L’homo terminalus
Je m’efforce de vous présenter le modèle d’élève idéal qu’aimerait les profs, l’ « homo terminalus » mais il me sert surtout d’appui pour dénoncer certaines aberrations du système scolaire français.
Se plaindre sur la terminale S est une sorte de thème récurrent, même si le sujet ne verse pas dans l’originalité, il est
parfaitement justifié. Oui, la terminale S est un calvaire, et j’ai
tout plein d’arguments dans ma besace pour le prouver, mais bon, vu que
j’ai la flemme de tous les sortir, vous devrez patienter OU m’accorder
une confiance aveugle sans poser de questions, la dernière proposition
étant la moins contraignante, je vous recommande vivement de l’adopter.
Avec
ma folle expérience d’écolier, de collégien puis de lycéen en phase
terminale, j’ai pu rencontrer une multitude de professeurs qui
consacrent leur vie à remplir les têtes (vides) de ce qu’on appelle
avec fatalité l’avenir de la nation. Au cours de leur
carrière, ils ont fréquenté des centaines d’élèves de tous niveaux qui
ont modelé chez eux une certaine image abstraite de l’élève en
général. En parallèle de cette image de l’élève moyen, les professeurs ont fabriqué de toutes pièces un modèle d’élève idéal : l’homo terminalus, auquel ils ont préféré adapter leur méthode de travail.
Alors que l’homo economicus est le sujet consommateur pur exempt d’autres paramètres qu’on utilise pour les études de marché, et que l’homo sovieticus est le modèle idéal d’ouvrier stakhanovien dont on faisait la propagande sous régime stalinien, l’homo terminalus
est une chimère professorale de l’élève idéal destiné aux grandes
écoles et vidé de toute vie extérieure au lycée. Parfois
inconsciemment, souvent sous-entendu, le professeur fait souvent
référence à l’homo terminalus lorsqu’il parle de travail
personnel, d’orientation ou lorsqu’il rend des devoirs. Cet idéal est
plutôt répandu dans l’inconscient collectif des professeurs de
terminale S, j’ignore si cela est valable pour les autres filières, je
n’y ai malheureusement jamais mis les pieds, si on pouvait me
renseigner après avoir lu entièrement l’article, merci.
L’élève enthousiaste arrivant en première S est bourré de jolis a priori sur cette magnifique filière car on n’a pas manqué de lui en parler en termes mélioratifs : filière d’excellence, pour les meilleurs, on peut tout faire avec un bac S, c’est la filière qui a le plus de débouchés, L et ES sont des voies fermées, le professeur se sent bien aise de lui sortir le coup de l’homo terminalus. Mais alors, l’homo terminalus, concrètement c’est quoi cette abstraction qui se trame dans la têtes des profs ?
Il
est toujours à l’heure, jamais en retard, ou bien alors pour une raison
dûment justifiée. Il est ponctuel, alors que l’élève fréquemment en
retard est négligent, on le soupçonne même de fainéanter au lit car il
s’est couché trop tard hier soir, sans doute pour regarder un film ou
quelque chose, ah la la, l’homo terminalus lui se couche
toujours à 22h30 (maximum !) pour avoir ses huit heures de sommeil lui
donnant la pêche le matin alors que ses camarades semblent toujours
avoir les vertèbres lombaires et les cervicales distendues, ils donnent
l’impression de glisser sur des serpillières imbibées de soupe.
En cours, il a l’oeil vif, le regard rivé sur le tableau, il boit les
paroles des professeurs et gratte son papier comme nul autre. Son
attention ne faiblit jamais, même à la huitième heure de cours de la
journée. Il ne lui viendrait jamais à l’idée de parler avec son voisin
pour perdre une miette de cours, il demeure extrêmement silencieux.
Mais quand il est sollicité, c’est la main levée haut vers le plafond
bourré de résidus d’amiante qu’il questionne sur le cours, sur quelque
chose qu’il n’a pas compris, ou bien c’est pour répondre en moins de cinq
secondes à une question du prof. Grand fantasme des professeurs de
langues, l’homo terminalus participe de façon constructive et fait avancer le cours en incitant le groupe-classe à faire des échanges (langage IUFM, dit iouphme)
tandis que les autres pioncent, les petits salauds, pas d’avenir pour
ceux qui refusent de participer ! Car la première qualité de l’homo terminalus,
c’est qu’il travaille, mais alors d’arrache-pied. Dès qu’il rentre chez
lui, une légère collation et hop ! c’est parti pour faire les exercices
du lendemain, réviser les cours comme chaque soir pour ne pas être
largué le jour du contrôle, et puis s’avancer d’au moins une semaine
évidemment. Persévérer quand on ne comprend pas, utiliser toutes les
ressources disponibles pour résoudre une question ardue. Et si demain,
c’est devoir, branle-bas de combat dans les chaumières, théorie et
pratique doivent être connues sur le bout des doigts, Vous ne Pouvez
Echouer.
L’homo terminalus, c’est l’élève qui cumule toutes ces qualités, le prof aimerait voir fleurir sa classe de ces utopies vivantes afin de dire au moins une fois dans sa vie : “c’est une classe homogène” dans un conseil de classe. Si l’on suit ce schéma d’élève idéal, n’importe qui est en mesure de réussir s’il travaille de façon conséquente, et c’est une affirmation tenace dans le milieu scolaire. Même certains élèves, à qui on a rabâché l’axiome travail = réussite, essaient de se rapprocher de ce modèle d’homo terminalus, croyant que leurs résultats sont uniquement dû aux efforts qu’ils fournissent. Magnifique théorie, mais qu’en est-il en pratique, les élèves bossant comme des forcenés réussissent-ils pour autant ? J’ai vu quantité d’élèves travaillant énormément pour au final se taper des sales notes, et régulièrement, tandis que d’autres en font dix fois moins et obtiennent le double. Il y a quelque chose de pourri dans le royaume de l’éducation nationale, une idée archaïque s’est scotchée dans l’inconscient collectif des bahuts et elle demeure engluée au mépris de toutes les dernières innovations psychologiques et sociologiques. En effet, dans ces sciences humaines on parle entre autres du capital culturel, déterminé par plusieurs facteurs dont l’origine sociale, et aussi de la volonté, qui est un mouvement spontané pour réaliser un désir, ce n’est pas se forcer ou faire des efforts, contrairement au sens commun qu’on lui donne. Ces deux caractéristiques sont inégalement réparties entre les êtres humains car personne n’a eu la même éducation et le même milieu social, mais le système scolaire ne le prend pas en compte, on assiste à des perplexités fâcheuses de la part des professeurs face à certains élèves qui persévèrent, qui ne relâchent jamais mais qui n’arrivent pourtant pas à percer, alors que ceux qui ont des facilités, pour ne pas dire une plus grande vivacité d’esprit, réussissent sans forcer. Ces derniers ont alors droit à moins de respect car ils travaillent moins que les autres, mais à quoi bon ? S’ils travaillaient plus, ils n’auraient pas de meilleures notes, eux aussi ont des limites, comme tout le monde. Sauf que leurs limites s’arrêtent à 18 tandis que celles d’autres s’arrêtent à 8. Tout semble être déterminé très tôt : le capital culturel de départ, la capacité de travail, d’écoute, de compréhension ainsi que la volonté. Tout cela forme des limites mentales très fortes, c’est en contradiction avec le modèle de l’homo terminalus. Lui, il veut aller en classe prépa donc il fera tout ce qui est possible pour y parvenir, il n’a théoriquement aucune limite, c’est la preuve qu’il appartient au domaine de l’imaginaire, chacun a un but provisoire plus ou moins fixé, allons-nous mettre notre vie en parenthèses pour autant ? Le dilemme pointe son nez lorsqu’il s’agit de s’avancer dans son travail pour réussir à un contrôle afin d’avoir une bonne moyenne ce trimestre, le but final étant de réussir son bac pour continuer de progresser, dégoter un bon boulot qui nous plaira et amasser la thune pour avoir une vie plutôt confortable, qui veut cela ? Tout le monde le veut, et pourtant combien vont renoncer à s’avancer et opter pour le divertissement à court terme à la place ?
Alors
que nous devrions être motivés pour réussir et que le moyen d’y arriver
semble simple (travailler), ce qui se déroule dans nos têtes n’est pas
ce que les profs ont escomptés : nous sommes écrasés par le stress qui
rythme le fond de notre vie, la petite voix si vraie et si terrible qui
nous murmure “pense à ton avenir” mine notre volonté. Ceux qui ne
réussissent pas ne comprennent pas, ils ont travaillé pourtant, ceux qui
sont au sommet ne comprennnent pas non plus : ils n’ont pas fait grand-chose ; blocages pour certains, facilités pour d’autres, travailler pour réussir
semble convenir à ceux qui sont dépourvus des deux, reste à savoir si
de telles personnes existent, mais toute une administration ne doute
pas de leur existence. Les trois quarts des profs votent à gauche et
pourtant ils continuent de proférer un élitisme archaïque qui n’aide
personne pour la construction de son avenir, sont-ce les grandes
instances de l’éducation nationale qui donnent de telles directives ?
Même si administrer un coup de pied au cul du mammouth semble
laborieux, j’offre quelques suggestions pour que l’égalité des chances
deviennent de plus en plus une réalité :
- Engager de vrais psychologues, si possible psychanalystes, dans les bahuts pour qu’ils s’occupent des cas d’échecs scolaires.
- En plus des étudiants désirant devenir enseignants, privilégier les étudiants psychologues comme surveillants dans les collèges.
- Ne plus orienter le programme de terminale uniquement pour ceux qui veulent aller en prépa, honneur à la majorité.
- Stopper la propagande pour les classes scientifiques et insister sur ce que signifie “scientifique”, afin d’éviter les mauvaises orientations et de rétablir un équilibre entre les différentes filières L, ES et S.
- Arrêter de traiter les S comme une élite, certains professeurs vont jusqu’à être dégradants envers les autres filières.
- Abolir des mentalités l’idée de l’homo terminalus, revenir à la réalité, s’intéresser plus à la santé mentale des élèves qu’à leur méthode de travail.
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