L’Est ostalgique
Une génération depuis la fin de l’URSS. Vive la Russie et ses satellites. La nostalgie est pourtant là, latente. La Roumanie n’arrive pas à suivre le mouvement d’Est en Ouest sans une certaine « ostalgie ».
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La démocratie à l'occidentale donne-t-elle des soucis et des regrets ? Pas sous cet aspect, mais latente, une certaine nostalgie de l'Est de papa est bien présente dans les pays de l'ancienne URSS.
Parmi les déçus du "système capitaliste", ce ne sont pas seulement les "vieux", les anciens. Non politisés, dans les campagnes, beaucoup d'anciens pouvaient vivre une vie entière sans connaître le moindre problème avec une "règle du jeu" réglée par la seule proximité et la solidarité. Il est vrai que tous n'ont pas connue les affres de la Stasi, c'est, à fortiori, le cas pour la nouvelle génération qui, déçu, vivent mal les contraintes de la vie à l'occidentale. Le droit à la parole et son besoin sont très dépendants de ses utilisateurs et parfois, de ses commanditaire.
La liberté donne le vertige à certains si elle n'est pas modulée ou non préparée avec l'expérience du temps. La compétition "tranquille" conviviale et familiale a été perdue pour devenir une "struggle for life" avec les inégalités, imposées de fait, au bout du tunnel. De plus, dans ses fondements, l'idéologie communiste avait incontestablement des points positifs dans ses fondations. Société sans classe, sans État, sans propriété privée sinon collective, mais dans laquelle le travail était garanti, cela peut être bien mieux que dans les pays occidentaux. La conquête du travail pour les femmes n'existait pas en RDA où 86% des femmes travaillaient et n'étaient pas limités à 56% comme c'est le cas aujourd'hui. On trouvait des logements bon marchés. On jouissait d'une santé presque gratuite et pas moins performante. Mais les salaires ne prenaient pas des altitudes incompréhensibles comme on le connaît dans les pays occidentaux. Ce choc d'idéologies est encore sensible à Cuba, mais qui vit dans un esprit révolutionnaire permanent.
Cette liberté donne envie à ceux qui en ont été sevrés trop longtemps comme nous le rappellent les événements récents des régimes dynastiques modernes" en Tunisie, en Jordanie, au Yemen et en Égypte. La différence, avec le cas des pays de l'Est, c'est que, cette fois, cette stratégie du soulèvement n'entrait pas dans les projets de l'Occident.
Pas de doute, la sécurité dans les pays de l'Est avait été conçue avec des règles énergiques de contrôle. Après avoir voulu copier le modèle des pays de l'Ouest, les plus mal lotis de l'Est, récupérés, l'ont appris à leurs dépends.
Déjà en 1880, le droit à la paresse faisait partie des pensées de Paul Lafargue. A cette époque, celui-ci trouvait ridicule de ne pas distribuer uniformément le travail au lieu d'avoir une indigestion de tâches réservées sur quelques têtes et dans un temps de plus en plus raccourcis. La différence, la limite à ne pas dépasser, apparaissait immédiatement. Elle existe toujours, entre ouvriers et employés dans la prise en charge du travail n'est pas dans la manière de la rémunérer ou la compenser à sa juste valeur. Prendre du temps pour soi pour se sentir bien rend une efficacité plus raisonnable, sortir de l'agenda rempli à ras bord, sont encore des valeurs justes.
Le Kollectiv de l'Est et son "confort" qui se construisaient entre besoins individuels et collectifs, a généré, sans nul doute, plus de sentiments de solidarité que ne peut le faire le mode occidental.
Mikhaël Bakounine préconisait un idéalisme rationnel avec une organisation sociale qui irait de bas en haut par la fédération des travailleurs avec des échelons associatifs progressifs de communes, de régions, de nations pour arriver au niveau international et universel.
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Dans les années 70, de la Roumanie, je n'ai eu que des impressions, des intuitions d'un avant qui nécessitait un "nettoyage de printemps" et une ouverture vers l'occident. Elle n'est pas arrivée au printemps. Ce fut à la Noël de 1989 qu'elle s'est concrétisée. Une envie, par certains, de sortir des sentiers trop limités qui brimaient les envies.
Nous sommes 20 ans, plus tard. De ces années d'avant, cet article, "Roumanie, le coup d'Etat de 1989", donnait un reflet intéressant. Après un quart de siècle de cauchemar et dix jours sanglants, le 26 décembre, le sort du "génie des Carpates", alias le "Danube de la pensée", du dictateur Nicolae Ceausescu, est réglé en cinquante-deux minutes, au cours d'un procès à huis clos et est exécuté avec son éminence grise, son épouse Elena. Ceausescu vivant dans son monde devenu mégalomane, coupé des réalités, n'a rien compris de ce qu'on lui reprochait. Mais, alors, comment une telle "dictature" reste-t-elle en place, sans que la population ne bronche ? Il suffit d'une étincelle pour soulever un peuple s'il est bien préparé à un "coup d'Etat". En externe, d'autres pays ou des gens en internes, y trouvent leurs avantages. La seule fin de changer l'histoire justifie les moyens, après coup. Le manipulation de l'affaire de Timisoara a malheureusement été découverte, un mois plus tard.
Gorbatchev a été, pour les États-Unis, l'homme providentiel qui allait redorer le blason des échecs américains au Vietnam. Plus jeune, "Gorby" pouvait incarner et propager l'esprit du progrès jeune à l'occidentale. Des Ossis étaient probablement là pour le seconder, en secret ou plus ouvertement, pour protéger des intérêts particuliers.
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Dans les années 1989-1991, le Socialisme de l’Europe de l’Est a reçu un lourd coup souterrain, qui n’a pas été compris par la plus grande partie de la population des pays de l’Est et de l’Ouest. Ce coup était présenté sous le concept de Révolution avec de profondes résonances positives dans la mémoire de l'humanité.
Cette manœuvre politique-militaire faite sous le patronage des États-Unis et de l’OTAN a conduit au renversement et à la destruction du Socialisme européen que j’ai nommée - la guerre secrète des années 1989-1991 – et dont le nom codifié de CIA est « Covert Operation ». Ce fut la plus grande victoire de l’histoire des services secrets adversaires du Socialisme.
Après les métamorphoses politiques, imposées aux sociétés socialistes européennes sous la couverture de révolutions, toute l’Europe de l’Est se retrouvait dans une situation bizarre et bouleversée. Les émergents des dites révolutions avaient accaparé le pouvoir politique de ces États. Mais combien de partisans étaient-ils ? A peine une poignée de gens dans chaque pays socialiste.
Il restait un puissant mode de production qui était soutenu par des centaines de millions de gens. Et ce mode de production se trouvait à la base de la société socialiste existante. Cela se fit par des changements du mode de production, dans ses éléments composants, dans les relations et les forces de la production, pour finaliser le changement de toute la superstructure et du changement de la vie spirituelle.
Il restait le fondement économique de la société socialiste basée sur la propriété socialiste sur les principaux moyens de production et sur les relations de collaboration et d’aide réciproque. Toute l’essence de la société socialiste devait être changée. Ce changement ne pouvait pas se faire du jour au lendemain. Pas de durée fixée, ni de dépenses nécessaires en faveur de qui se produisait ce changement. Dans un but manipulateur, cette période a été nommée « Transition » par les commissaires politiques étrangers et autochtones.
En réalité, cette période de changements radicaux de société fut rapide. Trop rapide. Pas une transition mais une rupture brutale du Socialisme et de l’abdication de la souveraineté économique des pays est-européens. En plus, la transition du système socialiste vers un autre système non nommé, n’a pas été présentée comme une option aux nations socialistes mais comme une obligation. Passage abrupte en démantelant les structures économiques socialistes sans que celles-ci puissent être remplacées par les structures de l'économie de marché capitalistes. Celles-ci n’avaient même pas commencé à en prendre les contours en précisant qu’il s’agissait d’un processus de transformation radicale de la société socialiste en société capitaliste primitive. Le résultat de ces destructions a été un gigantesque saut dans un espace vide sans substance.
L'histoire nous prouve que tous les passages d’un régime à un autre régime, devrait assurer une meilleure évolution pour les conditions de vie des populations des pays respectifs. Sans cette finalité, le changement ne se justifie pas.
Dans ce processus imposé, dans cette nouvelle zone géopolitique dans laquelle sont impliqués les États-Unis, la Transition a eu comme base théorique, doctrinaire, l'idée libérale américaine et anglaise des années ’80, présentée à l'époque par Margaret Thatcher et Ronald Reagan, qui exprimait, au fond, un néolibéralisme extrémiste.
A partir de 1990, le Roumanie et d'autres pays socialistes européens, à la suite de l'abdication de la souveraineté politique, lorsque les émergents ont accaparé le pouvoir, le néolibéralisme s'est accaparé de l'État par la « Thérapie de Choc » de Sachs, par le Consensus de Washington et par la contribution roumaine de l’académicien Tudorel Postolache. La voie du Chaos a été considérée par lui comme seule alternative comme transition vers l'économie de marché. Le 20 avril 1990, l’Esquisse de Perspective de la Roumanie, adoptée par le Gouvernement Provisoire, n’a été qu’une astuce pour pouvoir assumer d’une manière dissimulée le Plan de Sachs.
En dehors de la libéralisation des prix, du commerce extérieur, il était aussi proposé que la première Loi du Parlement de Roumanie soit celle de la Propriété, de la privatisation sur une large échelle de la richesse publique, sans consultation des citoyens par referendum. Modèle pour orienter non seulement les Gouvernements de Roumanie qui ont eu pour but de remodeler toute la vie économique et sociale en conformité avec les objectifs économiques et politiques, par la stratégie qu’avait les États-Unis dans l’Europe de l’Est.
Jusqu’en 1997, la Roumanie a assumé le Plan de Sachs d’une manière dissimulée sous le nom de « La Thérapie de Choc ». Les autres Gouvernements des pays de l’Europe de l’Est ont adopté, dès le commencement, ce Plan d’une manière plus visible.
Résultats : arrêt brusque, immédiat du rôle de l'État dans le réglage du fonctionnement de l'économie. Ce fut le feu vert donné à la majorité des Gouvernements néolibéraux occidentaux, aux institutions économiques financières internationales et aux agents économiques du Groupe G7, pour pénétrer, sans efforts, dans les régions de l’Europe de l’Est, avec leurs produits et leur capital vers la globalisation et l'intégration rapide en Europe.
Le 13 janvier 1990, la « Transition », conçue selon le Plan du professeur de l'Université de Harvard, Jeffrey Sachs, fut lancé par la Revue « The Economist » dans une étude sous le titre significatif : « What is to be Done ? » .
Dans le même style que Lénine, cette étude mais dans une forme inversée, comme Peter Gowan l'écrit dans « La théorie néolibérale et sa mise en œuvre dans l’Europe de l’Est » en précisant que ce n’est pas seulement une question de style, mais qu'elle concerne toute la méthodologie. Le programme comprend le renon à la collectivisation des grandes exploitations agricoles, au morcellement de l’industrialisation, l’abandon de l’instruction de masse, de la modernisation, à l’urbanisme, à la recherche, dans une thèse de remodelage de la vie.
Le comble est qu'on entend dire que les pays socialistes auraient sollicité eux-mêmes les services de Sachs. La journaliste Silvia Benedetti affirme dans un article, que « Sachs, une fois arrivé dans les pays socialistes, a travaillé avec des équipes locales discrètes formées d’environ 10 jeunes économistes et a formé ses économistes en collaboration avec des Universités pro-occidentales et avec le soutien de la presse nationale ».
Doué de qualités incontestables de diplomate, Sachs a su tisser des contacts privilégiés avec des gens politiques clé des gouvernements, tout en refusant d'être payé par les pays socialistes qu’il a conseillés.
La Thérapie de Choc de Sachs est une théorie américaine de laboratoire qui n’a jamais été utilisée que sous la forme de la Thérapie de Choc, élaborée par Milton Friedman. En 1975, celui-ci est le premier économiste américain qui a utilisé ce terme de Thérapie de Choc à Santiago de Chili et pas pour une crise économique majeure dans le monde réel . La journaliste canadienne, Naomi Klein, montre dans son livre « La Doctrine du Choc : la naissance du Capitalisme des désastres » (Stratégie du Choc) que la Thérapie de Choc de Friedman, selon laquelle une contraction subite ébranlera l'économie vers l'amélioration, n’a pas été vérifiée. Elle montre qu’il y a une ressemblance frappante entre la logique de Friedman et la logique des psychiatres des années 40-50 qui recommandaient à leurs malades des électrochocs en étant convaincus que l’introduction délibérée des crises convulsives fortifiantes rechargeait d’une manière miraculeuse le système d'opération de la mémoire de ces malades. C'est ainsi que conseilleur d'Augusto Pinochet, après l'élimination en 1973 de Salvador Allende, il voulait mettre en œuvre sa "Thérapie" dans l'économie du Chili.
Pinochet fut le premier leader politique de notre planète à tester la Thérapie de Choc en transformant son pays en un laboratoire pour les théoriciens américains.
Le « New-York Times » écrivit à propos de ce sujet : « Il n’arrive pas souvent qu’à un économiste de premier rang, dont les perspectives sont si robustes, lui soit offerte la chance de pouvoir tester ses prescriptions spécifiques pour la remise en bon état d’une économie si malade. Il est encore plus inhabituel le cas lorsque le client de l'économiste respectif est, par hasard, un autre pays et non pas son propre pays ».
Tel que présenté dans son livre "Capitalisme et Liberté", pour Friedman, la Thérapie de Choc, est le seul « médicament miracle » qui doit être administré à une économie malade. Trois objectifs : la privatisation massive et rapide, l'élimination du contrôle du Gouvernement sur l'économie et la diminution des dépenses sociales dans une courte période de temps, avec une récupération ultérieure rapide. Il utilise le mot "choc" d’une manière obsessionnelle et souligne que l’utilisation d’une thérapie graduelle n’est pas un bon choix.
Au contraire, l'économie qui était déjà dans le chaos financier en Chili, a jeté le pays dans de vraies convulsions, le chômage, l'inflation,... à des niveaux alarmants.
Pinochet, et son conseiller, Sergio di Castro, ont détruit le système d’assistance sociale, en réduisant brusquement les dépenses sociales à hauteur de 27 % , jusqu’en 1980, lorsque ces dépenses ne représentaient plus que la moitié en comparaison avec la période de Allende.
Même la Revue « The Economist » qui passe pour le journal de l'économie du marché libre, en parlant de ces réductions de dépenses sociales, les a nommées comme étant « une orgie de l’automutilation ».
Dans les anciens pays socialistes, elle n’a pas produit une transition, mais elle a provoqué une rupture catégorique avec la société socialiste, pour exclure toute possibilité de restauration du Socialisme comme idéologie, comme doctrine, comme mouvement social et comme système d’organisation économique et social.
Nina GEORGESCU (E-mail : [email protected])
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