L’énigme de la bête du Gévaudan
Le 30 juin 1764, le corps mutilé de Jeanne Boulet, une bergère de quatorze ans, est découvert proche de Langogne. La jeune fille victime du démon est enterrée sans cérémonie religieuse. Au mois d'août on déplore quatre victimes supplémentaires, et autant le mois suivant. Les victimes ont entre 14 et 20 ans, exceptée Marie Hébrard âgée de 36 ans découverte égorgée dans son jardin des Estrets, paroisse d’Arzenc de Randon. Du 30 juin 1764 au 19 juin 1767, une centaine de personnes est victime de la Bête du Gévaudan, une région pauvre située à cheval sur la Lozère, la Haute-Loire et le Cantal.
À l’automne 1764 le capitaine Jean-Baptiste Duhamel originaire de la région recrute des habitants pour traquer la bête. Duhamel émet l’hypothèse : « Cet animal est un monstre dont le père est un lion ; reste à savoir quelle en est la mère ». Les battues ne donnent aucun résultat, le 05 novembre 1764, cinquante-six dragons arrivent à Saint-Chély d’Apcher qui concentre les attaques de la bête. Un fait surprend, lorsqu’une battue se déroule dans un secteur donné, la Bête passe à l'attaque à plusieurs lieux de là ! La bête devient une hantise nationale. L'échotier François Morénas du Courrier d’Avignon publie une série d'articles : la bête a le regard du diable et l’intelligence d’un « gladiateur rusé ». Fin 1764 il compare la bête au lion de Némée et à d’autres monstres terrifiants.
En janvier 1765 le journal relate les témoignages de rescapés après leur face-à-face avec la Bête. Une sizaine de garçons armés d’un bâton prolongé d'une lame de couteau ont repoussé la Bête. Louis XV récompense le groupe de garçons et offre une instruction à titre gracieux à Portefaix, le chef de bande. Au mois de mars, Jeanne Jouve a combattu la bête pour protéger ses trois enfants ; l’un d’eux, âgé de six ans, a succombé à ses blessures.
Les nouvelles sont colportées à travers le Royaume par les voyageurs, les pèlerins et les contrebandiers. Le roi envoie ses propres chasseurs placés sous le commandement du louvetier Jean-Charles Vaumesle d’Enneval d’Alençon. Le 22 janvier 1765, près de Chabanolles, aux limites de l’Auvergne et du Gévaudan, on retrouve la tête, décapitée de Jeanne Tanavelle 35 ans. Le tronc est découvert le lendemain dans un champ à deux cents pas, la poitrine et le ventre sont en charpie, ses vêtements déchiquetés. Dans les campagnes on dresse des chiens pour chasser « la Bête ». Le 1er mai 1765, les frères Marlet aperçoivent la bête près du « Malzieu » en fin d'après midi. La « Bête » blessée par leurs tirs parvient à s'échapper. Le lendemain, le capitaine Duhamel reprend la traque avec une vingtaine de dragons. Tous pensent que la bête est allée se terrer pour mourir. Dans l'après-midi une femme est tuée près de « Venteuge ».
Les hommes mobilisés ne peuvent assurer les récoltes et participent aux battues le ventre vide. Les passages des chevaux dans les récoltes n'améliorent pas leur situation. La population finit par se plaindre de la soldatesque indisciplinée qui vit sur le pays et ses habitants. Duhamel et ses dragons se doivent de quitter la région sur ordre de Louis XV. Le Roi expédie Sieur Denneval et son fils, deux louvetiers Normands, afin d'éliminer la bête qui continue à tuer et à terroriser les habitants. Marie-Jeanne Vallet, la « pucelle du Gévaudan » qui a mis la bête en fuite après l’avoir blessée au poitrail avec une baïonnette en donne un signalement effrayant. Comment « la Bête » parvient-elle à déjouer tous les pièges et à éviter les battues ? La théorie d'une bête « dressée » par un homme commence à circuler à côté de celle d'un loup garou. Durant des mois les Denneval vont abattre de nombreux loups, mais quand on leur ouvre l'estomac pour en examiner le contenu, on n'y trouve que des os d'ovins.
Au mois d’octobre 1764, treize attaques font sept victimes dans les alentours d’Aumont-Aubrac. Trois ont été décapitées et six blessées. Le mois suivant connaît six attaques et une victime, une femme de soixante ans décapitée. Au mois de décembre douze attaques font six morts dont 3 décapitations. Louis XV envoie François Antoine de Beauterne, son porte-arquebuse et lieutenant des chasses. La petite troupe arrive le 22 juin au Malzieu. François-Antoine préfère l'affût à la chasse. La mésentente avec les Denneval est totale, ces derniers quittent le Malzieu le 18 juillet. Qu'il pleuve ou fasse nuit, de Beauterne est à l'affût caressant l'espoir de pister la Bête jusqu'à sa tanière. Le 17 septembre 1765 il abat un loup de belle taille au Bois de Pommier, et tue la louve et ses louveteaux. Persuader qu'il tient la « Bête », il fait empailler son trophé avant d'en expédier la dépouille à Versailles. Le roi déclare : « La Bête est morte, je l'ai fait tuer par mon Porte-arquebuse », Antoine de Beauteme est anobli.
La « Bête » refait parler d'elle deux mois plus tard. Le Royaume de France de 1766 compte environ 20 000 loups, et on y recense une centaine d'attaques de loups. Entre décembre 1765 et le 19 juin 1767, on dénombre une trentaine de victimes alors qu'en Gévaudan une centaine de loups a été abattue ! Les hommes du roi ayant quittlé la région, la protection des habitants est dévolue au marquis d'Apcher. La « Bête » est signalée dans la paroisse de « Nozeyrolles » où elle aurait tué Jeanne Bastide âgée de 19 ans. Le marquis organise une battue dans les bois de la « Ténazeïre » accompagné de quelques volontaires parmi lesquels figure Jean Chastel, chasseur et braconnier. Le 19 juin 1767 Chastel abat un animal de grande taille à la Sogne d'Auvers, l'animal semble apparenté à un loup-cervier. Les témoignages sont contradictoires, la créature abattue a une tête « hideuse » et un manteau rouge, blanc et gris ! « C’était un animal fantastique de la taille d’un veau ou d’un âne. Il avait le poil rougeâtre, la tête grosse assez semblable à celle d’un cochon, la gueule toujours béante, les oreilles courtes et droites, le poitrail blanc et fort large, la queue longue et fournie avec le bout blanc ».
Le nom des Chastel revient souvent dans les récits de la Bête du Gevaudan. Jean Chastel fut emprisonné pour avoir fourvoyé des gardes-chasses royaux. Deux cavaliers, Pélissier et Lachenay, se frayant un passage à travers bois croisent Jean Chastel accompagné de ses fils, Pierre et Antoine, de leur demander s'ils peuvent s'y déplacer en sûreté. Jean Chastel leur répond qu'ils le peuvent. Les cavaliers ne vont pas loin, les montures s'embourbent sous les rires goguenards des trois paysans. Les Chastel seront emprisonnés à Saugues (1765). Des auteurs avancent que les Chastel étaient protégés par un personnage important auquel ils doivent leur libération, de faire remarquer que les attaques furent plus rares pendant leur emprisonnement.
Jean Chastel fut bouleversé par la mort de la jeune Marie Denty qu'il avait pris en affection. Quelques semaines après son inhumation (17 mai 1767), Chastel fabriqua des balles qu'il fit bénir avant d’approcher la bête et de l'abattre. Un fait intrigue, la Bête a semblé n'avoir manifesté aucune crainte... Quand la « Bête » est présentée au roi, celui-ci demande que l’on enterre cette « charogne ».
Antoine Chastel a quitté la région pour l'Afrique où il est devenu garçon de ménagerie avant d'être capturé en Méditerranée par des pirates musulmans. Revenu au pays, il aurait élevé une hyène comme un chien. Le curé de Lorcières de faire remarquer que : « la Bête ne s’est jamais approchée des parcs aux brebis et qu'elle délaissait les appâts ». Une hyène a des mâchoires bien plus puissantes que celles d'un loup, trois tonnes au cm2 contre 150 kg ! L'animal a une espérance de vie d'une vingtaine d'années, et est capable de s'attaquer à des êtres humains. Le 27 juin 2016, une hyène a attaqué un adolescent de 15 ans qui dormait sous tente et de le traîner à l'extérieur (Crocodile Brid Camp parc Krooger).
Le biologiste Karl-Hans Taake pense que la Bête était un jeune lion échappé d'un cirque, et que la crinière juvénile a pu sembler étrange à des paysans. Le lion aurait fini par mourir après avoir ingéré des appâts empoisonnés. Selon l'artiste peintre et conteur Gérard Lattier : « C’est aussi une histoire de riche et de pauvre, une histoire de pouvoir. Le roi Louis XV avait envoyé 3 000 dragons pour tuer la bête. Jusqu’au moment où apparaît Jean Chastel qu’on prend pour un sorcier. (...) Quand il la croise, elle s’avance, il dit la litanie de la Vierge noire et il tue la bête ». Pour l'église, la Bête est envoyée par Dieu pour punir les hommes de leurs péchés, l’évêque de Mende de qualifier la Bête « de fléau divin ». Récemment, l’évêque de Viviers a demandé pardon et célébré la messe en mémoire de Jeanne Boulet, la petite bergère de quatorze ans victime du démon enterrée sans cérémonie religieuse.
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