999. Celui de Sophia Antipolis a incubé depuis 2001 146 entreprises et le site donne les noms de 7 entreprises actuellement incubées.
Comment Challenges arrive-t-il à 55 ?
Le poids des salaires dans les classements est considérable. Pour le classement Challenges, les surprises s’expliquent entièrement par ces écarts.
Kedge est devant l’Edhec, Grenoble, Audencia, Neoma et TBS car les salaires retenus seraient supérieurs à ceux de tous les diplômés de ces écoles, ce que ne confirment pas nos informations.
Montpellier enfonce également toutes les écoles ci-dessus (sauf l’Edhec ) avec des salaires retenus à faire rêver des Hec…. La situation est la même pour Strasbourg.
Les classements nous ont beaucoup surpris et les écarts avec les études les plus sérieuses d’avantage encore. Le microcosme français s’intéresse à un des multiples classements du FINANCIAL TIMES, celui du master généraliste en management
http://rankings.ft.com/businessschoolrankings/masters-in-management-2015
Permet-il pour autant de comparer les masters Grande ECOLE français ? Pas vraiment car certains établissements apparaissent avec un master spécifique non le diplôme grande école. La stratégie payante consiste à faire prendre en compte une formation d’excellence, très internationalisée avec des rémunérations élevées pour les anciens. Il est ainsi possible de booster son classement.
Le bon rang de Grenoble doit sans doute au classement à partir non de son diplôme « grande école » mais du MASTER INTERNATIONAL BUSINESS, excellent mais qui n’a rien à faire là. Il s’agit d’un master spécialisé sélectif. Audencia l’a compris et elle n’est plus classée cette année sur le master qu’obtiennent un millier d’étudiants par an mais sur le double diplôme obtenue chaque année par 83 étudiants de l’école Centrale (104 en 2015)…
http://en.grenoble-em.com/master-international-business-mib
Pour Skema qui diplôme plus d’un millier d’étudiants chaque année dans son grade master le Financial times ne les prend pas tous en compte loin de là.
Faut-il reprocher aux écoles de définir une stratégie de communication à l’égard du Financial times ?
Les établissements étrangers l’ont compris depuis longtemps ils sont donc pris en compte pour un de leurs multiples masters, habilement choisi.
Les effectifs y sont toujours réduits : 36 pour le premier de la classe, SAINT GALLEN contre plus de 1000 pour KEDGE et NEOMA.
Je vous invite à télécharger le pdf accessible sur dropbox.
https://www.dropbox.com/s/3qww3bbwzb55ynx/guide%20-%20PROM.pdf?dl=0
Si vous partagez les analyses n’hésitez pas à le diffuser.
Vous trouverez sur mon blog plusieurs analyses impertinentes
Vous pouvez également trouver sur Amazon le guide critique destiné aux terminales, aux étudiants de Cpge ou d’école.
Je ne voulais pas assister sans réagir à la disparition programmée et silencieuse d’une filière à laquelle j’ai consacré une bonne partie de ma vie. Personne ne manifeste contre des classements ou contre la multiplication des BBA. Mais l’enfumage actuel n’est pas acceptable.
P Gibertie
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