L’Homme collectivisé
Vous rencontrerez l’Homme collectivisé au hasard d’une rencontre avec un militant, un croyant, un adepte, un fan, un membre de l’élite financiarisée : vous constaterez qu’il ne pense pas, il récite.

Il existe deux mondes, l’un individuel l’autre collectif, dans lesquels chacun d’entre nous vit. Ils n’ont ni les mêmes valeurs, ni les mêmes règles. Le premier des mondes est celui de l’intelligence, de la création, de l’être, le second est sous-tendu par la volonté de puissance et de l’avoir, les deux mondes sont incompatibles, lorsque l’un enfle l’autre se rabougrit.
La loi de Mariotte pose que pour un gaz le produit du volume par la pression reste constant à une température donnée. Ceci n’est qu’approximativement vrai et ne fonctionne vraiment que pour des gaz dits parfaits c’est à dire comme un modèle des gaz réels à basse pression. En règle général, un modèle ne reflète qu’une partie, quelquefois infime et approximative, de la réalité. Transposé aux comportements humains, la loi de Mariotte pose que le produit de la Puissance par l’Intelligence reste constant pour tout individu.
Il est nécessaire de décrire plus avant les termes utilisés.
La Puissance représente le pouvoir sur autrui, l’aptitude d’un individu à exercer une pression suffisante sur des proches afin de les conduire mentalement ou physiquement là où il souhaite. Convaincre par des mots sincères ou des ruses de l’esprit représente la partie la plus commune de la Puissance, celle-ci institutionnalisée va de la coercition à la barbarie.
L’Intelligence consiste également à exercer une pression mais sur soi-même pour en extraire non pas le bon mais le meilleur. L’intelligence se ciselle au gré des rencontres, des hasards, des imprévus, des lectures, afin de façonner un être unique, toujours irremplaçable mais quelquefois éteint par les autres dont on sait qu’ils constituent l’enfer. L’intelligence c’est l’accès au beau, à l’harmonieux, à l’unique comme ces pièces de puzzle qui s’assemblent comme par miracle. L’intelligence ne reconnait aucune référence, aucune échelle, chaque individu à la sienne et est indispensable à chacun à condition qu’elle ne se coagule pas en élite qui méprisera alors inévitablement, discrètement ou expressément, tous ceux qui ne lui ressemblent pas.
La loi de Mariotte souligne donc que le produit Puissance x Intelligence est une constante. L’Intelligence ne peut être qu’individuelle et elle diminue jusqu’à devenir nulle lorsque la Puissance du nombre augmente. Cette évidence est obscurcie par le fait qu’une multitude disciplinée est capable d’ériger des temples, de construire des barrages, d’instituer des cours de justice... toutes choses inaccessibles lorsqu’on est seul. Mais le défi c’est de rester soi-même au milieu des autres, c’est à cette condition que la flamme de l’esprit peut rester allumée.
Pour illustrer la loi de Mariotte, on peut se tourner vers l’histoire de la religion catholique qui a connu successivement trois phases : la première baignée d’intelligence, la seconde régie par les Hommes collectivisés, la dernière laissant de nouveau émerger les qualités premières ‘à la faveur’ de la perte de sa toute puissance.
Grégoire VII (1073-1085) est le principal artisan de la réforme grégorienne qui entendait purifier les mœurs du clergé : obligation du célibat des prêtres, interdiction de prêcher la luxure, non-vente des biens spirituels, réglementation du trafic des évêchés, ce qui provoqua un conflit avec l’empereur du Saint-Empire qui considérait qu’il lui revenait de nommer les évêques. Grégoire VII obligera l’empereur excommunié à faire une humiliante démarche de pénitence. La puissance temporelle de l’Église atteignait son paroxysme.
Urbain II sera le successeur (indirect) de Grégoire VII en 1088. Il lancera la première croisade peu d’années après pour rétablir l’accès aux lieux de pèlerinages de la chrétienté en Terre sainte, autorisé jusque-là par les Arabes abbassides, mais interdit par les nouveaux maîtres de Jérusalem. Parmi les autres tumultes ou exploits guerriers, il s’ensuivra de 1562 à 1598 huit guerres civiles dites guerres de religions qui s’éloignaient concrètement de l’esprit du Dieu-Amour recommandé par les textes sacrés.
Les Chrétiens primitifs des premiers siècles n’avaient pas survécu à l’acquisition du pouvoir : l’intelligence créatrice avait fait place à une furie destructrice. Il n’y avait pas de changement de doctrine : on aimait ou on tuait avec le même sens évangélique, mais dans un cas on était seul ou isolé et dans l’autre les croyants s’étaient constitués en masse.
L’Église retrouva de sa pureté originelle non pas par des réformes commanditées par quelque hiérarque mais parce que la puissance tomba de ses mains. Ceci fournit peut-être l’indication qu’il n’existe pas de morale collective, qu’il ne peut exister qu’une morale individuelle.
Alors des textes comme ceux-ci peuvent réapparaître après une longue obscurité : « Une femme était entrée avec un vase d’albâtre rempli d’un parfum très précieux et l’avait versé sur la tête de Jésus. Ce geste avait suscité un grand étonnement. Jésus rappelle [aux convives] que le premier pauvre c’est Lui, le plus pauvre parmi les pauvres parce qu’il les représente tous. Et c’est aussi au nom des pauvres, des personnes seules, marginalisées et discriminées que le Fils de Dieu accepte le geste de cette femme. Des pauvres, vous en aurez toujours avec vous » (Mc 14, 7) »
Le pape François en rappelant ce texte a certes retrouvé ce que personne n’aurait jamais dû perdre. On peut quelquefois et après beaucoup d’efforts s’éloigner de l’animalité des chasseurs si l’on s’écarte de la meute, jamais si on y reste. Mais être seul ou démuni présente des risques ! L’Église catholique a vu son pouvoir s’effilocher à un point tel que ceux qui se pliaient à ses commandements lorsqu’elle était puissante et dominatrice viennent maintenant la mordre. Une pluie ininterrompue de scandales se déverse sur la tête de ceux qui de nouveau détestent les riches, non pas parce qu’ils sont riches, mais parce qu’ils sont stupides.
On se réfugie alors dans le giron du clan non pas pour y trouver une quelconque vérité mais par peur de l’affronter.
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