L’impasse de la mouvance idéologique de Nicolas Hulot
Nicolas Hulot ne peut à la fois se déclarer incompétent en économie et en sociologie politique et prétendre sauvegarder la symbiose « humano-écologique » en prescrivant une révolution économique et industrielle pour le moins douteuse.
Car, ne lui en déplaise, la prospérité est, ici-bas, le privilège individuel et collectif le plus difficilement accessible et le moins bien partagé. Elle l’est d’autant moins que l’optimisation de notre mode de développement s’accommode mal des expérimentations hasardeuses, a fortiori lorsqu’on imagine possible de les arrimer à une invraisemblable sobriété marchande. Pour ce qui est des expérimentations foireuses, le siècle dernier a pourtant été incomparablement riche d’enseignements.
Aussi est-ce à se demander si l’animateur télé et ses divers contradicteurs se proposent de résoudre les mêmes problèmes sociétaux. Pour le savoir, encore eût-il fallu préalablement que les uns et les autres s’entendent sans équivoque sur l’énoncé desdits problèmes, les formulent en termes simples, précis et irréfutables. Quitte à décevoir bien des ambitions déraisonnables, c’est précisément la mission essentielle qui semble devoir échoir au prochain Grenelle de l’environnement. En effet, si la table ronde ne parvenait qu’à ce résultat, ce serait déjà un progrès décisif sur la voie d’une cohésion défensive de la nation. Obtenir un large consensus sur la définition précise de la nature et des propriétés des périls menaçant la pérennité de la civilisation, c’est largement subodorer les moyens de s’en prémunir.
Il se trouve que, sauf à pérorer indéfiniment dans un énième royaume de la mauvaise foi, les termes guère contestables de cet énoncé sont largement connus.
Le constat de carences
- Sans crainte d’être contredit, on peut considérer que plus de la moitié de la population mondiale est touchée par une pauvreté allant de la précarité plus ou moins chronique à l’extrême misère et au dénuement total.
- La raréfaction de ressources naturelles vitales - comme l’eau douce ou les potentialités agricoles de notre planète - est très préoccupante, tandis que l’épuisement programmé des énergies primaires fossiles est alarmant.
- La Terre est indubitablement entrée dans une phase de réchauffement accéléré paraissant n’avoir aucun précédent dans son histoire, dont on n’identifie pas encore toutes les causes avec certitude. À court et à moyen terme, des bouleversements climatiques chaotiques aux conséquences redoutables s’en déduisent aisément, que d’aucuns affirment déjà à l’œuvre.
Les palliatifs
- Prétendre combattre la pauvreté et, dans le même temps, considérer vain de recourir à un accroissement très substantiel de la production des richesses porte un nom : le malthusianisme. De plus, se livrer à l’exercice rhétorique fumeux « du vivre autrement » ou de la nécessité « de réinventer d’urgence notre mode de développement économique » ne fait aucunement oublier son corollaire terrifiant, implicite dans le discours des nouveaux démiurges : l’employabilité de tous - garantissant à tous des revenus de subsistance - n’est et ne sera jamais requise.
Tourner le dos à cette inconséquente utopie ne peut donc que consister à privilégier le salut socio-économique de l’humanité par une amélioration constante du rendement de ses activités, que, seules, la science et la technique sont capables de procurer. Aucun autre moyen n’est raisonnablement en mesure de limiter autant que faire se peut nos inévitables prélèvements vitaux sur le milieu naturel.
- S’agissant des ressources vivrières et énergétiques de substitution - aux capacités desquelles nous serons prochainement condamnés à suspendre la prospérité, sinon la survie collective -, le diagnostic « nécessité absolue de la performance scientifique et technologique » est encore plus immédiat.
- Enfin, quelle que soit la responsabilité des activités humaines dans le réchauffement climatique, il n’est guère contestable qu’elles en constituent, a minima, un fait aggravant. C’est pourquoi vouloir à juste titre s’attaquer à la cause anthropique du réchauffement climatique ne saurait passer par autre chose qu’une radicale mutation industrielle, technologique et scientifique.
En toute rigueur, l’énoncé consensuel pourrait se limiter aux quelques considérations ci-dessus. Mais, s’en tenir à elles serait entretenir, non sans arrière-pensée, une hypocrisie servie au quotidien à nos compatriotes. Nul n’ignore que ce qui importe avant tout à ces derniers ce sont les conclusions, quelquefois ô combien implicites, d’une analyse largement suggérée par le constat. Aussi, en complément des deux précédents paragraphes, celui des conclusions pourrait-il s’intituler : Quels moyens crédibles ?
Point n’est besoin d’approfondir le problème posé - multiforme seulement en apparence - pour avoir la révélation qu’il se ramène à un problème d’équivalence, unique, cher à Albert Einstein : un vertigineux problème énergétique... Pour s’en convaincre, il suffit de reprendre un à un les palliatifs au constat de carences, déjà énumérés.
Qui, aujourd’hui, peut sérieusement soutenir qu’il n’existe pas de lien de proportionnalité entre le besoin énergétique et un impératif aussi colossal de production de richesses ; ceci, quels que soient des progrès de l’intensité énergétique (vraisemblables) n’ayant pas, eux-mêmes, une incidence néfaste sur l’employabilité ?
La même question devient plus prégnante lorsqu’on aborde le défi du remplacement d’énergies fossiles représentant actuellement 80 % de l’énergie primaire consommée dans le monde, mais aussi lorsqu’on aborde celui de la satisfaction des besoins vitaux d’une population appelée à doubler sous cinquante ans. Personne ne conteste plus que les hommes ne couperont pas à l’obligation de produire massivement de l’eau douce par dessalement de l’eau de mer. Or, peu d’industries sont aussi « énergivores » que celle du dessalement. Quant aux substituts d’assolement et à l’accroissement des rendements phytosanitaires massifs auxquels nous condamne l’exiguïté de la planète, c’est également leur traduction énergétique qui pose le problème prioritaire.
Le nécessaire combat contre les émissions de gaz à effet de serre, singulièrement contre les émissions de CO2, n’est pertinent que dans le domaine énergétique.
Ainsi, le problème existentiel posé à l’humanité apparaît-il tout à coup plus simple et tolère-t-il d’être très grossièrement illustré en quelques chiffres : dans les trente ans qui viennent, l’Europe va devoir se doter d’une capacité de production électrique supplémentaire de l’ordre de 600 Gigawatts, le monde entier d’une capacité ne pouvant être inférieure au triple ou au quadruple de cette valeur.
La seule puissance évocatrice de tels chiffres tétanise littéralement Nicolas Hulot et la cohorte des Dessus et des Kempf, entre autres disciples, semblant croire efficace la conjuration rituelle d’une réalité déniée avec la constance médiatique que l’on sait.
En dehors d’une extravagante cure de désaccoutumance énergétique généralisée, que proposent tous ces visionnaires, en lieu et place des quelques 2 000 à 4 000 tranches thermo-électriques supplémentaires, absolument nécessaires à l’horizon 2030 ? Dans un pieux et incantatoire soupir, la réponse est toujours la même : l’émergence du sacro-saint nouveau bouquet énergétique... Ce bouquet, paraît-il en devenir prometteur, satisfaisant aujourd’hui moins de 1 % de la consommation totale d’énergie, hormis les laborieux 10 % de la biomasse ! À en croire le très écouté Benjamin Dessus, ce qui, en termes d’impacts négatifs sur les biotopes, condamnerait sans appel un nucléaire aujourd’hui à 6,8 % du total - près de 20 % en France -, ne serait aucunement rédhibitoire pour l’éolien et pour le photovoltaïque. En évitant soigneusement de caractériser les extravagantes conséquences territoriales, industrielles, techniques, écologiques et humaines de l’implantation d’un projet électrogène d’une capacité éolienne et photovoltaïque de 2 000 Gigawatts, ce monsieur se moque cyniquement du monde.
En définitive, sans en avoir probablement la totale conscience, la mouvance idéologique des Nicolas Hulot et de Benjamin Dessus s’emploie aujourd’hui à entraîner leur pays dans une impasse socio-économique et écologique funeste, avec une pugnacité qui laisse pantois. Portés par une communion médiatique quasi religieuse, ils détournent leurs concitoyens d’un péril imminent en les égarant dans la complexe dialectique d’une biodiversité, somme toute en péril différé, dont le contenu télégénique et émotionnel est inépuisable. L’auteur de ces lignes, lui-même, n’hésite pas à avouer souffrir d’un conflit philosophique interne entre le rapport prométhéen de l’homme à lanature et ce même rapport professant la centralité de cette dernière en tant qu’entité distincte de l’homme. Mais, tandis que, chez lui, l’antagonisme demeure constamment arbitré par la lucidité, chez Nicolas Hulot il semble définitivement tranché et le moteur exclusif de toute son action.
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