L’Europe et la nation : un même type d’aliénation
L'Europe ou la nation ; y a-t-il réellement un choix à opérer ? N'est-ce pas un jeu de dupes que de faire croire qu’une entité symbolisant un groupe saurait apporter la prospérité aux peuples, du moins la sécurité ?
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Universalisme vs. Intérêt
La nation et l’Europe représentent, à des niveaux différents, un regroupement d’intérêts communs s’opposant à la notion d’universalité, principe hérité du christianisme et de Rome. Après les deux guerres mondiales, les organismes internationaux comme l’ONU, le FMI, l’OMC ou la Banque Mondiale ont cru permettre d’atteindre directement l’universalité. Cependant, ces institutions n’arrivent toujours pas à fonctionner correctement à causes des intérêts nationaux divergents. Il pourrait en advenir de même pour l’Europe.
L’Europe symbolise un intermédiaire entre la nation et le monde, mais de même que la nation, elle a des frontières, elle établit une limite géographique identifiée entre l’intérieur et l’extérieur. L’Europe, avec l’Amérique du Nord, c’est un ensemble de pays riches qui voit sa suprématie contestée de plus en plus par la Chine, la Russie et toute une myriade de pays non-alignés.
Selon Robert J. Gordon : « La théorie du commerce international nous apprend que les échanges de marchandises, comme la mobilité du travail, peuvent s’accompagner d’une convergence des revenus. Le commerce simultanément favorise la convergence mais provoque aussi un ralentissement de la croissance des revenus dans le pays en pointe. »
Nous vivons une période où le maintien d’alliances et de barrières en tout genre se confronte activement avec le principe d’universalité que le capitalisme et le communisme, branches différentes mais issues du même universalisme, ont étendu à l’ensemble de la planète. Ce conflit est celui existant entre le principe moral, l’universalisme, et l’intérêt dérivant d’une réaction à la morale et engendrant la volonté de puissance.
Par réaction, j’entends celle qui intervient suite à une frustration causée par la morale. Concrètement, par exemple, l’universalisme impose le libre-échange, mais ce dernier entraîne des délocalisations privant des gens de leur travail. Par réaction à ce phénomène, on remet en place des barrières douanières et on ravive le patriotisme exaltant la supériorité nationale. C’est le cas aux Etats-Unis et nombre de français aspirent à la réintroduction de barrières douanières, en particulier sur le principe de comparaison : si lui le fait, pourquoi pas moi ?
Aspects psychologiques et étude d’un cas concret
Examinons maintenant ces deux aspects d’universalisme et d’intérêt à un niveau psychologique : la dissolution de la personnalité constitue simultanément une aspiration et une peur profondes chez l’homme. Chacun souhaite ardemment appartenir à un ou plusieurs groupes mais sans pour autant perdre ce qu’il estime être une originalité : un paradoxe parmi tant d’autres dans notre société. La peur de dissolution de la nation dans l’Europe est une projection de celle d’un individu dans le groupe – la nation par exemple.
Dans les deux cas, j’estime ces peurs justifiées car elles aliènent en partie l’individu. Et il n’y a pas selon moi d’aliénation meilleure qu’une autre, seulement l’enjeu de cohabiter sur Terre. Je pense qu’il conviendrait plutôt de se poser la question : pourquoi une telle aspiration à adhérer à une idée symbolisant un regroupement d’êtres humains ? A ce sujet, Ernest Renan lui-même a dit : « l’oubli, et je dirai même l’erreur historique, est un facteur essentiel de la création d’une nation, et c’est ainsi que le progrès des études historiques est souvent pour la nationalité un danger. »
Le discours de De Gaulle ci-dessous à propos de l’Europe illustre ce paradoxe (aspiration/peur d’adhésion à un groupe) quand il évoque la volonté de non-dissolution des anglais. Lui-même ne veut pas de la dissolution de l’Etat-nation dans l’Europe alors que parallèlement il a sacrifié sa vie à sa nation, il a littéralement dissolu son individualité dans l’idéal national qui a donné sens à sa vie. Cela s’explique par le fait – explicité plus haut dans les termes de réaction à la morale engendrant la volonté de puissance – qu’en compensation de son sacrifice, il domine ce groupe qu’est la nation et souhaite le préserver en l’état.
Joaquim Defghi
Blog : actudupouvoir.fr
Twitter : @JDefghi
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