L’Occident, perdant de compétitivité face à l’Asie, reste dominant sur le plan financier et monétaire. La question est : jusqu’à quand ?
La création monétaire est un processus nécessaire pour les Banques centrales puisqu’elles doivent par définition soutenir les États sur le plan financier. Face à la croissance ou la décroissance économique, c’est leur rôle principal d’affiner leur politique monétaire pour favoriser les échanges tant sur le plan interne que sur le plan externe et donc éviter une poussée inflationniste en cas de surchauffe et inversement en cas de refroidissement.
Précisément, en période de ralentissement de l’économie, les États quand ils sont à court d’argent, utilisent l’instrument monétaire ; soit ils se tournent vers les marchés monétaires domestiques pour procéder à des emprunts, ce qui ne satisfait pas toujours puisque les emprunts ne peuvent aller au-delà d’une certaine limite des possibilités du secteur bancaire intérieur ; le marché domestique saturé ne dispose pas assez de fonds et les marchés extérieurs se ferment par crainte de non-recouvrement de leurs créances ; soit, en dernier recours, ils se tournent vers leurs Banques centrales pour demander ce qu’on appelle des « avances », en échange de titres d’Etat, généralement des bons de Trésor de différentes maturités.
Evidemment, un excès de demandes d’emprunts du Trésor aux Banques centrales se traduit par un excès de création monétaire, et donc de l’inflation. Et à pratiquer l’inflation, un Etat ruine les particuliers pour permettre à l’État de « tenir » aux impératifs essentiels du budget de la nation. A savoir que les Etats construisent des routes, des ponts, des ports (ou les modernisent), des barrages, des écoles, des universités, des hôpitaux, etc., en réglant une grande partie de ces dépenses par la « planche à billet ». Cependant, cette construction bien qu’elle n’a coûté pour l’Etat que l’inflation et beaucoup aux générations d’aujourd’hui par la hausse des prix, profitera néanmoins aux générations de demain.
Il faut aussi souligner qu’un ralentissement peut être conjoncturel, et une relance de l’économie peut diminuer voire effacer le déséquilibre budgétaire. Mais si le ralentissement se poursuit et ralentit les recettes fiscales pour la couverture des dépenses publiques, de nouveau le déficit budgétaire fait apparaître un nouveau besoin de financement ; s’enclenche ainsi une « spirale inflationniste-dévaluationniste ». En effet, un recours à la « planche à billet » se traduit forcément par une spirale augmentation prix-augmentation salaire, et une dévaluation de la monnaie.
Cette spirale a caractérisé tant les pays européens dans les années 1970 suite aux chocs pétroliers que les pays d’Afrique, d’Asie et d’Amérique du Sud. La hausse des prix du pétrole (inflation importée) et la monétisation des déficits commerciaux par les pays détenteurs de monnaies internationales ont bouleversé l’équilibre économique mondial. Les déficits cumulés depuis les années 1970 et surtout les années 1980 avaient produit un effet boule de neige sur la dette publique extérieure des pays d’Afrique, d’Asie et d’Amérique du Sud, qui a atteint un niveau tel que la charge du remboursement échelonné dépassait les ressources fiscales nécessaires pour la résorber. D’autant plus qu’aux dettes de ces États venaient s’ajouter celles de leurs collectivités locales, la sécurité sociale et de divers organismes, le tout formaient leurs dette publiques totales. Les États surtout les pays du reste du monde non détenteurs de monnaies internationales se retrouvaient à créer de la dette pour couvrir leurs déficits et assurer le « service de la dette », i.e. le paiement des intérêts et le remboursement du principal arrivant à échéance à l’Occident créancier.
Dans les années 1990, il faut rappeler le retournement de l’histoire sur le problème des déficits et la dette publique. La plupart des pays industrialisés (OCDE) avaient pour ordre du jour la réduction des déficits budgétaires. Tous les pays en développement y compris les pays avancés devaient réduire leurs dépenses publiques ; le blocage de l’économie mondiale par l’endettement mondial, l’éclatement du bloc Est qui a suivi à la fin des années 1980, la profonde dépression de l’Afrique, de l’Amérique du Sud, d’une partie de l’Asie.
Cette situation récessive du monde hors-Occident s’est à la fin soldée par une crise financière au Japon en 1990 et une double récession aux États-Unis et en Europe, entre 1992-1993. Tous ces facteurs récessifs ont introduit une nouvelle donne, un passage obligé pour une sortie de crise : un ajustement structurel planétaire dans les décennies qui ont suivi les deux chocs pétroliers.
L’Europe, dans la perspective d’une Union économique et monétaire, y était déjà engagée par le traité de Maastricht. Les pays européens devaient se conformer au critère d’un déficit ne dépassant pas 3% du PIB et d’une dette publique ne dépassant pas 60%. Ainsi, la rigueur budgétaire a pris le relais de la restriction monétaire.
De leur côté, les Américains se sont également engagés sur la voie de l’orthodoxie budgétaire. L’objectif de retour à l’équilibre budgétaire a donné lieu à un excédent budgétaire en 2000. Quant aux pays en développement soumis à l’ajustement structurel, celui-ci apparaissait comme la meilleure voie de sortie du cercle vicieux de l’endettement qui risquait de les conduire à une diminution de l’indépendance dans la conduite de leur politique monétaire et financière.
Une décennie et demie passa où l’Amérique vit son âge d’or avec la « Nouvelle économie », i.e. les valeurs technologiques (informatiques et télécommunications) qui ont constitué avec Internet une « troisième révolution industrielle ». Elles ont permis de créer des centaines de millions d’emplois aux États-Unis et dans le monde. La Chine vit aussi son âge d’or au cours des décennies 2000 et 2010, elle devient l’« atelier du monde » dans les microprocesseurs, l’automobile, le textile… comme naguère fut l’Amérique après le deuxième conflit mondial.
L’Inde n’était pas en reste, elle devenait le premier producteur mondial de logiciels. Le doute est donc permis quant au comment l’Occident pourrait encore façonner le monde ; force de dire que la roue de l’Histoire était en train de tourner, le progrès s’étendant progressivement au monde émergeant.
C’est dans cette période de faste dans toutes les régions du monde que fit irruption la crise financière de 2008. Elle fut précédée, en 2007, par la crise immobilière (subprimes) aux États-Unis. La crise financière qui apparut au début de l’été 2008 fut brusque et dévastatrice ; ses conséquences étaient immédiates ; elle détruisit entre 2007 et 2008 selon des données occidentales quelques 25 000 milliards de dollars de capitalisations boursières dans le monde. D’autres données occidentales font état de 50 000 milliards de dollars. De chiffres extravagants qui équivaudraient à une destruction équivalente du PIB mondial. Comment pareil phénomène a-t-il pu se produire ? L’économie américaine s’est pratiquement arrêtée à l’été 2008.
Le premier phénomène constaté est qu’une grande partie des liquidités internationales créées par l’Occident depuis l’annulation des déficits courants américains au début des années 1990 était allée s’investir dans les pays émergents surtout en Chine. Les excédents commerciaux et investissements occidentaux ont explosé dans les pays émergents. Qui plus est ce ne sont pas seulement les liquidités internationales essentiellement occidentales mais aussi une grande partie de l’industrie occidentale qui s’est délocalisées en joint-ventures dans les pays en particulier asiatiques et sud-américains. Et cela est dû au faible coût de la main d’œuvre dans les pays d’Asie, phénomène qui a commencé dès les années 1960. En Chine, à partir des années 1980, 1990 et 2000, c’est l’explosion de la croissance économique tant en capitaux (investissements) que le rush d’entreprises de production occidentales délocalisées.
Quant aux pays exportateurs de pétrole, ils ont accumulé des excédents commerciaux considérables. Il était évident que la résilience du système économique, financier et monétaire façonné par l’Europe et les États-Unis, depuis les Accords de Bretton Woods de 1944, ne pouvait tenir, les années des Trente Glorieuses ont été une croissance limite puisque les pays émergents d’Asie et d’Amérique du Sud étaient encore dans une phase préparatoire, et ce en regard de l’histoire.
Cette situation unique dans l’histoire, à partir de 2008, ne laissa pas d’autres alternatives aux États-Unis et à l’Europe, sinon de créer massivement des liquidités internationales, durant près de deux décennies, pour « reconstituer de nouveau l’armature financière et monétaire internationale » d’avant. D’autant plus que cette dévastation de l’économie occidentale était prévisible, et s’est opérée au prix d’un long déclin de l’économie productive de l’Occident, qui perdait lentement mais sûrement l’initiative face à la compétitivité de l’Asie, de l’Amérique du Sud et de la Chine.
L’armature du système financier et monétaire international dominé par l’Occident qui reposait sur les quatre piliers qu’étaient le dollar US, l’euro, la livre sterling et le yen devait repartir sur de nouvelles bases, rompre avec les méthodes monétaires classiques et procéder à des politiques monétaires massives, « extraordinaires », pour reconstituer le système financier et monétaire international, il faut le dire en perdition avec la double crise immobilière et financière entre 2007 et 2008, aux États-Unis. Il faut même dire que ces crises ont été générées par la guerre qu’ont menée les États-Unis au Moyen-Orient, en réponse aux attentats du 11 septembre 2001 contre le World Trade Center, à New York.
Donc pour lutter contre la crise financière, en 2008, il n’y avait pas de solutions, sinon à « armer, bétonner » les piliers du système financier ; l’économie occidentale risquait de sombrer dans la plus grave crise économique de son histoire, avec des conséquences pour l’ensemble des pays du monde ; une dépression du type des années 1930 resurgirait et probablement en plus grave.
On comprend pourquoi les Banques centrales des États-Unis, de la Grande-Bretagne, de la zone euro, du Japon, en parfaite concertation, ont injecté massivement des capitaux pour sauver leurs systèmes bancaires respectifs qui, interconnectés, ne formait en fait qu’un seul et même système, le « système économique, financier et monétaire international ». Que serait la Chine avec ses trois à quatre mille milliards de réserves de change en dollars, euros, livre sterling, yen… sans un système financier international fiable ? Et cela passait par des mesures d’urgence, précisément des plans de sauvetage, de relance et encore de soutien à la relance de leurs économies qui se sont opérés à coup d’injections monétaires massives qui étaient non seulement nécessaires pour les États-Unis et l’Europe mais dans l’intérêt du monde entier qui dépend de ces liquidités internationales. Et cela duré 6 ans pour les États-Unis entre 2008 et 2014, et plus pour les pays de la zone euro, du Royaume-Uni et du Japon qui ont injecté des liquidités non en « ligne droite », contrairement aux quantitative easing américains (QE).
Ceux qui voyaient négativement les politiques monétaires appelées « assouplissement quantitatif non conventionnel ou Quantitative easing (QE) », opérant depuis 2008, comme de l’« argent gratuit », se trompaient sur toute la ligne. Ou que ces QE renforçaient la spéculation sur les marchés boursiers se trompaient encore. La spéculation est inhérente à la nature humaine, tout humain cherche à faire des gains ; sans cette volonté de faire des gains pour se prémunir, et donc de placer, d’investir dans des projets, en Bourse et ailleurs, il n’y a pas d’économie.
Quant à l’« argent gratuit », qu’il le fut importe peu, pourquoi ? C’est l’Occident qui est le principal détenteur des monnaies internationales qui alimente en monnaies internationales le commerce mondial. Si l’Occident menait des politiques monétaires restrictives, il ne ferait qu’étouffer l’économie mondiale qui a fortement décéléré avec la crise financière de 2008, et une grande partie de l’argent est partie en fumée du fait de la formidable spéculation dans l’immobilier aux États-Unis et en Europe. Une spéculation immobilière entre 2005 et 2008 qui a masqué en fait une contraction de l’économie occidentale, la hausse de son endettement alors que les pays émergents et pays exportateurs de pétrole, c’est l’inverse, ils ont engrangés des excédents commerciaux faramineux.
En procédant massivement à des QE (création monétaire), l’Occident a dans un certain sens anticipé la création de richesses puisqu’il a permis de doper le commerce mondial par une hausse des échanges, la consommation aussi aux États-Unis, en Europe que dans les pays du reste du monde. Et tout ce qui est nécessaire pour tous les pays dans l’accompagnement des entreprises productives, le déstockage, la relance de l’investissement, les dépenses budgétaires pour la couverture sociale dont la subsistance des ménages qui ont perdu leurs emplois. Toutes ces mesures concourent à la paix sociale pour une grande partie du monde. Bien sûr les pays du monde et les pays extrêmement pauvres relèvent d’autres considérations économiques et politiques, à l’échelle mondiale.
Aussi, combien même l’Occident est pénalisé du fait de la perte de compétitivité face au faible coût de la main d’œuvre en Asie, il reste avec l’Asie, l’Amérique du Sud et l’Afrique solidaires sur le plan économique, financier et monétaire, à l’échelle mondiale. Et combien même que le système financier et monétaire international soit dominé par l’Occident ; tout dépend de l’urgence des mesures prises dues aux exigences de la conjoncture économique mondiale.
Comme d’ailleurs lors de l’irruption de la pandémie Covid-19, des liquidités massives dans le cadre des quantitative easing tant aux États-Unis qu’en Europe et au Japon. De mars 2020 à 2021, soit près de deux ans que l’économie mondiale a été irriguée et c’est ce qui a sauvé l’économie mondiale de la tourmente, certes il y a eu un fort ralentissement mais en 2021 a commencé la reprise économique mondiale.
Qu’en est-il aujourd’hui, et en 2023, où tout plaide que le monde se dirige vers une récession économique mondiale ? Est-ce la guerre en Ukraine qui en est la cause, ou simplement la fin d’un cycle ? D’autre part la domination de l’Occident est talonnée par la Chine qui a rendu le renminbi, une monnaie internationale ? Depuis 2016, avec l’inclusion du yuan chinois ou renminbi dans le panier de monnaies qui détermine l’étalon monétaire du FMI, le DTS ou droits de tirage spéciaux. De même, la Russie qui exige de vendre son pétrole et son gaz en roubles, depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine. Un processus est donc engagé contre les monnaies internationales occidentales. La question sur la domination occidentale sur le plan monétaire est : jusqu’à quand ?
Medjdoub Hamed
Auteur et chercheur spécialisé en Economie mondiale,
Relations internationales et Prospective.
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