L’entourloupe mexicaine
Vous allez me dire que je lui cherche la petite bête, là, à notre si bon président. Peut être, vous savez très bien quels sont mes sentiments à son égard. Et son attitude actuelle ne fait rien pour atténuer mon sentiment de résistance à cette propagande qu’est devenue l’information pure et simple en France depuis qu’il sévit à la tête du pays. Chaque jour on y a droit. Chaque jour un ministre muni de sa boîte de cirage descend dans un studio et vient lustrer les pompes de son chef bien aimé, en présence supportée d’un vague présentateur, supposé poser des questions tranchantes qui se résument le plus souvent à... la couleur du tailleur de notre fabuleuse ministre de la santé. Pénible.
Et ce soir, à écouter ci et là la radio, dans la journée, une question me taraude. J’ai tapé au pif dans Google "Florence Cassez", comme ça, pour voir en rentrant du boulot... car je n’avais rien suivi de ce qui est arrivé à cette malheureuse et suis tombé partout sur le même communiqué. A la lettre près. "96 années réduites à 60 MAIS l’espoir de la visite de Nicolas Sarkozy", en résumé. Et me suis dit qu’une telle présence ça sentait le marteau pilon, connaissant depuis une vingtaine de mois le zouave présidentiel. Il prépare un coup, me dis-je, le sbire. Pas grave, me dis-je, je dois encore imaginer des choses qui ne sont pas, je vais descendre dîner et regardez tranquillement dans la foulée la Ferrari démarrer son journal sur les chapeaux de roues, ça me changera un peu du net. Bingo, la Ferrari embraye (mollement) sur quoi, je vous le donne Emile : Florence Cassez... Je zappe aussitôt sur Playmobil Man, boum, re-Forence Cassez. Et là je me dis que bon sang, mais c’est bien sûr !
Car attendez-vous à ce que notre si bon président revienne avec, du Mexique. Dans trois jours ou un peu plus, mais ça va le faire. D’abord, c’est le père de la prisonnière qui l’a dit, en compagnie de son avocat, Frank Berton que j’ai pu croiser un jour et qui m’avait vraiment impressionné. Mais pas que pour ça. Non, tout est déjà prêt. Il y a à peine 5 heures me dit l’AFP (ll est 22H34 quand je tape ce texte), le président mexicain Calderon à d’ailleurs lâché malencontreusement le morceau : "il a cité mercredi à l’AFP comme une "possibilité" un éventuel transfert en France de Florence Cassez" nous dit l’agence. Bien. C’est prêt alors, on va nous rejouer la réimportation des condamnés de l’Arche, et un Nicolas Sarkozy jovial va nous redescendre à nouveau l’escalier de son Air Sarko avec la béthunoise au bras. On comprend mieux le ramdam avant alors : Florence Cassez en pleurs (la pauvre !) en plein journal de TF1 (enregistré avant, ne rêvons pas de Ferrari, restons niveau 2 CV, sa vitesse de croisière habituelle), et trois jours après la voilà rayonnante au bras du président ? Ça me rappelle une scène, ça...
Béthunoise, oui, car c’’est une ch’timi, notre prisonnière à perpète ou presque (à moins de finir centenaire : précisons qu’elle ne fera "que" 20 ans, la plus longue des 4 peines qui lui ont été notifiées). Oui, peut-être, mais comment s’y sera-t-il pris cette fois pour nous refaire le coup de l’arrivée de Bétancourt à Orly ? ?? Bétancourt, Bétancourt ? La dame sauvée par les services spéciaux US déguisés en Colombiens ? A part que notre président adore jouer les sauveurs (il se débrouille mieux avec les femmes qu’avec les métallurgistes, disons), vous ne voyez pas le rapport entre Cassez et Bétancourt ? Et pourtant... il y en a une, et une belle. Ce que notre bon président n’a pas réussi à faire avec Bétancourt, la faute à un Uribe qui l’a rendu fou de rage, cette fois-ci il va y arriver ! Croisons les doigts pour lui !
En fait.. c’est une longue histoire. Bon, d’abord, il faut savoir quelques dates. Le 9 décembre 2005, jour où Florence se fait arrêter dans les circonstances rocambolesques que l’on sait. Pour les détails, rendez-vous avec la presse traditionnelle, tout a été dit. Montage d’images honteux, manipulation d’opinion, prison injustifiée, absence de preuves, etc, etc, je n’y reviens pas. Elle reste un an et demi, au cachot, avant l’élection présidentielle française. Comme son cas est connu, via un très efficace comité de soutien ou Jean-Luc Romero se démène visiblement, et plus récemment via un blog, on se dit que la présidence française est au courant, qui sait. On déchante vite : le 6 juin 2007, Nicolas Sarkozy reçoit à l’Elysée Felipe Calderon Hinojosa, le président mexicain. L’ineffable Martinon en fait le rapport officiel : "Le Président de la République, M. Nicolas SARKOZY, a reçu en compagnie de son épouse, Mme Cecilia SARKOZY, M. Felipe CALDERON HINOJOSA, Président des Etats-Unis du Mexique et son épouse. Le dîner s’est déroulé, bien que les deux couples ne se connaissaient pas, dans une atmosphère extrêmement chaleureuse et amicale." La platitude de propos laisse augurer d’un oubli. Ça ne s’améliore pas un peu plus loin :"le Président de la République souhaite donner d’avantage de substance à la coopération entre la France et le Mexique." Bon, au moins on sait deux choses : Martinon était rasoir au possible, et c’était donc bien de s’en séparer, et d’une, de l’autre, après un an et demi de prison, l’occasion unique d’évoquer le cas ne semble pas avoir effleuré notre bon président. Pourtant, en avril un mois et demi avant, Florence vient de se voir assignée ses 96 années de prison... ! A croire que sur les yachts, on ne reçoit pas la radio ... Ça se termine même plutôt, ce communiqué, par une phrase disons un peu ambigüe : "Le Président SARKOZY a proposé son aide au Président CALDERON en matière de formation de la police mexicaine". Sacré Martinon, va, toujours le mot pour rire : aider la police mexicaine car elle a mal fait son boulot, ou aider la police à lutter contre le fléau de la drogue ? On ne le saura jamais. 2007 passe, Martinon aussi, et Nicolas Sarkozy, on le sait, rêve toujours éveillé de sauver Ingrid Bétancourt. Mais pas Cassez, dont il ignore l’existence semble-t-il.
Fin mars 2008, il croit être enfin arrivé à ses fins. Le coup du Falcon 900 médicalisé envoyé sur la promesse faite à un prêtre des Farcs de libérer Ingrid s’effondre. Deux jours avant, Uribe vient de torpiller son plan avec l’aide des américains en bombardant le camp de Reyes, où se trouvent des étudiants mexicains parmi lesquels il y aura une rescapée. Sarkozy est humilié, Kouchner tout autant, qui était en relation directe avec Reyes. Il le sera une deuxième fois lors de la libération véritable le 2 juillet, Uribe ne lui téléphonant qu’après la libération effective, laissant trépigner d’impatience un président français hors de lui. Entre temps, il avait envoyé en avril exactement une mission humanitaire en Colombie, composée de Noël Saez (l’ancien consul français à Bogotá), Daniel Parfait (un diplomate du quai d’Orsay) et un médecin. Raté. Ça c’est embrouillé quelque part, mais où ?
Pour Bétancourt, c’est fichu. Elle ne descendra pas du Falcon présidentiel. L’Arche de Zoé, en décembre 2007 avait mieux marché : quatre hôtesses de l’air espagnoles et trois journalistes français étaient revenus avec lui ! Sans oublier les célèbres infirmières bulgares revenues avec Cécilia ! Mais toujours pas un mot sur le cas de Florence Cassez, qui fait pourtant régulièrement la une de la presse en 2007. On est alors en juillet 2008, et 8 jours à peine après la libération d’Ingrid, Nicolas Sarkozy nomme à la surprise générale un nouvel ambassadeur au Mexique (le Mexique ?). C’est Daniel Parfait, qui a été ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire à Bogota en l’an 2000 et en 2004 responsable de l’Administration centrale, Directeur des Amériques et des Caraïbes. Tout le monde s’étonne de la nomination, de cet homme, et dans ce pays. L’homme, en fait, n’est autre que le mari d’ Astrid, la sœur d’Ingrid. Enfin le mari, pas si sûr.
Parfait a remué ciel et terre pour tenter de sauver sa belle-sœur. Cela, Nicolas Sarkozy l’a bien compris. Le 7 mai 2008, alors qu’il est encore en train d’espérer la libération de Bétancourt, il recoît enfin à l’Elysée les parents de Florence Cassez. Au sortir de l’Elysée, tout le monde est radieux, le cas est enfin pris en mains, tout le monde est heureux, sauf peut être le frère de Florence, Sébastien, qui n’est pas trop à l’aise paraît-il avec les journalistes mexicains qui ont fait le déplacement. La Voix du Nord relate : "Nous ne sommes pas dans l’affaire du petit Enis, d’Ingrid Betancourt et des otages du Ponant, où les familles avaient eu droit à la photo sur le perron de l’Élysée en compagnie du président. Soucieux de ne pas heurter le Mexique (l’annulation de son voyage prévu les 14 et 15 mai a suscité de l’émoi là-bas), il a reçu Charlotte et Bernard Cassez, les parents, Sébastien, le frère, l’avocat Frank Berton et le député du Nord, Thierry Lazaro". Lazaro, le lien très efficace entre la famille et Sarkozy : "Thierry Lazaro, qui a ses entrées en Sarkozie, a déjà eu Claude Guéant au téléphone. Hier soir, il recevait la promesse d’un rendez-vous à l’Élysée entre la famille Cassez et Nicolas Sarkozy pour mercredi à l’issue du Conseil des ministres. Longuement, trois quarts d’heure en fin de matinée entre le Conseil des ministres et la réception des députés UMP. D’un point de vue diplomatique, il ne pouvait pas faire plus : le soutien affirmé à une ressortissante française emprisonnée à l’étranger." Dans la Voix, on apprend toujours des choses. C’est Berton qu’on retient cette fois : "avec l’appui de Frank Berton, l’avocat mexicain de Florence Cassez devra, en attendant, renouveler les demandes de mise en liberté : Il y a un combat juridique à mener. Sinon, Florence Cassez devra patienter au moins deux ans en prison". Deux ans, ça nous fait le 26 avril 2010. Non, ça ne colle pas pour aujourd’hui. Sauf l’affirmation qui suit : "Le Mexique a ratifié en 2007 la convention du Conseil de l’Europe sur le transfèrement des personnes condamnées". A savoir l’espoir de purger sa peine en France. Comme pour l’Arche, où les condamnations ont vite été transformées. L’idée se tient. Et est reprise ce soir par le président mexicain.
Elle se tient d’autant plus que du 17 au 19 décembre 2008 une certaine Ingrid Bétancourt visite... le Mexique. "Une visite au Mexique, au cours de laquelle elle a été reçue par le Président Felipe Calderón et s’est rendue à la Basilique de la Guadalupe. Mme Betancourt a remis à M. Calderón une lettre de M. Nicolas Sarkozy, au cours de leur entretien à la résidence de Los Pinos le 19 décembre", nous dit l’ambassade. Voilà Ingrid préposée des postes élyséens, maintenant. Personnellement, connaissant la porteuse de document, le beauf pas loin et le cas en cours, j’ai bien une petite idée du contenu...
Car pour convaincre sur place, il faudrait avoir sur place quelqu’un qui aurait pu promettre à un président de tout faire pour accélérer la libération de Florence Cassez. Un ambassadeur, par exemple. Rompu aux négociations difficiles et prêt à s’engager pour redorer le blason du président qui s’est bien démené dans le vide pour tenter de sauver sa belle sœur. Quelqu’un qui aurait pu expliquer aux autorités que Florence ne devait pas payer pour sa relation avec un homme ayant eu des relations commerciales avec son frangin, des relations "mexicaines", à savoir entâchées de liens avec les différentes mafias locales, impossibles de toute façon à contourner là-bas. Un homme patient, qui aurait servi de tête de pont à une opération de secours comme les affectionne notre si bon président au si grand cœur. Un homme qui le 4 mai 2008 encore croyait à une sortie rapide de Cassez du Mexique, puisqu’il avait presque tout prévu et tout contacté sur place : "au fil du procès, qui a duré plus d’un an et demi, la confiance a gagné la famille Cassez. « L’avocat pensait avoir convaincu la juge, celle-ci se montrait engageante, et même le consul de France avait conseillé à Sébastien de retenir le billet d’avion pour le retour de Florence. » nous dit encore la Voix. Un homme... presque Parfait, en quelque sorte.
Attendons, donc. dans les jours qui suivent, le tambour major de la propagande va sonner fort, à mon avis. Une entourloupe mexicaine se prépare. C’est l’effet vase communiquant habituel chez notre hyperprésident : "si ça va mal partout, trouvons un quelque part où je pourrais redorer mon blason". L’affaire Cassez me paraît tout indiquée, bien huilée par la filière Bétancourt-Parfait. Remarquez, cette fois, en bon ch’imi, je ne vais pas totalement me plaindre de voir sortir des geôles mexicaines cette fllle qui n’a rien fait de mal. Disons que c’est encore une fois la méthode, et ce bruit de fond qui monte pendant des jours, bien orchestré, assourdissant, pénible. L’idée du sauveur de la France, de l’Europe voire de l’humanité toute entière hante véritablement le cerveau présidentiel. A ce rythme, un A320 ne suffira pas à tout ramener. Faudra un A380. Ça, notre Berton l’a bien compris. Et je ne vois pas grand’chose pour le calmer. Quoique...
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