L’impasse
Déni ou accomodement ? Que faire avec la catastrophe à venir, l'idée d'un effondrement en cours, de la fin du règne de l'Homme ? Idée encore plus bouleversante qu’un deuil ?
Oh ! mais heureusement, je crois que c’est en train de changer, tout ça !
Je suis toujours dubitatif pour ne pas dire sceptique quand j’entends certains de mes compatriotes de pensée qui ont parfois des accès d’optimisme, comme pour se rassurer eux-mêmes, comme pour se dire que tout n’est pas perdu.
“Je t’assure, je le vois, les gens commencent à se rendre compte de ce qui se passe, que c’est fou ! Ils se recentrent sur l’indispensable, la chasse au gaspillage ..”
Il est fort possible qu’à travers les médias ou que dans les mentalités, désormais traversés de préoccupations environnementales, perce un certain dégoût sincère du matérialisme généralisé chez nos concitoyens, comme un mauvais hoquet de dégoût après un repas trop arrosé. Il faut cependant prendre ces exhortations pour ce qu’elles sont : des perspectives de vieux sages de fin de banquet, des échos de comptoir aux modes dans les modes de pensées, des déblatérations au mieux repentantes, au pire culpabilisantes. Il suffit de regarder les grandes tendances, les données, les chiffres bruts, avec du recul, et rien ne dit que les occidentaux soient prêts à renoncer volontairement à leur mode de vie destructeur. Bien au contraire, pour eux c’est un art de vivre, une fierté. S’il y a peut être effectivement “une majorité de français pour penser qu’il faudrait réduire notre consommation”, il s’en trouve parmi eux qui équipent leurs logement d’écrans géants full HD, circulent en SUV surdimensionnés et vont passer leurs vacances sous les tropiques.
À l’intérieur de cet immense processus de saccage et de destruction plus ou moins raisonnée qu’est devenue l’occupation humaine sur terre, il y a toujours des espoirs vains de nouvelles pratiques, d’écologie raisonnante et raisonnée, de petits gestes qui vont sauver la planète. Les jeunes générations seraient sensibilisées, prêtes à militer pour faire comprendre aux boomers qu’ils ont trop tiré sur la corde, même si ces nouveaux contempteurs ne peuvent plus se passer de leur portables et de leurs réseaux dont fabrication, utilisation et maintien de l’infrastructure sont désormais plus consommateurs de ressources que le trafic aérien. D’ailleurs, voyez ma bonne dame, les gens font attention maintenant, ils ne prennent plus l’avion aussi facilement - le trafic planétaire continue pourtant d’augmenter de façon exponentielle. Mais si, mon bon monsieur, la pollution se réduit, on recycle désormais et on a l’espoir dans les bio-matériaux - Tiens ! mais on constate que les déchets plastiques se concentrent partout dans notre environnement et qu’il est prévu de quadrupler l’usage du plastique dans nos sociétés d’ici dix ans. Propagande des gouvernements qui veulent montrer qu’ils agissent ? Greenwashing des grand groupes pour que les affaires continuent pendant l’effondrement ? Perspectives de lendemains qui chantent vendues par des médias qui se veulent positifs ? Voeux pieux d’intellectuels sensibles, prêt à instaurer une dictature verte et technicienne ? On hésite, a du mal à identifier les auteurs de ces grossiers contre-feu.
La réalité toute simple, toute logique, c’est que la population humaine a cru de façon exponentielle, qu’elle n’est plus animée que par une seule et véritable religion planétaire qui est celle de la consommation, riches comme pauvres, chacun à leur niveau, dans une course à l’échalote sans fin, favorisée par un stade de développement et de puissance industrielle jamais atteints jusqu’à présent. On regarde les courbes d’extraction des minerais, des énergie fossiles, celle de la production d’énergie, du transport, du chauffage : explosives. Elles suivent celle de la natalité d’une espèce forcément polluante, d’autant plus qu’elle est soi-disant évoluée. Comment voulez-vous sortir de cette spirale infernale de façon massive et volontaire, alors que tout ce système ne vit que de la consommation de masse ?
L’ apparente inutilité de l’essentiel quand l’inutile est devenu essentiel
Quelques membres des habitants des pays occidentaux - la petite partie favorisée et éduquée de ces populations - se recentreraient sur les besoins essentiels ? Enfin ? Ah bon ? Vous êtes sûrs ? Et que ce sera cet essentiel ? Vivre sans portable, sans voiture, sans bouffe industrielle, sans viande à chaque repas ? Vous plaisantez les ayatollah verts ! Et pourtant, jusqu’à preuve du contraire l’humanité a passé 99% de son développement ... sans ces consommations superfétatoires. Jusqu’à preuve du contraire, les usages actuels des sociétés occidentales ne correspondent en rien à des besoins essentiels si l’on définit ces besoins comme le faisait Epicure : la nourriture, le repos et à la limite le plaisir sexuel. À la limite, parce que question reproduction, le croissez et multipliez-vous est un des seuls objectifs initiaux posés par l’Eternel qui soit atteint, et bien atteint celui-là ! Tout le reste, ne répond pas aux nécessités de la vie humaine, d’un développement harmonieux, et ne peut concourir au véritable bonheur épicurien. Siroter une boisson gazeuse sucrée, au volant d’une puissante décapotable sur l’autoroute, la musique, poussée à fond, venant de mon portable connecté sur quelques lointain serveur, mon léger embonpoint lové dans des vêtements fabriqués à l’autre bout de la planète, en route pour rejoindre un lieu de villégiature bétonné sur un quelconque littoral et ce, après une bonne semaine de travail dans son bureau climatisé, sont pourtant considérés comme des usages courants, et même des besoins essentiels. Et il le sont : pour l’industrie, pour le secteur tertiaire, pour les marchands de babioles et d’énergies fossiles, sinon tout s’arrête. Mais ce n’est pas tout.
Il est évident que dans ce type de sociétés humaines, producteurs comme consommateurs, n’ont aucun intérêt à changer radicalement de mode de vie. Cela serait même impossible, car ce mode de vie est intimement lié au développement et au progrès technique : il est sa conséquence et est devenu un minimum, un besoin essentiel aux yeux de tous dans une vie humaine absolument matérialiste. Cette consommation effrénée, qui paraîtrait complètement absurde nos proches ancêtres, habitués ou contraints à la mesure, est devenue une nécessité.
En effet, ainsi que le relevait Jacques Ellul, dans les années 80 :
“l’homme ne peut vivre et travailler dans une société technicienne que s’il reçoit un certain nombre de satisfactions complémentaires qui lui permettent d’en surmonter les inconvénients. Les loisirs et les distractions, leur organisation ne sont pas un superflu qu’il serait aisé de supprimer au profit de quelque chose de plus utile, ils ne représentent pas une élévation véritable du niveau de vie : ils sont strictement indispensables pour compenser le manque d’intérêt du travail, la déculturation provoquée par les spécialisations, la tension nerveuse due à l’excessive rapidité de toutes les opérations, l’accélération du progrès demandant des adaptations difficiles. Les gadgets sont indispensables pour tolérer une société de plus impersonnelle, les remèdes sont nécessaires aux adaptations.”
Il y a assurément un très gros problème anthropologique dans ces sociétés que l’on appelle thermo-industrielles, l’éléphant au milieu du salon : un tel niveau de technicité, d’efficacité et d’exigence de profit, a un impact très peu étudié sur une espèce qui a passé 99% de son existence dans la sobriété subie. Ce ne sont que ces 70 dernières années de notre “règne”, une paille, que nous avons véritablement commencé, de plus en plus rapidement, à changer du tout au tout notre environnement, notre alimentation, notre organisation sociétale. Il est peu de dire que le bestiau a en réalité du mal à s’adapter, en si peu de temps, que ses gênes ne sont pas programmés pour cela, que sa structure anthropologique même est bouleversée. Etonnez-vous que désormais 50% de ces populations “développées” soit en surpoids - potentiellement vous et moi donc- et que 20% soient considérés comme médicalement obèses. La consommation ne sert donc pas à couvrir des besoins mais sert d’exutoire. Il suffit de voir la consommation de stupéfiants, pris au sens large : drogues diverses, tabac, alcool, médicaments psychotrope et autres tranquillisants. Toutes ces substances ne sont en rien essentielles, elles sont même délétères à plus ou moins long terme, mais leur usage est massif et suit la même courbe que celle du développement humain. Et la société toute entière, de se désoler hypocritement des effets, des accidents générés par la prise de stupéfiants au volant, des maladies, des vies ruinées, de la déchéance des corps et des esprits, le trafic, le banditisme que cela engendre, tout ce qu’on voudra, mais très peu, voire personne, pour poser la bonne question : Pourquoi ? Pourquoi cette fuite générale dans des états seconds où l’on s’oublie où l’on se sent enfin bien, de force ? La consommation répétées de doses de sucres, d’heures de fictions à grand spectacle, de sensations dans des voitures puissantes, d’achat compulsif vêtements de marque, de recours à la chirurgie esthétique même chez des adolescentes, de tout ce qui est la consommation “moderne”, toutes ces pratiques agissent comme des drogues, des mécanismes d’évitement du réel, d’oubli de la condition humaine. Ils sont autant de moments de décollage et sont comme les substance stupéfiantes, à moindre intensité, mais se relaient pour un effet, en continu. Pourquoi toute une société qui ne pense qu’à se fuir à s’oublier, à se réfugier dans la compensation ? Jacques Ellul en a énoncé clairement la cause : une humanité dénaturée par le mode de vie inhérent aux système capitalistes et qui, à sa façon, y répond en se vautrant dans tout ce superflu, dépendante de ses doses massives de confort, de ressources naturelles, substances apparemment inoffensives, mais devenues concentrées, hallucinogènes, et addictives.
On n’arrête pas le progrès, c’est le progrès qui nous arrêtera
Le tableau n’est pas beau, mais il n’est pas pessimiste, contrairement à ce que voudraient nous faire croire ceux qui préféreraient que cela se poursuive, car nous en avons tous besoin, nous en sommes tous tributaires, autant pour des questions hormonales que financières. Rassurons-nous d’une certaine façon, cela va continuer ... jusqu’à ce que cela ne puisse plus durer. Soixante dix années de défoulement exponentiel, sur 600 000 ans ? Plus de rejets de CO2 durant les vingt dernières années que durant toute l’existence de l’humanité ? Vous ne trouvez pas ça un peu étrange ? Ça ne ressemblerait pas au bouquet final ? Aux derniers efforts d’un organisme en fin de course pour se maintenir à tout prix ? De l’avis général, on touche le fond, épuisement des ressources, destruction du milieu. L’humanité comme échouée sur une planète lessivée, syndrome de l’île de Pâques. Vous croyez qu’il serait réaliste et plausible, si cela se fait, de redescendre bien gentiment, raisonnablement, comme un enfant qui s’endort après une grosse colère ? Des milliards d’humains emportés dans leur fièvre dans leurs rites de comsomption de ce qui les entoure et qui se raviseraient, collectivement, en raison d’une prochaine fin hypothétique et abstraite ? Avec les intérêts qu’il y a derrière ? La machine à profit généralisée, l’humanité droguée à la consommation qui se mettrait à la méditation et à la tisane de d’herbes ? Vous y croyez ? On comprend que fleurissent ces dernières années les scénarios d’un prochain effondrement général, catastrophe coordonnée : climatique, financière, environnementale et sociétale. Il aura probablement un peu de ça, mais pas forcément, comme on l’imagine habituellement, avec des villes dévastées genre Planète des singes. Faites confiance à l’intelligence humaine, à son génie, la preuve, nous sommes arrivés jusqu’ici, et en quel état !
Dans une telle société comme la nôtre, si complexe, nous peinons à avoir une vision globale, à prendre en compte toutes les tendances, soit parce qu’on y pense pas, soit parce que nous les refoulons. Ainsi, rôle de la violence est la plupart du temps ignoré. Soixante ans de croissance et de paix relative en Occident nous ont fait oublier ce qu’est la guerre. Pourtant, qu’elle soit civile ou entre Etats, elle a pour but premier de réduire les risques d’une fin du monde ... pour celui qui la gagne. Au vu de l’histoire de l’humanité, il est probable que les hommes vont se battre pour les territoires les moins impactés par le changement climatique ou possédant encore des ressources aquifères, agricoles, minières ou énergétiques. Les guerres vont provoquer une diminution de la population et une domination accrue pour les perdants ce qui réduira l’empreinte écologique globale de l’humanité.
Ce scénario est d’autant plus crédible que les progrès en intelligence artificielle permettront des guerres avec peu de soldats, des régimes autoritaires avec peu de policiers des usines avec peu d’ouvriers, etc. Certes, il faut des ressources pour maintenir une société thermo-industrielle avec de tels moyens, mais ceci n’est pas un problème si peu d’humains en profitent - les autres étant maintenus à l’état de misère, ou victimes de massacres ou de famines. Peu de consommateurs signifie aussi un plus faible impact pour le climat et une possible stabilisation des émissions à des niveaux pas trop dangereux.
Il est donc effectivement complètement illusoire de parier sur l’effondrement du système, qui serait à bout, qui du fait de la disparition des ressources ne pourra se maintenir, une nouvelle solution finale se profile, dont personne ne parle, parce qu’inacceptable au vu des critères d’humanisme et de démocratie affichés pour rassurer le bon peuple des classes moyennes.
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