L’imposture du mot « flexibilité »
Il n’est plus un article de presse, de télévision, (ou de tout autre média) qui, au moment de traiter du monde du travail n’emploie les expressions : flexi-sécurité, flexibilisation des rapports sociaux. Mais quel est le sens de ce mot ?
Il est utilisé en référence à des modèles sociaux étrangers, se distinguant essentiellement du notre par une facilité accrue pour l’employeur de licencier (pour schématiser).
De la comparaison entre ces modèles et le nôtre, il résulte le plus souvent de la part des auteurs un appel à plus de flexibilité en France, à l’image de ces modèles étrangers.
Dans ce contexte, l’utilisation de ce mot renvoie (selon Wikipédia) à "la capacité d’une entreprise à s’adapter aux évolutions de sa demande et de son environnement."
De cette notion générale de flexibilité découlerait celle de flexibilité quantitative externe qui consiste à faciliter la faculté de l’employeur à faire varier le volume de sa main-d’oeuvre.
Il faut donc comprendre que les revendications de flexibilisation traduisent une volonté de faciliter les règles de la rupture de la relation de travail.
Or quel est le sens premier du mot flexibilité ?
Le sens premier de ce mot est scientifique, il qualifie la propriété d’un matériau de se plier sans rompre. Plus il se pliera avant de céder, plus il sera flexible.
Il est étonnant qu’appliqué aux rapports sociaux, ce mot prend un sens opposé puisque alors, plus il sera facile de rompre un contrat, plus ce dernier sera flexible....
Une manipulation évidemment volontaire.
Cette « erreur » de langage, ne saurait être causé par une sorte d’illettrisme de nos chers gouvernants. Il faut y voir donc un acte totalement volontaire, une « manipulation ».
Cela est d’autant plus vrai que l’erreur ici relevée n’est pas isolée et constitue même une technique coutumière de communication politique. Les exemples ne manquent pas ainsi on peut citer les récents « contrats nouvelles embauches » ou encore le « ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale ». Si le dernier a déjà fait couler beaucoup d’encre, par cette étrange apposition de mots, le CNE est une preuve encore plus flagrante de cette manipulation lexicale.
CNE : Contrat nouvelles embauches. Contrat : oui c’est effectivement un contrat. Nouvelles embauches : ici se pose le problème, il est tout a fait possible de conclure un CNE avec un salarié qui vient d’achever un CDD (ou tout autre type de contrat précaire) au sein de la même entreprise. L’embauche n’a alors aucun besoin d’être nouvelle. C’est une nouvelle manipulation.
Quel est le but de cette manipulation ?
Son but est immédiat, il consiste à susciter chez les auditeurs un a priori instinctif, spontané. Cela car l’auditeur comprend l’expression « manipulée » selon le propre sens qu’il accorde à son intitulé. S’il peut être rapidement remis en cause par une simple analyse du contenu de la proposition, le problème est qu’une catégorie de personnes s’arrêtera à cette première impression. Celle-ci conservera chez eux une certaine vigueur en tant qu’impression première, presque instinctive.
La conséquence est de parfois parvenir à créer de fortes oppositions entre les personnes, je ne prendrai qu’un exemple, celui du service minimum notamment à la SNCF qui va bientôt cristalliser les antagonismes. Il y aura d’un côté les grévistes et de l’autres les non grévistes appuyés par des nuées d’utilisateurs (très souvent hostiles à la grève). Ces derniers s’exclameront : « Comment ? Vous refusez de rendre un service (minimum) alors que vous êtes censé être un service public ! ». Il est évident que la situation serait autre si le projet s’était appelé « modification des modalités du droit de grève »...
Il ne faut toutefois pas être crédule, ce fait est là, l’homme politique use, abuse et déforme le langage afin de rendre le plus efficace possible ses idées. Ce phénomène n’est ni propre à la France (songez au magnifique exemple du Patriot Act) ni propre à notre époque, les sophistes utilisaient déjà ce travers de la communication.
Je terminerai avec cette citation de Georges Orwell : « Le langage politique est destiné à rendre vraisemblables les mensonges, respectables les meurtres, et à donner l’apparence de la solidité à ce qui n’est que vent ».
La novlangue est en route...
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