"Google Wave, le réseau social qui lie étroitement courrier électronique, messagerie instantanée et partage de projets et de contenus va être abandonné. Dans un billet publié le 4 août sur son blog officiel, la firme de Mountain View reconnaît que malgré un fort intérêt observé au lancement du service,
’Wave n’a pas connu le succès escompté’. En conséquence, les développements de
wave.google.com en tant que
’projet autonome’ sont suspendus. Le site sera maintenu jusqu’à la fin de l’année avant de voir certaines de ses fonctionnalités dissoutes dans ’d’autres projets Google’.
Accessible dans un premier temps uniquement sur invitation, Google Wave avait attisé une forte curiosité en 2009 et au début 2010. Le manque de clarté du concept et une ergonomie discutable ont fait que le service n’a jamais séduit en dehors d’un cercle d’enthousiastes initiés." [
Source] Sont-ce le "manque de clarté" du concept ou encore son "ergonomie discutable" qui posent problème ? Les instruments pour partager l’info existent. Or cette révolution, nous la subissons plutôt que nous la faisons ...
En tant que
Geek, j’avais pu obtenir une invitation et avais été impressionnée par le côté "
user friendly" de
Google Wave. Nul doute que la vague allait tout emporter sur son passage :
Outlook et compagnie (les autres messageries 1.0). J’avais même discuté quelques minutes avec les jeunes reponsables du Marketing qui faisaient la démo de cette messagerie 2.0. Ambiance bon enfant, mais très pro. Ces Californiens, que je connais bien pour avoir travaillé avec leurs collègues (voir mon
blog sur la
chirurgie robotique, du temps où je travaillais à Intuitive Surgical Inc.), ils y croyaient. Et moi aussi. Alors, qu’est-ce qui n’a pas fonctionné ? Aujourd’hui, pour peu que l’on veuille partager l’info, les instruments sont là. C’est bien ce qui nous embête. Si les instruments sont là, il va falloir partager l’info. Je me rappelle notre boss à
Intuitive Surgical : dès mon arrivée, il m’a dit, en me regardant droit dans les yeux :
"Here we are on the same boat. No place for a one-man show. It’s team work. If your boss does cow-boy crap and if you know better, if you drive more clients to buy than he does, then you are the new boss ... Know what I mean ?" ("Ici on est tous dans la même galère. Pas de one-man show, rien que du travail d’équipe. Si ton boss veut faire cavalier seul et qu’il se plante, si tu fais plus de ventes que lui, alors c’est toi le nouveau boss, tu me suis ?")
Bon, mais il faut bien avouer que tout cadre en général et dans une société de service en particulier a tendance à garder l’info pour lui. Avec cette info que lui a et pas les autres (une chance !), il jouit d’un certain pouvoir sur ses collègues, voire sur ses chefs. Ces vérités ne valent pas que pour la France, bien sûr. Si notre employé cadre (moi la première ?) n’a pas un boss derrière lui pour lui rappeler qu’il doit renoncer à avoir la plus grande part du gâteau déjà existant pour contribuer à faire grossir encore le gâteau, il ne va pas le faire de lui-même. Google Wave allait-il devenir le super boss de l’info partagée ? Voilà qui nous gêne aux entournures 2.0, car l’info, c’est le pouvoir.
Ce n’est pas l’outil 2.0 qui nous manque pour partager l’info, c’est nous qui n’y sommes pas prêts.
Petite démonstration : j’étais récemment à l’Académie Nationale de Médecine à Paris, y ai appris une chose fort peu connue du grand public (c’était une séance entre médecins, apparemment), concernant cette "affaire du sang contaminé" des années 80 : en 1994, on créé l’Établissement Français des Greffes (l’EFG). Avant l’EFG, dans les années 1980, c’était France Transplant qui gérait le don de sang et d’organes. Par la suite, après "l’affaire du sang contaminé", l’EFG, relayé en 2005 par l’Agence de la biomédecine, ne gérait plus le don de sang. Le don du sang et le don d’organes étaient deux choses distinctes, et pour cause ... Maintenant, pour montrer que la page de "l’affaire du sang contaminé" est "tournée", on réunit les deux (don d’organes et don de sang) : l’Agence de la biomédecine et l’Etablissement Français du Sang gèrent main dans la main le don de sang. Je reviens à ma séance à l’Académie Nationale de Médecine, nous sommes en mai 2009. Le Pr. Christian Cabrol, pionner de la greffe cardiaque en Europe, se fait prendre à partie par un professeur de médecine : "Des commentaires sur l’affaire du sang contaminé, Christian Cabrol ? A l’époque, c’est vous qui dirigiez France Transplant ..." Le Pr. Cabrol n’a pas souhaité commenter ...
A l’époque, un médecin avait convaincu les politiques d’attendre avant d’acheter aux Américains le matériel médical nécessaire pour filtrer le sang et rendre ainsi les transfusions plus sûres, protégeant les malades hémophiles nécessitant une transfusion du risque du SIDA ... Il suffisait d’attendre quelques mois, disait ce médecin. La France était en train de fabriquer ces mêmes filtres, on allait bientôt être prêts. On n’allait tout de même pas tout laisser tomber pour laisser les Américains emporter ce marché en France ! Ce médecin a convaincu les politiques. Avec les meilleures intentions, cela va de soi. On connait la suite, tragique. Bien sûr, ce médecin ne l’avait pas anticipée. Comment l’aurait-il pu ? Ce médecin ... je crois à présent deviner son identité ... Mais je n’affirmerais rien. J’ai sans doute rêvé. Prudence ... L’info, même à l’ère de l’open source, en France comme ailleurs, c’est le pouvoir : Google Wave, ça n’a pas pris dans les entreprises multinationales gauloises, ni même dans celles des e-Gaulois qui travaillent en 2.0 ...
J’ai fait lire cet article à Jean-Michel Billaut, fondateur de l’"Atelier Numérique" (émission de BFM, la radio de l’économie), cadre retraité de la BNP et ancien conseiller auprès de Jacques Chirac (numérique, informatique). Voici son commentaire : "Même histoire avec le Mac... Gassée présente Jobs à Fabius. Pour un Mac pour chaque éléve (Informatique pour Tous de Servan Schreiber). Des ingénieurs de Thomson disent à Fabius : pas la peine on va sortir le TO7. Et pourtant Jobs était OK pour fabriquer le Mac en France... Comme quoi, l’élite gauloise..." (Commentaire de Jean-Michel Billaut,
Source) Précisons (est-il besoin) que ledit T07 n’a jamais fait parler de lui, car franchement, il n’y avait pas de quoi ... En tant qu’enseignante en lycée et collège, je confirme que le projet "un Mac pour chaque élève ne s’est jamais développé", l’école de la République est à l’ère du 1.0, ainsi que les amphis des facs (au mieux deux prises informatique par amphi), mais ce n’est plus un secret pour personne : dans les facs françaises, on fait du gardiennage. Si on veut apprendre un vrai métier, il faut faire une école d’ingénieur, ou une école de commerce (quelques unes ont un bon classement international).