• AgoraVox sur Twitter
  • RSS
  • Agoravox TV
  • Agoravox Mobile

Accueil du site > Tribune Libre > L’État-Nation sans nation auquel il manque le peuple

L’État-Nation sans nation auquel il manque le peuple

Une institution sur sa fin.

L’Amérique n’existe pas, l’Américain non plus, il est seulement un colon Européen qui a quitté son continent pour un autre et usurpé l’identité des occupants précédents après les avoir assassinés. Et cet Américain de fiction, il était peut-être Français en quittant l’Europe. (Que de majuscules !)

Étonnant nom de pays que « États-Unis ». Chacun de ces États n’est pas une nation, d’ailleurs. Aucun d’eux ne peut l’être. Il y a seulement chaque État pris à part, uni à d’autres, désignant une fraction administrative d’un territoire d’une diversité de paysages, de ressources et de climats considérable. Et ces États sont éternels non seulement parce qu’ils sont des États, aussi parce qu’ils sont unis, et qu’ils survivront même aux modifications géologiques qui pourraient avoir lieu. Victoire de l’homme sur la nature, de l’homme sur l’homme qui se contente de la nature, de l’Européen sur l’Indien. Victoire de l’homme armé de feu sur l’homme-lame, de l’homme-outil sur l’homme-âme. Victoire de l’administration sur l’homme. Les États-Unis, c’est ce que sont les Nations Unies sur ce terrain où l’Occidental industrieux a conquis tous les corps par la tête. Une somme d’administrations établie sur un sol gorgé de sang, basée sur une maîtrise des outils qui étouffe la culture, qui étouffe la nature, qui étouffe la nation.

En cet âge du serveur et du disque dur, la dernière aristocratie est celle du savoir qui permet à ces administrations d’administrer. Les ingénieurs qui conçoivent les machines, ce sont eux qui dominent et ont le plus grand privilège de tous : changer d’employeur à leur guise, faire monter les enchères autour de leur personne, avoir l’aura de leurs réalisations. Sans eux, l’État s’écroule, la Nation menace de revenir s’immiscer entre les fissures. En bâtissant cette intelligence artificielle qui nous contraint, en créant tous ces ponts de mémoire entre identité, domicile, numéro de sécurité sociale, revenus, taux d’imposition, j’en passe et des meilleures, ils ont permis d’entériner définitivement l’idée d’un État sans nation, où rien ne naît, où tout est figé, où l’individu et la société sont réduits à des variables, et pas seulement d’ajustement. Techniquement, on peut changer de nom, on peut changer de sexe, on peut rajouter des zéros sur le compte en banque d’une personne remarquable. Ce qui définit l’espèce humaine semble avoir été catégorisé une bonne fois pour toutes, et à l’intérieur de ce dédale aux murs de béton, tous les mouvements sont permis. Les spectres s'y muent. Rien n'y naît. L’enseignement a réduit la culture au maniement d’outils. Un bon philosophe qui ne cite pas ses illustres prédécesseurs n’est pas un bon philosophe.

L’État est une mise en scène de la Nation. Au niveau de l’enseignement de l’histoire, enseignement programmé et assuré par l’État lui-même, « la Grèce antique » devient synonyme de « premier modèle démocratique avancé », de la même façon qu’une publicité associe « Ariel » à « lessive » ou à « sirène ». Plus l’image devient un rapport prégnant de l’esprit collectif au monde extérieur, plus l’État se fait agent de réclame pour ses propres services et pétrifie sa population et sa culture. C’est oublier que la définition même d’un type de gouvernement n’est possible que parce qu’il y a une mise en scène d’une capacité, une image de cette capacité dans laquelle chaque homme est censé se reconnaître comme il reconnaît son souverain. Tout ce qui légitime le pouvoir, c’est la capacité. Pas de capacité, pas de pouvoir, et c’est d’autant plus vrai que les capacités ont montré leur efficacité à pourvoir aux besoins collectifs, et en fin de compte à augmenter la masse des bénéficiaires.

En résulte un territoire peuplé d’anonymes, tous parfaitement compétents dans leur domaine, que ce soit l’agriculture, l’industrie, la médecine, le droit, la musique, la maçonnerie, l’architecture, la plomberie, ou le chômage professionnel. Il ne reste guère plus que le sport pour éveiller des ambitions. Les génies sont aussi méconnus que les médiocres. Les quarts d’heures de gloire sont toujours aussi courts qu’autrefois mais ils ne passent plus par le canal unique de diffusion que représentait la télévision, tout a été démultiplié. Les stars mêmes sont anonymes. La création est nivelée. Quand une d’entre elles parvient à crever le plafond de verre, ses multiples imitateurs ne créent plus le même engouement. La singularité même des copies devient invisible dès lors que leurs modèles sont uniques et leur reproduction d’autant plus protégée. Le village global n’a plus de têtes de gondoles à faire valoir, la Nation globale ne peut donc éclore, et la gouvernance mondiale n’a pas de légitimité.

Il ne peut exister d’administration sans culture. L’image seule ne permet pas l’épanouissement (l’épanouissement, c’est la maturation). La technologie qui permet la diffusion de cette image est un don que l’humain se fait à lui-même, et comme tous les dons, il est une image, il sert un temps et est appelé à être remplacé par un autre. Une administration qui échoue à bâtir une culture ne se maintient pas. L’oppression par le contrôle finit toujours par créer les conditions d’une émergence culturelle, de gestes nouveaux, de résistances chargées et fécondes, prêtes à se tendre pour préparer leur détente future, laquelle passe par leur prise de pouvoir et leur sortie provisoire de l’anonymat.

Il ne peut pas exister de nation anonyme, ce serait comme une nation dépeuplée. Puisque le spectacle s’est dépourvu des moyens de diffusion d’une culture de masse permettant au commun de se faire un nom en imitant l’art d’un autre, qu’il exige désormais de la part de celui qui veut percer une créativité totale dans l’art de se faire des appuis, se ménageant un espace par des procédés de discrimination positive, de cooptation, ou par les grâces de l’héritage, il n’a désormais plus qu’un intérêt esthétique, décoratif, étant dépourvu d’intérêt social dans son incapacité à illustrer les conflits entre personnes ou entre classes, à donner l’espoir primaire d’un avenir meilleur, et surtout à créer les conditions d’une expression épanouie, mature, de l’espèce.

Ce que je décris, nous y sommes. C’est le moment où l’organisation État est rendue à l’aristocratie des ingénieurs, où la surveillance par son ampleur et son absurdité est révélée vaine, où la culture réduite à du branding et à de l’industrie ne fournit plus dans le réel un miroir conséquent aux aspirations élémentaires des corps vivants et transpirants, où l’électricité menace de conduire cette transpiration à incandescence. C’est le moment où la corruption ne suffit plus. C’est surtout le moment où il est clair qu’une institution telle que l’État n’est pas viable sur le long terme, pour la raison simple et suffisante qu’une organisation se vivant comme éternelle ne peut pas survivre à son ambition d’immortalité, ultime démonstration d’hybris collective. Pour la survie de la société, il viendra un temps où l’État devra être remplacé, ou au moins aboli, pour créer un appel d’air permettant aux corps vivants et transpirants de renouveler l’esprit qui les meut.

La projection de la pénurie de ressources qui assommera l’État sans nation ni peuple n’est ni fiction ni réalité ; c’est, effectivement, dans les faits, une projection. Seuls les désirs collectifs trouvent leurs ressources, et il semble qu’ils soient arrivés dans un état d’épuisement, si peu ce système faisant sens. Ce ne sont pas les pénuries qui mettront l’État en déroute, mais seulement la dépression collective qui entraîne la majorité d’entre nous dans un délire sanitaire, sécuritaire, écologiste, ou la minorité d’en face dans son contraire si semblable, la paranoïa conspirationniste. Le dissensus sur le problème masquant comme de coutume le consensus sur le système, tout le monde est d’accord sur le fond et sur les fins, c’est-à-dire sur la prédominance des moyens et l’attention excessive qu’entraîne cette pensée captive des objets. Ni entraide, ni guerre. Ni repos, ni compétition. Ni raison, ni passion. Toujours plus de pilotage automatique, toujours plus d’instrumentalisation. C’est un jeu dans lequel les participants ne sont jamais plaisants longtemps.

La France était une multitude de nations, supplantée par une Nation, supplantée enfin par un État, un État uni à rien, même plus à son peuple, divisé depuis la Révolution, éprouvé par la Terreur, l’instabilité politique, les conflits mondiaux, apaisé par les divertissements ludiques que ses ancêtres expatriés lui promulguent depuis un siècle. Quand un provocateur dernièrement affirmait : « Il n'y a pas de culture française. Il y a une culture en France. Elle est diverse. », il savait très exactement ce qu’il était en train de dire. Il parlait en fait de cette nation empêchée d’éclore, de ce peuple qui formera une autre Nation et qui fera tomber l’État. Elle prendra acte de la « fin de l’abondance » et n’aura plus besoin d’une organisation-monstre pour y faire face. Elle sera enfin elle-même.

Fin {JPEG}


Moyenne des avis sur cet article :  3.33/5   (9 votes)




Réagissez à l'article

14 réactions à cet article    



    • Nicolas Cavaliere Nicolas Cavaliere 10 décembre 2022 20:54

      @Durand

      C’est pas une vraie communiste, elle passait son temps sur Facebook à râler contre les jeunes qui voulaient voter Pfizer comme elle...


    • Laconique Laconique 6 décembre 2022 10:55

      Well the United States is a great country because it’s a free country. Here we’re free ! We lead our lives, alone, under God. We don’t care a lot about « administration » or « nation » and all these intellectual french concepts…


      • Nicolas Cavaliere Nicolas Cavaliere 10 décembre 2022 21:04

        @Laconique

        Americans don’t care about much. They even don’t care about themselves here, they are always thinking about the afterlife, making money for their salvation... and the ruin of us all.


      • Lynwec 6 décembre 2022 12:11

        Contrairement à la légende construite autour de la colonisation de l’Amérique du Nord, ce ne sont pas de braves gens en quête de liberté qui ont exterminé les autochtones pour leur voler leurs terres, c’est la lie des peuples d’Europe, ceux qui ont été chassés pour diverses raisons et ça se comprend très bien en observant le minuscule pourcentage de temps de paix réalisé par ce pays .

        Oh, il se trouvait certainement une frange de gens animés de réelles bonnes intentions dans le lot, mais ils ont probablement disparu, n’ayant pas les « qualités » nécessaires pour survivre, victimes des prédateurs qui avaient fait le voyage avec eux .

        Une nation construite en si peu de temps, dont les fondations sont les massacres, la vente d’armes, le vol et le reniement permanent de la parole donnée ne peut guère donner que ce qu’on voit . Le pire, c’est qu’ils sont contagieux et que nous avons été infectés .


        • titi titi 6 décembre 2022 20:50

          @Lynwec

          En tous cas la lie de la société francaise on l’a trouvée.


        • Et hop ! Et hop ! 6 décembre 2022 16:44

          Très beau texte avec une langue précise. 

          Effectivement, la nation en Amérique du Nord, c’étaient les cinq nations indiennes dont l’existence politique était reconnue par le roi de France qui traitait avec elles (voir les Voyages du Chevalier de La Hontan). Les États Unis, terre d’immigration, de melting pot, d’agrégation d’individus autour du rêve américain de faire fortune, ce n’est pas une nation, c’est un système d’administration et de domination, les États ne sont d’ailleurs pas libres de s’en émanciper, comme l’a montré la guerre de sécession. 

          En France, il y a une population paysanne autochtone qui est la même depuis ceux qui ont fait les fresques de la grotte de Chauvet (-35 000 ans) qui sont de la même facture que le dessin académique animalier italien ou français du XVIIe ou du XIXe siècle, ce qui prouve une filiation culturelle évidente.

          C’est un peuplement tellement ancien que c’est la preuve d’une origine commune à tous les paysans des différentes régions, et les paysans sont ceux qui assurent la reproduction du peuplement, dans les villes les familles s’éteignent. Les Celtes, les Romains, les apôtres juifs ou autres, les Wisigoths, les Francs, les Alamans, les Vandales, les Alains, les Huns, les Anglais, les Allemands, les Américains, ont apporté une aristocratie, un système politique, mais pas vraiment changé le peuplement, sauf à la marge comme les Bretons en Armorique et les Normands qui ont fait souche. Du moins jusqu’à la fin du XXe siècle, avec le débit de l’immigration de peuplement autorisée sous Giscard, et devenue massive.


          • titi titi 6 décembre 2022 20:41

            @Et hop !

            "En France, il y a une population paysanne autochtone qui est la même depuis ceux qui ont fait les fresques de la grotte de Chauvet

            "

            Pas vraiment non.

            Il y a en France la pays d’Oc, et le pays d’Oil.
            Le pays d’Oil est celui qui a subit les invasions germaniques, et hunniques.

            Sidoine Apollinaire a décrit ces campagnes qu’il a traversée au 5è siècle : désertes... désertes d’humains qui ont tous fuis ou ont été massacrés.

            Et c’est dans ce désert que se sont installés les germains en remplacement de la population disparue.

            Si vous habitez à Neufchâteau, Villefranche, alors vous êtes en pays germain.
            Alors que si vous habitez Chateauneuf, ou Francheville, vous êtes en pays roman.

            C’est la position de l’adjectif qui vous le dit.... ou plus simplement le cours de la Loire.


          • Montdragon Montdragon 7 décembre 2022 14:34

            @titi
            Le Rouergue germain mais la Bourgogne ? Pourquoi pas.


          • Et hop ! Et hop ! 9 décembre 2022 19:31

            @titi

            L’aristocaratie était germaine, ou feignait de l’être en adoptant des noms et des usages germaniques, mais 99% de la population qui était paysanne était autochtone.

            Les Francs venu de Germanie autour de Clovis, c’était numériquement très peu de personnes, quelques millers ou dizaines de milliers, dans un pays qui avait plusieurs millions d’habitants, plus de 10 millions. Ils n’étaient pas plus nombreux en proportion que les Allemands qui ont occupé la France, mais ils ont marié leurs enfants avec des nobles locaux, ce qui a donné du sang feanc dans les lignages nobles, mais dans les populations paysanne il n’y a pas eu d’alliances.


          • I.A. 7 décembre 2022 09:14

            Il est vrai que nous n’habitons plus Disneyland.

            Malgré ces Mickey et ces Minnie, ces Donald, ces Pluto et ces Dingo qui passent leur temps à nous faire la leçon ou des risettes par la fenêtre télévisée... Nous laissant cette amère impression de ne pouvoir représenter autre chose que les caricatures d’une fiction simpliste.

            Seules l’existence, le respect et la promotion des bonnes règles (ou lois) importe. Au mieux, l’État est inutile, et s’il baffoue ces règles ou bien les fausse au détriment du plus grand nombre, alors il se révèle n’être qu’un nuisible.

            Après avoir exhumé les bonnes règles, et cependant que nous finissons tous par nous habituer à nos différends (lesquels ne reflètent jamais que de vieilles différences), pourquoi ne pas se contenter de quelques référendums, de-ci, de-là, pour gouverner différemment mais tous ensemble ?


            • the clone the clone 7 décembre 2022 09:21

              L’Amérique n’existe pas, l’Américain non plus

              La fRance qui a eut au moins une existence n’existe plus, le Français a été dilué dans l’immigration et devient tout doucement un phénomène de foire que l’on bouscule et que l’on piétine ....


              • titi titi 7 décembre 2022 13:54

                @L’auteur

                Votre article est un peu fouillis...

                Les « américains » (je suppose que vous sous entendez du nord), ont fait avec les indiens, la même choses que les colons espagnols (américains eux aussi) avec les mayas, que les russes avec les Tatars, que les boers avec les zoulous, que les anglais avec les boers, ou même que les républicains francais avec les vendéens.

                Faire place nette pour déployer son système politique et moral.

                Pourquoi seraient ils plus coupables, que les francais de Louis XIII lorsqu’ils ravageaient le Comté de Bourgogne ? ou que ceux de Louis XIV lorsqu’ils ravageaient le Palatinat ?

                Autres temps, autres moeurs.

                Sur le fédéralisme, il y a plein de pays qui sont fédéraux : Etats Unis, Belgique, Espagne, Allemagne...

                Pourriez vous assurer que le caractère fédéral de l’Allemagne lui hôte le statut d’Etat ?

                Pensez vous que le Mato Grosso, puisse faire secession du Brésil sans que l’état fédéral brésilien ne réagisse ? Le Yucatan du Mexique ?

                Et pour mémoire, même la Suisse a connu sa guerre de sécession : la guerre su Sonderbund en 1847.

                Eh oui ! Quand on « s’engage » dans une fédération, le mot « engager » veut dire quelque chose !

                Le problème c’est que chaque pays est persuadé d’être le détenteur de l’unique modèle viable. Pourtant notre modèle Jacobin, à part en Chine populaire, il n’a pas fait beaucoup d’émules viables. Alors que les modèles fédéraux pullulent.

                Sur la culture, les temps ont changés.

                Il y avait plus de différences culturelles entre un breton et un angevin, dans les tranchées de 14, qu’il y en a aujourd’hui entre un breton et un letton.

                Est-ce à dire que nous pouvons faire nation, bretons angevins et lettons ensemble ? Question ouverte....

                Sur l’abrutissement, vous pensez que notre époque a tout inventé ?

                Alors renseignez vous sur l’actrice Musidora du début du 20è.

                Les intellectuels de l’époque, les vrais, ceux qui avaient des lettres, de l’esprit, ont été en pamoison devant elle

                Les choses changent... mais finalement pas tant que cela.


                • Nicolas Cavaliere Nicolas Cavaliere 10 décembre 2022 21:01

                  @titi

                  Le fédéralisme nie la spécificité nationale/culturelle. Adhérer à une fédération, c’est enclencher l’engrenage qui mène à l’Etat purement administratif dans lequel la dynamique des valeurs a périclité et où le citoyen n’est qu’un concept pour valider à fréquence régulière la gouvernance étouffante qui empêche l’association en voulant protéger la société. En Suisse, ils ont bien compris le danger de ça en procédant à des consultations continues sur initiatives groupées.

                  Les intellectuels ont un corps comme tout le monde, et s’ils peuvent le lier aux femmes les plus séduisantes, ils ne s’en priveront pas. Rien ne change, et j’ai beau tendre mes phalanges...

Ajouter une réaction

Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page

Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.


FAIRE UN DON



Publicité




Palmarès



Publicité