L’ensorcellement publicitaire dans une affiche d’Harry Potter : le leurre de la pression du groupe
Pour ne pas revenir bredouille, le pêcheur choisit les leurres qu’affectionne le poisson. La truite, par exemple, saute, à certaines périodes de l’année, sur les mouches à la surface de l’eau ; elle gobe donc aisément une mouche artificielle. Le stratège publicitaire adopte la même conduite : le leurre qu’il agite devant ses « cibles » est celui auquel elles ont l’habitude de mordre. On peut ainsi mesurer le degré de discernement des individus visés à la qualité du leurre qui leur est réservé.
Quel est par exemple celui qui est actuellement employé par la campagne de promotion du nouveau film dont Harry Potter est le héros ? En incrustation sur une image du héros, baguette magique à la main, prisonnier d’un récif battu de vagues furieuses sous une lumière blafarde, en compagnie de Dumbledore, le directeur de l’école de sorcellerie, on peut lire le slogan suivant : « Déjà 5 millions de spectateurs ensorcelés »
Le leurre d’appel conformiste
À l’évidence, l’argument employé pour appâter le chaland est le nombre considérable de spectateurs qui ont déjà vu le film. Un raisonnement implicite est insinué : si 5 millions de personnes sont allés voir le film, c’est la preuve qu’il est bon, car, selon une idée reçue, un grand nombre de personnes qui plébiscitent une œuvre, ne peut se tromper ; c’est l’indice même de son excellence.
Or rien n’est plus faux ! On reconnaît le leurre d’appel conformiste tiré de la pression que le groupe exerce sur l’individu. On a eu souvent à l’analyser sur AGORAVOX, tant la publicité en use et en abuse. Et, à cette fin, on a dû régulièrement évoquer les travaux de Solomon Asch, effectués entre 1953 et 1955, à l’Université de Pennsylvanie (USA). Ceux-ci consistaient à présenter à un groupe de 8 à 10 individus des cartes par couple : sur l’une, trois segments de très inégale longueur, sur l’autre un segment solitaire. Chacun avait à indiquer lequel des trois segments était égal au solitaire. Seulement, dans le groupe, un individu, sujet de l’étude, ignorait que tous ceux qui l’entouraient, obéissaient à Solomon Asch pour livrer des égalités fantaisistes, allant jusqu’à prétendre qu’un segment de 5 cm était égal à un autre de 20.
Les leçons des expériences de Solomon Asch sur la pression du groupe
Les leçons tirées de l’expérience sont cruelles. 1- D’abord, nul ne sort indemne d’une confrontation avec le groupe. 2- Ensuite, 36,8 % des sujets acceptent de renoncer à leur propre perception pourtant juste afin d’adopter celle du groupe manifestement erronée. 3- Quant aux autres qui maintiennent leur point de vue face au groupe, ils sont minés par un doute délétère, car, se disent-ils, ils ne peuvent avoir raison tout seuls devant un groupe unanime qui se tromperait ; ils vont même chercher des explications illusoires, comme, par exemple, un problème d’illusion d’optique dont ils seraient victimes.
Le groupe paraît être, en effet, l’expression d’un pluralisme d’opinions qu’on sollicite quand on enquête : « Unus testis, nullus testis », dit l’adage juridique romain, un seul témoin équivaut à aucun témoin. Seulement, dans le cadre de l’expérience de S. Asch, ce pluralisme est factice puisque le groupe obéit à ses directives : il ne représente donc qu’une seule opinion.
D’autre part, le groupe passe à tort pour être le critère de « la normalité ». Malheur à celui qui ose s’en différencier ! L’opération est psychologiquement et socialement coûteuse. Le coupable passe pour « anormal ». Il est, au contraire, si confortable et rassurant de se conformer à l’opinion du groupe.
On comprend que le leurre d’appel conformiste soit aussi fréquemment employé. Il déclenche invariablement le réflexe de soumission à la pression du groupe. Comme la truite qui ne fait pas la différence entre la mouche naturelle et l’artificielle, les individus qui sont comme ici visés par le leurre d’appel conformiste, sont trop frustes pour avoir gardé le souvenir des égarements du groupe dans l’Histoire s’ils en ont jamais entendu parler. L’École, corrompue par le formalisme le plus échevelé, se garde bien de les leur apprendre.
Le mot « ensorcelé » employé dans le slogan est, du coup, tout à fait approprié mais dans un sens bien différent de l’image qu’il exprime ici. Il est, en effet, prétendu que les 5 millions de spectateurs sont tombés sous le charme du sorcier Harry Potter. L’ensorcellement dont il s’agit est le leurre de cette publicité qui consiste à faire croire à des gens ignorants que l’opinion du groupe est le critère de la vérité, du bien et du beau, quand l’Histoire est une succession de tragédies où le groupe a le plus souvent fait le mauvais choix, face à des individus qui ont osé s’opposer à lui en ayant raison contre lui. Un exemple ? la Résistance française dans la France de Pétain, ou la Résistance allemande dans l’Allemagne nazie. Un autre exemple ? Combien de toiles Van Gogh a-t-il vendues de son vivant ? Une seule, sauf erreur ! Paul Villach
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