L’homme de Néandertal était-il une Anglaise ?
L’analyse ADN de deux très vieux Néandertaliens laisserait entendre que ces derniers auraient été roux. Une conclusion que certains médias ont vite généralisée et simplifiée, en oubliant la nécessaire prudence de telles études. Il n’en échappe cependant pas que la réalité des « races humaines » s’en trouve une nouvelle fois infirmée.

Le Monde est-il un bon journal ? Pas si sûr que ça si on lit uniquement celui daté du 27 octobre 2007 (1).
Il s’agissait pour Stéphane Foucart de relayer un article paru dans le Science du 26 octobre 2007 (2) concernant l’homme de Néandertal, et dont on peut lire un résumé (3) et les résultats expérimentaux (4).
Une visite dans la Préhistoire
Pour ceux qui s’intéressent un peu au sujet, on sait que l’homme, enfin, l’Homo sapiens, ne descend pas de l’homme de Néandertal mais serait plutôt une sorte de cousin, sur une branche parallèle, avec un ancêtre commun, probablement il y a environ 500 000 ans, l’Homo erectus (5).
La question qui préoccupe essentiellement (6) est d’ailleurs : comment l’homme de Néandertal a-t-il pu disparaître de la planète il y a environ 25 000 ans ? L’Homo sapiens est en effet apparu il y a 40 000 ans, et rien n’indique que l’Homo sapiens (notre descendant à tous) ait exterminé les Néandertaliens.
Ce fut d’ailleurs le sujet d’une très intéressante exposition au Musée de l’Homme de Paris en fin 2006 (7).
En effet, dans certaines régions, l’Homo sapiens et l’homme de Néandertal ont vécu vaguement ensemble, du moins avec une certaine proximité, pendant plusieurs milliers d’années, moins de 5 000 ans en Europe, environ 10 000 en Afrique et au Proche-Orient selon certains (8).
Cela dit, l’homme de Néandertal est apparu il y a environ 400 000 ans en Afrique et a émigré dans de nombreux endroits d’Europe et d’Asie centrale au climat très froid.
Un éclairage génétique
Du coup, les analyses de l’ADN (pour des immigrés, serait-ce normal ?!) prélevé dans deux échantillons osseux de Néandertaliens, l’un datant de 50 000 ans et l’autre de 43 000 ans, localisés en Espagne et en Italie, ont peut-être apporté une lueur supplémentaire à notre connaissance, ou plutôt, à notre méconnaissance.
En effet, les chercheurs y ont décelé un gène qui signifie, pour les humains actuels, des cheveux roux et un teint pâle.
Silvana Condemi, l’une des paléontologues impliqués, affirme ainsi : « Ce n’est pas surprenant. La peau pâle est un trait où l’ensoleillement est faible : elle favorise la synthèse de la vitamine D, qui se produit lors de l’exposition au soleil. ».
Cette dépigmentation ainsi observée révolutionne l’image d’Épinal des Néandertaliens qui veut que ces derniers soient « petits, râblés et hirsutes avec une pigmentation plus sombre » souligne Pascal Picq du Collège de France.
Étant donné que ceux qui sont primitifs et archaïques seraient forcément de peau sombre et ceux qui sont évolués, l’Homo sapiens (dont descendent également les populations d’Afrique noire, rappelons-le !) forcément des « grands blonds conquérants », montrant ainsi une vision passéiste et très colonialiste des choses.
Il me semble que le Musée de l’Homme avait déjà représenté en 2006 un Néandertalien sous les traits d’un homme blond à la peau claire, lors de l’exposition déjà citée (7).
Aucun « mélange » entre Néandertaliens et nous
A priori, il n’y aurait aucune hybridation entre l’homme de Néandertal et l’Homo sapiens, dans la mesure où le gène découvert comporte une mutation inexistante chez les humains d’aujourd’hui, démontrant ainsi une évolution similaire, mais parallèle, de la couleur des cheveux et de la peau.
Par ailleurs, les analyses ADN antérieures (9,10) confirmeraient cette absence de croisement entre l’homme de Néandertal et l’Homo sapiens, encore qu’il faut être prudent car les comparaisons n’ont pour l’instant porté que sur 370 paires de gènes sur 600.
Face à ces informations, j’ai deux réflexions.
Ineptie de la « théorie » des races humaines
La première est évidemment la confirmation de l’absurdité d’énoncer l’existence de races humaines.
Tous les humains ont une grande homogénéité génétique. Certains traits génétiques peuvent évoluer, mais uniquement pour des raisons d’adaptations climatiques. Les différences physiologiques restent superficielles (couleur des cheveux, des yeux, de la peau) et ne peuvent constituer un panel de « races » distinctes.
Par ailleurs, si on voulait malgré tout vraiment en définir, quelles seraient-elles, puisque tout humain moderne est le croisement d’ascendances ethniquement hétérogènes ? Autant de races que d’humains, donc.
Manque de rigueur et approximation médiatique
sur les avancées scientifiques
La seconde réflexion concerne le traitement fait par les médias pour grand public des découvertes scientifiques, souvent superficiel et très peu rigoureux.
Ce qu’il ressort de l’article du journal Le Monde (1), c’est que l’homme de Néandertal est donc roux et a la peau claire. Même compréhension à la BBC (11).
Mais ce n’est pas du tout ce que j’en déduis. Ni ce qu’en déduisent d’ailleurs, plus prudemment, les auteurs de l’étude citée.
D’une part, on a comparé un gène vieux de 40 à 50 000 ans avec un gène actuel d’humain, et en plus, d’une autre branche, d’une branche parallèle. Sont-ils tous universels, les gènes ? quelle est cette « mutation » dont parle Silvana Condemi ?
Déjà, ce n’est pas vraiment clair pour un profane comme moi. Ni même pour des spécialistes (12).
D’autre part, on a analysé l’ADN de deux seuls os fossiles, provenant certes d’individus différents (espacés de 7 000 ans !), mais seulement deux individus.
Et la question de logique classique est : quand on voit deux Anglaises rousses, peut-on conclure forcément que toutes les Anglaises sont rousses ?
Heureusement, la dépêche AFP (13) s’était montrée beaucoup moins affirmative, faisant parler le paléogénéticien allemand Michael Hofreiter, co-auteur (et superviseur) de l’étude en question, qui estime à moins de 1% la proportion (éventuelle) de roux chez les Néandertaliens.
La vulgarisation scientifique, chemin nécessaire mais difficile
Il reste encore du chemin pour apporter avec la plus grande exactitude les résultats de la science au grand public. Et surtout, du chemin pour ne pas oublier que la science, c’est d’abord une discipline qui doute et qui affirme avec beaucoup de précaution et de patience. Le contraire des modes actuelles.
(1) http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3244,36-971562,0.html?xtor=RSS-3244
(2) Lalueza-Fox, C., Römpler, H., Caramelli, D., Stäubert, C., Catalano, G., Hughes, D., Rohland, N., Pilli, E., Longo, L., Condemi, S., de la Rasilla, M., Fortea, J., Rosas, A., Stoneking, M., Schöneberg, T., Bertranpetit, J. et Hofreiter, M. (2007) - « A melanocortin 1 receptor allele suggests varying pigmentation among Neanderthals », Science, Published Online October 25, 2007.
(3) http://www.sciencemag.org/cgi/content/abstract/1147417
(4) http://www.sciencemag.org/cgi/data/1147417/DC1/1
(5) http://fr.wikipedia.org/wiki/Homo_erectus
(6) http://fr.wikipedia.org/wiki/
(7) http://www.mnhn.fr/museum/front/medias/commPresse
(8) http://fr.wikipedia.org/wiki/Homme_de_Néandertal
(9) Ludovic Orlando, Pierre Darlu, Michel Toussaint, Dominique Bonjean, Marcel Otte and Hänni Catherine, CNRS, ENS Lyon « Revisiting neandertal diversity with a 100.000 year mtDNA sequence », Current Biology 6 juin 2006, volume 16, issue 11
(10) http://www.nature.com/nature/journal/v444/n7117/pdf/nature05336.pdf
(11) http://news.bbc.co.uk/2/hi/science/nature/7062415.stm
(12) http://fr.wikipedia.org/wiki/Homme_de_Néandertal
(13) http://fr.news.yahoo.com/
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