L’Orient, l’Occident et moi
Je suis né et j’ai grandi au Maroc. Il y a dix ans, j’ai décidé de m’installer en France. Comme des millions d’individus, j’ai quitté le pays qui m’a vu naître. En prenant le chemin de la France, je suis devenu pour les miens, du jour au lendemain, un émigré, un Marocain résident à l’étranger. L’étranger déjà !
De son côté, la France s’est empressée de me référencer en tant que nouvel immigré. En déménageant de Casablanca à Paris, je suis devenu un émigré là-bas, un immigré ici. Trois heures d’avion ont suffi à changer ma vie. Désormais je suis un étranger que je sois ici ou là-bas... là-bas et ici.
Je suis né dans une famille musulmane, dans un pays où l’islam est religion d’État depuis le VIIIe siècle. Le Maroc, Al Maghreb en arabe, signifie le couchant. Pour l’ensemble des musulmans, le Maroc est le royaume où le soleil se couche, l’Occident du monde arabo-musulman. Au-delà, plus à l’Ouest, débute le monde des mécréants.
Bien que situé sur le flanc occidental de Dar el islam(1) et n’appliquant pas la Charia’a à la façon des mollahs ou des ayatollahs, le Maroc demeure, en 2008, un pays où l’adultère, l’homosexualité et l’apostasie sont sévèrement punis par la loi.
Des Marocains - jeunes et moins jeunes - s’autoproclament « soldats d’Allah », annoncent vouloir sauver nos âmes en tuant et en se donnant la mort. En ôtant des vies, ils sont convaincus qu’ils accéderont au Paradis. Cette quête, « El Jihad fi sabil lilah », « l’effort dans le chemin d’Allah », n’a pas de prix à leurs yeux et, tant pis, voire tant mieux, si elle se fait au mépris de la vie d’autrui. Preuve à l’appui, ils hurlent : « C’est écrit ! » Ils brandissent le Livre Saint et lisent les versets qui légitiment leurs crimes. « Combattez dans le sentier d’Allah ceux qui vous combattent, et ne transgressez pas. Certes, Allah n’aime pas les transgresseurs ! Et tuez-les où que vous les rencontriez ; chassez-les d’où ils vous ont chassés : l’association est plus grave que le meurtre. [...] Et combattez-les jusqu’à ce qu’il n’y ait plus d’association, et que la religion soit entièrement à Allah seul. »(2)
Une majorité de musulmans condamnent les attentats perpétrés par les islamistes. Pourtant, aucun musulman n’envisage, ne serait-ce qu’un instant, l’abrogation des passages du Coran qui appellent à la guerre sainte. A la lecture des textes, ils reconnaissent - non sans peine - que certains versets peuvent être mal interprétés et doivent être replacés dans leur contexte. Au Maroc, rares sont les citoyens qui militent pour l’adoption d’une nouvelle Constitution où l’islam ne serait plus la religion de l’État. Bien plus, pour la majorité, l’État marocain se définit par son caractère islamique. Même le roi revendique son appartenance à la famille du prophète.
Petit, mes parents m’ont circoncis. Sans me demander mon avis, ils ont fait de moi, encore enfant, un musulman. Je n’éprouve, à leur égard, ni rancune ni rancœur. D’ailleurs, je ne leur en ai jamais tenu rigueur. Devenu adulte, je ne rejette pas la religion de mes parents. De mon plein gré, sans y être forcé, je me déclare musulman - certes à ma façon et peu pratiquant - mais de conviction.
Comme beaucoup de croyants, c’est souvent lors des coups durs que je pense à Dieu. Dans ces moments-là, sourd ou rancunier, Allah ne me répond pas. Mais je ne lui en veux pas pour ses silences, ses absences et, peut-être même, son impuissance. Échec ou réussite, malheur ou bonheur, ma vie continue avec ou sans Allah. Alors à lui je ne suis pas soumis ! Non, juste en lui je crois ; mais je ne l’idolâtre pas !
« Être musulman, c’est se soumettre à Dieu ! », disent les religieux. Un peu de sérieux messieurs ! Le Tout-puissant a-t-il besoin de ma soumission pour se sentir encore plus fort ? Je ne pense pas que la foi s’évalue à l’aune de l’apparence physique, de l’attitude mystique, du port ou non du voile, de la longueur de la barbe, du degré de rejet de la modernité ou du nombre de flexions accomplies en direction de La Mecque. Je préfère prendre un chemin à part, loin de toute attitude ostentatoire, convaincu que seul le Seigneur sait ce qu’il y a dans mon cœur et que je n’ai pas à montrer, démontrer ou imposer aux autres ma croyance ou ma défiance envers Allah.
Après quelques années de résidence en France, je suis devenu Français. De manière libre et volontaire, j’ai décidé, un jour, de devenir citoyen du pays qui m’a accueilli ; d’échanger ma carte de séjour contre une pièce d’identité nationale qui me donne le droit de voter. Ai-je pris ou ai-je acquis la nationalité française ? Etait-ce un droit ou un dû ? Ai-je pour autant renié ma nationalité marocaine ?
Marocain, je le suis, Marocain, je le reste, Français je le suis devenu. Dès lors quel passeport présenter à l’aéroport pour pouvoir embarquer ? Le vert ou le rouge ? Quel que soit mon choix, le douanier me perçoit, soit, comme un traître, soit comme un renégat, limite hors-la-loi. Des deux côtés de la Méditerranée, en terre d’Orient et en terre d’Occident, que de fois n’ai-je pas entendu et vu de jugements hâtifs, de comportements excessifs, de quolibets et de préjugés.
Lucide, je suis conscient des idées qui circulent dans le pays où je vis désormais. Ce pays, qui est donc aussi le mien maintenant, considère Napoléon comme un grand homme de la nation. La France préfère oublier que l’empereur, qu’elle couvre d’honneurs, a réintroduit l’esclavage dans les colonies.
La République ne renie pas son passé : c’est son droit ; mais elle franchit un pas, que je n’accepte pas, quand elle glorifie la période coloniale et crée le ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale. Depuis l’élection de M. Nicolas Sarkzoy, la voilà, par la voix de son nouveau président, qu’elle annonce vouloir bâtir un projet de civilisation pour les autres nations. Certains, sincères, dénoncent les propos va-t-en guerre du chef de l’État et prennent peur qu’il ne contribue à précipiter le tant redouté choc des civilisations. Ils ont probablement raison. Mais l’urgence est-elle encore là ? Mobile, l’urgence n’est déjà plus là.
Pourtant il y a bien choc des civilisations, opposition de projet de société. Il s’agit même d’une guerre déclarée qui se déroule chaque jour sous nos yeux et - mondialisation oblige - où que nous soyons. Les fous d’Allah veulent faire appliquer leurs lois conformes à la Charia’a sur l’ensemble du globe et l’Occident - dont fait partie la France - tente par tous les moyens d’exporter et d’imposer son modèle de société. Dans ce choc des civilisations, il n’y a ni vainqueur ni vaincu, uniquement des dommages collatéraux, manière pusillanime de nommer les morts. Et moi là-dedans ? On me somme constamment de choisir mon camp, de choisir entre l’Orient et l’Occident, entre le Maroc et la France, entre un pays laïc, mais qui met en avant sa tradition chrétienne, et un autre qui ne cache pas son attachement viscéral à l’islam.
Pourquoi devrais-je choisir ? Pourquoi ne pourrais-je pas évoluer à équidistance de l’un et de l’autre ? Pourquoi ne prendrais-je pas les deux, le croissant et la croix ? Pourquoi ne pourrais-je pas les rejeter ensemble, tant qu’ils refusent de s’entendre ? Pourquoi n’aurais-je pas le droit de prendre le meilleur de chacun ? Car, à vrai dire, séparément, ni l’Orient, ni l’Occident ne me satisfont. A mes yeux, il n’y a guère de différence. Les deux construisent des sociétés qui laissent de moins en moins de place à la liberté. Les deux, l’Orient et l’Occident, me traitent, même adulte, comme un enfant. Les deux ont décidé, à ma place, qu’il fallait préserver ma santé. L’un m’interdit de fumer en public, l’autre de consommer de l’alcool. Les deux me demandent d’attacher ma ceinture de sécurité dès que je monte dans une voiture. Là, le droit à l’interruption de grossesse et la liberté de conscience sont de plus en plus remis en cause ; ici, ce droit et ce libre choix ne sont tout simplement pas reconnus.
Malgré tout, l’Orient et l’Occident m’habitent ; je les sens en moi. Chacun contribue à façonner ma personnalité ; chacun constitue une des multiples facettes de mon identité. Sans l’un, je ne suis plus rien ; sans l’autre, je suis un autre. Pourtant, il va falloir que je me débarrasse d’eux ; que je réussisse à leur résister pour ne pas me perdre. Car, après avoir contribué à me construire en tant qu’individu, les voilà qu’ils veulent me contraindre à prendre parti, rejoindre nécessairement un bord, choisir un camp, rallier un clan, abandonner l’un et tout accepter de l’autre.
Même si je sais que mes écrits ne changeront probablement rien dans l’immédiat ; avec mes mots, je me bats. Je ne me rends pas sans livrer combat.
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