L’Individu, l’Etat & la Décroissance - Chapitre 4 (bis) : le leurre de la simplicité volontaire (bis)
Il y a des sujets sensibles qui, dans le petit monde de l’écologisme au sens large c’est à dire tous décroissants, simplicistes, frugaux et autres volontaires consentants confondus, réunissent oeucuméniquement des chapelles ordinairement occupés à s’invectiver sur des thèmes anecdotiques. Il s’agit par exemple du nucléaire et de la simplicité volontaire….. Pour l’un comme pour l’autre de ces sujets, il est un discours officiellement correct à ne pas modifier, sous peine de réception d’injures, de proclamation de condamnations et d’exécution de sentences. Mais le mal est encore plus profond car ces adeptes peuvent même réagir à des stimuli provoqués par certains mots-témoins qui, à peine lus ou entendus, les empêchent de saisir l’intégralité d’un propos pourtant bienveillant et les conduisent irrémédiablement vers un raidissement fatal à sa compréhension globale.
Cette difficulté qui leur est propre me donne cependant l’avantage de pouvoir préciser un peu plus le propos de mon précédent article éponyme. Afin de balayer tout de suite devant ma porte, je préciserai que j’ai pratiqué professionnellement l’agriculture et l’élevage biologique pendant quinze ans de 1969 à 1984, que je fus pratiquant du vélib lors de mes séjours en ville, que j’habite actuellement dans une charmante campagne de la France profonde où je cultive un jardin potager qui subvient presque complètement aux besoins de ma petite famille et que je n’ai pas la télévision, cette énumération, bien entendu, n’étant pas exclusive d’autres pas de côté posés par rapport au système capitalisto-étatique et à la société spectaculaire marchande.
Il est bien évident, pour peu qu’on prenne la peine de lire complètement mon article, que je ne tape pas sur les frugaux volontaires, mais que je me contente de les mettre en garde contre de graves contre-sens dans leurs discours. Il va de soi que la démarche et le comportement personnels d’un individu se réclamant de la simplicité volontaire sont tout à fait respectables et méritoires, mais les choses se gâtent lorsque celui-ci se pique de faire la leçon à la terre entière et voue aux gémonies tous ceux qui ne pensent pas comme lui. Car si ses convictions idéologiques sont recevables, pour autant qu’il admette celles des autres, ses certitudes scientifiques se révèlent suffisamment contestables pour qu’il ne puisse espérer en tirer une domination morale sur ces mêmes autres.
Lorsque je dis que les simplistes volontaires se trompent de date, c’est simplement pour leur rappeler l’évidence que l’écrasante majorité des consommateurs préfère aujourd’hui remplir leur caddie à l’hypermarché du coin que de manger des graines de soja germée dans un bol.
Lorsque je dis qu’ils se trompent de lieu, c‘est aimablement pour leur rappeler l’évidence que l’effort isolé de quelques centaines de personnes ne peut être d’aucun effet au niveau mondial dans le même temps où trois milliards de chinois et indiens ne pensent qu’à accéder à la consommation que, eux occidentaux privilégiés, ont déjà assez connu.
Lorsque je dis qu’ils se trompent de sujet, c’est gentiment pour leur rappeler qu’il sera bien temps pour le petit peuple de se serrer la ceinture lorsque le pétrole arrivera en déplétion, et qu’il serait plutôt plus charitable de l’inciter à profiter, pendant qu’il en est encore temps, des voyages discounts et autres petits plaisirs distillés par la société pléthorique, même si les grands seigneurs méprisants et planant au dessus de la mêlée plébéienne, que sont les simplistes volontaires, y renoncent avec dédain.
Lorsque je dis qu’ils se trompent de projet, je veux tranquillement leur rappeler que leur régime amaigrissant plaqué artificiellement sur un environnement boulimique ne leur donne pas forcément les armes adéquates pour s’adapter à la réalité de la décroissante progressive qui s’installera après que la demande mondiale de pétrole aura dépassé la capacité de production, et que leur problème se posera plutôt en termes de reconversion professionnelle et logistique plutôt qu’en termes de manger bio une nourriture qui manquera ou de covoiturer pour aller à un bureau qui n’existera plus.
Lorsque je dis qu’ils se trompent de fléau, je veux poliment leur signifier que le principal danger qu’ils agitent à ne pas faire comme eux, à savoir le réchauffement climatique, est éminemment contestable et d’ailleurs contesté au niveau mondial par un nombre de scientifiques plus important que celui de ceux qui le valident. Cette doctrine, organisée par le lobby capitaliste du green business, à apparemment réussi à entourlouper même les frugaux volontaires qui se sont laissés prendre à son argumentaire trompeur.
Mais tout ceci ne serait pas grand chose au final, si aux contre-sens accessoires, ne s’ajoutait la redoutable tentation totalitaire syndrome sectaire hérité des anciens jacobins, alimentée par l’intime et ferme conviction d’avoir raison pour les autres, et validant ainsi une démarche autoritaire à peine masquée par un discours aux accents parcimonieusement libertaires. La célèbre phrase de Saint Just« Pas de liberté pour les ennemis de la liberté » qui a justifié tant de massacres et de guillotinages, mais à laquelle beaucoup de français restent inconsciemment attachés à travers le souvenir de la révolution française et le principe agréé de pouvoir imposer aux autres une cause que l’on croit juste, par tous les moyens disponibles, trouve son équivalent chez les simplicistes avec celle ci : « pas de liberté pour les ennemis de la décroissance ». Le problème est que la nocivité de la société industrielle n’est pas scientifiquement prouvée, alors même que le niveau de revenus, l’espérance de vie, la diffusion de l’information, les libertés civiles, les prises en charges sociales, etc. se sont élevés à un point encore jamais atteint dans l’histoire humaine.
Et tout cela grâce au pétrole ! Ou, plus globalement grâce au développement du secteur tertiaire qui n’a été rendu possible qu’à partir du moment où les secteurs primaires et secondaires commencèrent à fournissent de l’excédent. D’autre part, si les ressources fossiles étaient présentes en quantités inépuisables ou de nature abiotiques (c’est à dire filtrant en permanence à partir du magma), ou si des énergies de substitution étaient aujourd’hui disponibles et totalement opérationnelles, la démarche frugale volontaire serait regardée comme une aimable hérésie quelque peu comique au yeux de l’individu moyen.
Il n’existe donc pas de fait majeur, visible aujourd’hui susceptible de valider incontestablement cette démarche frugale, et d’un point de vue objectif aucune certitude scientifique susceptible de s’opposer aux partisans crédules de la croissance, d’autant qu’un nombre important de gens intelligents (j’en connais personnellement quelques uns) croient dur comme fer au remplacement prochain du pétrole par les biocarburants, à l’avènement de la voiture électrique, du camion à pile à hydrogène, du tracteur téléguidé et de l’avion solaire. Il est de toute première importance de respecter ces gens-là et leur laisser le droit à vivre et consommer à leur guise. Mais c’est pourtant ce que les frugaux refusent de faire, enrageant et ne rêvant que de lois d’interdiction , et de décrets d’empêchement, de contraintes et d’obligations diverses.
Je leur conseille tout simplement de se calmer, de faire leur petit bout de chemin frugal tranquillement sans s’occuper des autres ni chercher à les convaincre, de ne pas se poser en exemple ni de glorifier leur comportement et d’oublier une bonne fois leur prosélytisme désuet. Mais qu’ils se rassurent ! La dot terrestre est bientôt épuisée et Dame Nature va se charger de remettre tout ce petit monde qui les horripile dans l’axe de l’histoire.
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