L’euro, une chance inouïe pour l’Europe ! Faiblesse des gouvernements de la zone euro face à la politique économique de l’Allemagne ou clairvoyance ?
- Argumentaire des partisans européens anti-euro
Beaucoup d’Européens ne croient pas à l’Europe, et encore moins à l’euro. Des économistes connus ne cessent de conseiller de sortir de la monnaie unique-. Récemment un européiste de gauche, Bernard Maris, professeur des universités à l’Institut d’études européennes de l’université Paris-VIII, membre du conseil général de la Banque de France, a changé d’avis. Alors qu’il était pour la monnaie unique depuis 25 ans, il est aujourd’hui d’avis pour la sortie de l’euro.
Dans son article fondamental « L’autre politique économique, ou comment échapper aux Chinois », il écrit : Sortir de l'euro permettrait de retarder la conquête de notre marché du travail par la Chine.
Existe-t-il un autre modèle que le modèle Valls – Fillon – Juppé – Sarkozy ? Oui, il y en a un, et un seul. C'est le modèle macroéconomique fondé sur une sortie totale ou partielle de la zone euro. Autrement dit, et je pèse mes mots, si on ne sort pas partiellement ou totalement de la zone euro, la seule politique macroéconomique possible est celle de Valls-et-les-autres.
– Si l'on garde l'euro, le seul moyen de ne pas crever face à la politique menée par l'Allemagne est de mener une politique de contre-offensive en vendant nos produits faits par nos petites mains, travaillant plus dur et plus longtemps pour des salaires plus faibles. A cette seule condition, on peut espérer tenir sur le radeau. Combien de temps ? Un demi-siècle environ. Après, toute la technologie sera passée aux Indiens et aux Chinois, qui deviendront nos employeurs. […] On aura beau dire que, français ou étranger, un patron est d'abord un patron, et que son capital comme son âme, par définition, sont mondialistes ou apatrides ou internationaux, un gouvernement français dominé par des patrons étrangers serait totalement soumis, muselé, sans aucun pouvoir. » (Charlie Hebdo, mercredi 24 septembre 2014)
Dans un autre article, « Les intellectuels vont devoir parler au peuple », la revue hebdomadaire Marianne publie le 65 juillet 2013 un débat Frédéric Lordon et-Emmanuel Todd. D’entrée, il est écrit : « Face au naufrage de l’Union européenne, deux grands adversaires de l’euro débattent d’une possible sortie de crise et en appellent à la souveraineté populaire contre le pouvoir des banques ».
« L’Allemagne impose à toute la zone euro son propre modèle de politique économique, tel quel. D’où la banque centrale européenne, l’orthodoxie budgétaire, l’obsession de l’inflation, et plus généralement un modèle inédit de soumission des politiques économiques nationales à des règles constitutionnelles… renforcées par la surveillance constante des marchés financiers ! […] On peut aussi, et c’est ma position, ne pas renoncer à reconstruire quelque chose d’autre. Une monnaie commune par exemple – ce qui est très différent d’une monnaie unique. Avec un petit groupe de pays, dont l’Allemagne ne ferait pas partie, en tout cas initialement, car elle n’est pas prête à renoncer à son exceptionnalité monétaire. », affirme Frédéric Lordon, économiste et directeur de recherche au CNRS, et auquel répond Emmanuel Todd, démographe et politologue, et auteur du best-seller « Après l’empire ». « Je sens, moi, dans l’euro, un accident historique, un ajout suicidaire original à la folie financière mondiale. Nous sommes dans un moment historique tout à fait particulier. Le libre-échange permet dans un premier temps des taux de profits élevés, mais il crée une pression sur les salaires et conduit le monde à une longue oscillation entre stagnation et dépression. Les gouvernements, pour contrer la dépression, n’ont pas officiellement renoncé au dogme de la suprématie du marché, mais ils ont, en pratique, sans le dire, renoncé au libéralisme. Ils tentent de fabriquer la demande en distribuant la création monétaire, de l’argent frais aux banques, phénomène qui exprime en fait la toute-puissance de l’Etat – un Etat dominé par les riches. […] Mais l’euro a de fait placé le pouvoir de création monétaire – devenu aux États-Unis, en Angleterre et au Japon l’instrument ultime de lutte contre la dépression – hors de portée des Etats européens, ou plutôt sous le contrôle du plus puissant d’entre eux, l’Allemagne. Actuellement l’Allemagne admet en partie le jeu de la création monétaire par Mario Draghi (président de la Banque centrale européenne), mais elle en fait l’instrument de chantage permanent sur ses partenaires faibles, exigeant austérité, privatisations, imposant en fait un rituel sadomaso aux États faibles s’ils veulent pouvoir emprunter aux banques – qui ont-elles-mêmes reçu de l’argent de la Banque centrale européenne ! La banque centrale est un organe d’Etat, contrôlé par l’Allemagne, et d’ailleurs situé sur son territoire. Nous ne sommes pas ici simplement dans la dérégulation financière, nous sommes dans une utilisation politique autoritaire et néocolonialiste de la dérégulation financière : un système violent, destructeur de la démocratie, mais loufoque et né accidentellement, pas un système cohérent comme le suggère Lordon. Le vrai drame, pour moi, est que cet accident historique réenclenche une dérive autoritaire de l’Allemagne, et la haine de l’Allemagne qui ne peut manquer d’en résulter. Dans le sud de l’Europe, nous en sommes déjà là. […] Il revient aux intellectuels de construire un projet politique, indépendamment des politiques, je dirais même contre les politiques. Nous ne devons plus conseiller, nous devons les juger. Nous devons surtout proposer à la nation, en nous concertant entre nous, un nouveau paradigme historique et économique. Les intellectuels vont devoir parler au peuple directement. […] Les européistes au pouvoir dénoncent la germanophobie de ceux qui décrivent la réalité. Ils se présentent comme de bons universaux en défendant la fiction du couple franco-allemand. La vérité est que, sans la complaisance de la France, dans sa posture de brillant second qui cherche à passer à travers les gouttes, l’Allemagne ne pourrait pas imposer aux pays faibles du Sud des politiques de destruction de l’Etat social et de la démocratie. Le parti socialiste devrait avoir honte ».
Enfin, dans un autre plaidoyer, Jacques Sapir, depuis 2006. Cet expert des problèmes de la transition de l’ex-Union soviétique et des questions monétaires, a publié un livre, « Faut-il sortir de l’euro ? », Le Seuil 2012. Il exhorte une sortie de l’euro pour les pays qui ont perdu beaucoup de compétitivité tels la Grèce, le Portugal… et remplacer la monnaie unique provisoirement par une monnaie commune révisable tous les ans ou tous les dix-huit mois afin de restaurer la compétitivité et le maintien à la monnaie unique pour l’Allemagne et les pays du Nord dont les économies sont plus performantes. Une nouvelle architecture de la zone euro qu’il propose constituée en zones concentriques. Sans cela, les pays de la périphérie sud de la zone euro sont condamnés dans une marche inéluctable vers l’abîme. Mais la question qui se pose, si les pays de la deuxième zone peuvent dévaluer leurs monnaies nationales, et si elle ne regagne pas en compétitivité du fait même de la structure de leur économie, de leur industrie, qui n’est en rien comparable avec l’économie allemande, comment pourront-ils regagner de compétitivité ? D’autant plus que non seulement la Grèce, le Portugal, l’Irlande…, il y a aussi la deuxième, troisième et quatrième économie de la zone euro, i.e. la France, l’Italie et l’Espagne qui sont sous les feux de la rampe. Feront-ils partie de la « Première zone » ? La France, l’Italie et l’Espagne, compte tenu de leurs difficultés économiques, risquent de se trouver dans la « Deuxième zone », donc solidaires avec la Grèce, le Portugal… qui sont tous sous « cure d’austérité ». « Que resteraient-ils alors en Première zone ? »
Une telle architecture proposée par Jacques Sapir ne serait, non intentionnellement, que « disloquer la zone euro », auquel applaudiraient certainement les États-Unis qui seraient enchantés d’être débarrassés d’un rival sérieux sur le plan international. D’autre part, ces plaidoyers pour la sortie des pays européens de l’euro ne tiennent pas compte « des impératifs géostratégiques et géoéconomiques du monde ». L’euro compte pour environ 25 % dans les réserves de changes mondiales comparativement à l’Amérique qui en compte environ 65 %. Le dollar et l’euro sont les deux premières monnaies du monde, la livre sterling et le yen viennent bien loin de ces monnaies mondiales, environ 3,5% pour chacune des monnaies. Le franc suisse en compte pour 0,1 %. C’est dire l’importance de l’euro dans la masse monétaire en circulation hors de la zone euro, les avoirs en euros que détiennent les banques centrales du reste du monde et les émissions des obligations internationales en euros. Ces attributs, qui sont en fait des privilèges, placent la zone euro, deuxième détenteur du « droit de seigneuriage », après les États-Unis, dans le monde.
- Processus de base dans la croissance économique mondiale
Après cette longue présentation des partisans anti-euro qui est nécessaire pour se faire une idée du débat qui se pose sur la monnaie unique non seulement en Europe mais aussi dans le monde – le débat sur l’euro est suivi attentivement par les grandes puissances –, il faut se poser sur l’« essentialité de cette monnaie ». Qu’en est-elle en substance sa fonction en zone euro et dans les relations internationales ? « Est-ce que cette monnaie est nécessaire à l’Europe, dictée par l’Histoire, ou s’érige-t-elle en simple accident dans l’histoire européenne ? » Et qui, par ses effets négatifs, pénalise une partie des économies de la zone euro, donc ne joue plus son rôle de bouclier protecteur. Ce qui d’ailleurs conforte, dans leurs opinions, les partisans anti-euro qui militent pour le retour des monnaies nationales. « Ou, contrairement aux anti-euro, la monnaie unique apporte un progrès inestimable à l’Europe ? » Ce à quoi répondent les européistes. Aussi posons la question. Qu’en est-il réellement ?
Dans toute économie, les échanges de richesses entre nations conditionnent, d’une manière générale, leur croissance économique. En effet, plus il y a des échanges, plus les richesses augmentent par un effet d’entraînement des intérêts des uns et des autres qui aspirent à un mieux-vivre. Et il n’y a croissance que si les pays, en échangeant, y trouvent un intérêt mutuel. Un optimum est réalisé s’il est à la fois favorable et complémentaire pour les deux.
Prenons l’Europe, par exemple, et confondons-la pour les besoins de la démonstration avec tout l’Occident. Si l’Europe, qui détient la seule monnaie de réserve et de compte internationale, dans le système économique entre nations, importe des autres pays du monde le strict nécessaire de matières premières pour sa production interne, et n’exporte aussi de biens et services que le strict nécessaire pour financer ses importations, il résulte que « les réserves de monnaies détenues par les pays du reste du monde via leurs exportations ne servent qu’à financer leurs importations ». Dans ces échanges avec l’Europe, ces pays n’ont pas de réserves de changes internationales disponibles puisque toutes utilisées pour financer leurs produits importés. D’autre part, ces pays du reste du monde ont des difficultés pour échanger entre eux. Ils le font soit par le troc soit par des réserves de changes, « qui, très limitées, se font souvent au détriment des importations d’Europe ».
Une telle situation est extrêmement préjudiciable pour l’Europe que pour les pays du reste du monde. Les soldes commerciales tant de l’Europe (que de l’Occident qu’elle représente) sont « de équilibrés donc nuls à négatifs ». Dans cette étroite marge dans le rapport importation-exportation, l’émission parcimonieuse des liquidités monétaires par l’Europe a un impact considérable sur l’économie internationale. « Une paupérisation constante et en extension pour l’ensemble des pays du reste du monde qui ne disposent pas de monnaies internationales, et un étouffement de l’économie occidentale » qui s’ensuit par « une paupérisation de l’Europe. Et ce, en termes de faiblesse en créations d’emplois, investissements et débouchés pour l’industrie européenne. Ce qui affecte négativement l’ensemble des pays du monde.
Précisément, pour lever cette contrainte, et doper l’emploi, ce qui contribue à la fois au bien-être de la population et à la croissance économique de l’Europe, un premier procédé est utilisé : l’octroi des prêts par l’Europe aux pays du reste du monde. Devenus solvable, les pays du reste du monde, disposant de réserves de changes – libellées en monnaies européennes, seules en cours dans le monde –, peuvent, en augmentant leurs masses monétaires adossées à ces réserves de changes, augmenter l’activité économique et développer leurs économies. C’est ainsi que le développement de leurs industries (créations d’usines, exploitation minières, etc.), de leurs tissus urbanistiques (villes et leurs extensions, routes et autoroutes, habitats, etc.), et leurs structures étatiques (Défense nationale, création d’écoles, universités, d’hôpitaux, etc.) concourent au bien-être social et à leurs pays.
Il est évident que les emprunts contractés par les pays du reste du monde doivent être « attractifs » et « non usuraires » comme ils l’ont été durant les années 1980 lorsque la Réserve fédérale a américaine a augmenté brusquement son taux d’intérêt directeur qui, en s’étendant aux taux d’intérêt des autres Banques centrales occidentales, ont étouffé la croissance économique des pays du reste du monde et entraîné leur endettement massif vis-à-vis de l’Occident. Les pays du reste du monde se virent dépouillés de leurs richesses. Plus grave encore, la spoliation s’est trouvée mécaniquement entretenue, se prolongeant par une spirale infernale d’endettement. Et cela a souvent nécessité un effacement d’une partie des dettes pour les pays pauvres. Cette crise a cependant permis de lever le voile sur leur inexpérience et conduit ces pays à adopter des « règles prudentielles ». Créer des « réserves de change de précaution ».
Mais si l’emprunt est un pis-aller, quel moyen reste-t-il mis à part l’emprunt ? Le premier point important à souligner et « qui donne solution à la croissance économique mondiale vient de la situation même de l’Europe-Occident ». En effet, une Europe-Occident riche a tendance à consommer plus que les autres pays du reste du monde. Du fait de ses avancées historiques par rapport au reste du monde, de son avance industrielle et scientifique dans tous les domaines qui lui ont permis d’ailleurs de dominer le monde – les deux-tiers de l’humanité étaient soit colonisés soit sous protectorat –, même après la décolonisation et le rattrapage économique par les pays émergents, l’Europe-Occident reste toujours dominante dans les finances mondiales. Tous les pays du reste du monde ont leurs monnaies ancrées sur les quatre grandes monnaies mondiales, i.e. le dollar, l’euro, la livre sterling et le yen. Même les monnaies détenues par les Banques centrales tel, par exemple aujourd’hui, le yuan chinois, ne sont que des insignes monétaires exprimant le panier de ces mêmes monnaies mondiales auxquels ils sont adossés.
Dès lors cette suprématie monétaire européenne avérée, et en revenant à l’Occident tout entier, qui dispose de surcroît des structures de protection sociale les plus performantes du monde, il est évident que, par le rattrapage opéré par la Chine, les pays d’ASEAN, et les autres pays émergeants, l’Occident ne pouvait que perdre en compétitivité face aux pays émergents qui disposent d’un réservoir de main d’œuvre à bas prix sans commune mesure. Précisément, face à ce déséquilibre, un paradoxe surgit et fait que si les liquidités monétaires injectées par les États-Unis, la zone euro, la Grande-Bretagne et le Japon, permettent de financer par l’endettement les déficits commerciaux et budgétaires, elles viennent aussi nourrir l’activité économique des pays du reste du monde. Ce qui contribue, par conséquent, fortement à la croissance économique mondiale.
Aussi peut-on dire qu’il y a une complémentarité entre l’Occident qui devient une « locomotive » pour la croissance mondiale par ses déficits et les pays du reste du monde qui profite en excédents commerciaux. Telle est la conjoncture économique mondiale qui a commencé, en réalité, depuis la fin du second conflit mondial.
- L’euro, une chance inouïe pour l’Europe
D’emblée, on peut dire que le système économique mondial est conçu de manière optimale. Et ce système n’est pas venu de l’homme même si celui-ci y a occupé une place centrale, mais « est venu de l’histoire des conjonctures économiques successives ». Peut-on dire alors que l’euro a rendu service à l’Europe ? Qu’il a joué le rôle de bouclier protecteur pour les pays du sud de la zone euro ? On ne peut le nier ce rôle qu’il a joué ? Surtout dans la plus grave crise que l’Occident ait vécue. Les pays du reste du monde ont été certes prémunies précisément par les excédents qu’ils ont enregistrés au détriment de l’Occident. Mais il reste qu’il y a eu un équilibre dans la distribution économique mondiale.
En effet, si les pays du reste du monde avaient vécu la crise de 2008 comme l’ont vécu les Occidentaux, cela se serait traduit par un véritable cataclysme pour leurs économies. Sans les monnaies seigneuriales, i.e. internationales, ils seraient livrés pieds et mains liés à l’Occident comme cela fut dans les années 1980, avec les conséquences politiques et sociaux-économiques que l’on a connues sur le plan mondial. Eclatement du bloc Est, fin des dictatures en Amérique du Sud, chute des potentats comme Mobutu et consorts en Afrique. Ce qui d’ailleurs n’a pas été négatif en soi puisque ces continents et sous-continents ont ensuite évolué très positivement en brisant les carcans et les chaînes qui les empêchaient d’avancer. Alors que les économies dans la zone euro, aujourd’hui, ont certes souffert des cures d’austérité dues à la crise, avec baisse des salaires, chute de l’emploi, baisse des dépenses publiques, mais le système occidental a tenu. Grâce précisément à la Banque centrale européenne qui, en injectant de formidables masses monétaires, a évité le pire. Et c’est précisément la monnaie unique, en tant que deuxième monnaie internationale du monde, et par « son statut aussi de nourrir l’économie mondiale » qu’il a évité le clash des économies de la zone euro. Et, en sauvant l’économie européenne, il a en fait participé au sauvetage indirect de l’économie mondiale. Donc du reste du monde.
La Banque centrale européenne a crée ex nihilo plus de 2000 milliards d’euros, depuis la crise financière de 2008, pour venir en aide aux économies sinistrées des pays européens. Et on reprocherait à ces liquidités injectées que ce sont les Bourses et les banques commerciales qui ont profité le plus de cette manne financière, et non les peuples. Mais une question se pose. Qui finance les économies des pays de la zone euro et les dépenses publiques (santé, éducation, défense, aides sociales, etc.) ? Qui, si ne sont pas les banques et les Bourses de valeurs ? Les Trésors des Etats sont aussi des banques d’Etats.
Aussi peut-on considérer que les partisans anti-euro ne croient à leurs opinions que parce qu’ils raisonnent strictement sur le plan interne de la zone euro, et ne voient en l’Allemagne qui tire le maximum de l’euro que parce qu’elle enregistre des excédents commerciaux. Ce qui paraît l’être. Mais, en réalité le raisonnement des anti-euro est faux pour la simple raison qu’ils oublient que l’économie allemande fonctionne « sur le tout exportation » comme le Japon. Donc les excédents qu’elle enregistre sont tout à fait normaux.
Ce qu’il faut souligner est que si l’Allemagne tire un avantage de l’euro, les pays comme la Grèce, Chypre, Luxembourg, l’Estonie qui ont des PIB respectivement, allant de 20 à 240 milliards d’euros SPA (en standard de pouvoir d’achat) dollars, et représentant entre 0,2 % et 2,4 % du PIB de la zone euro, ont pour la première fois, grâce à l’euro, un « droit de seigneuriage » sur le monde. Quant à l’Espagne et l’Italie qui ont un PIB compris entre 1116 et 1494 milliards d’euros SPA et une part dans la zone euro entre 12,3 % et 16,7, ces chiffres par eux-mêmes donnent une idée de leurs poids sur le plan monétaire international.
On comprend dès lors la realpolitik des gouvernements grecs, espagnol, irlandais, italien, français ainsi que tous les pays de la zone euro dans l’application des programmes d’austérité. Il y a une nécessité pour tous les pays de suivre cette médication d’autant plus qu’ils ont toujours l’effet de levier que constitue le « droit de seigneuriage » et qu’apporte seule la monnaie unique, l’euro. Sans l’euro, la Banque centrale européenne n’a aucune possibilité d’étouffer la crise, sinon par ses injections monétaires, auraient entraîné un euro sans statut international dans les abysses du désespoir, à l’image des grandes hyperinflations qui ont sévi dans le siècle précédent.
Il y a donc non pas un suivisme inintelligent mais, au contraire, une clairvoyance des gouvernements européens sur l’avenir de l’économie européenne. « Sortir de l’euro équivaut simplement à scier la branche sur laquelle repose toute la puissance économique, financière et monétaire de l’Europe ». On peut même dire que « l’euro a été depuis 1999 et est encore une chance inouïe pour l’Union européenne », y compris pour les autres pays européens non-membres mais tenus par des clauses contractuelles.
Aussi peut-on considérer que les partisans anti-euro ont une lecture erronée de la monnaie unique. Leur analyse aurait été juste si la monnaie unique ne se limitait qu’à l’Europe. Mais l’euro est une monnaie mondiale qu’utilisent les 193 pays que compte le monde. Par conséquent, la Banque centrale européenne comme la Réserve fédérale américaine ont, à travers l’euro et le dollar, des responsabilités mondiales tant sur la croissance économique dans le monde que sur les rapports Est-Ouest et Nord-Sud. Et ce sont ces considérations qui doivent dépasser le débat entre les anti-euros et les européistes, et penser précisément aux relations futures entre les nations.
Le monde devient de plus en plus global. Et les monnaies du monde suivent précisément cette globalisation. De plus en plus, la place aux monnaies nationales, « qui ne sont que de simples effigies ancrées sur les grandes monnaies du monde » est en train de se restreindre. Les nations se regroupent pour faire face à la globalisation. Et sur le plan monétaire, l’Occident est en avance sur ce plan. Il est évident que dans les décennies à venir, cette évolution aura à toucher inévitablement les autres aires géopolitiques, à savoir dans un premier temps l’aire sino-asiatique, et suivra probablement l’aire sud-américaine… Et ce ne sont pas les hommes qui y décideront même s’ils en sont les acteurs, mais seront toujours et toujours les conjonctures économiques mondiales qui viendront commander de nouvelles donnes, de nouvelles monnaies mondiales, donc de nouveaux paradigmes monétaires.
Tel doit être compris aujourd’hui l’enjeu de la monnaie unique de la zone euro. Elle représente « un défi pour un futur », et l’Europe ne peut reculer devant ce futur. « Et si elle ne recule pas, elle ne peut demeurer sur place, elle doit donc avancer avec l’euro. »
Medjdoub Hamed
Auteur et chercheur spécialisé en Economie mondiale,
Relations internationales et Prospective.
www.sens-du-monde. com
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