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Accueil du site > Tribune Libre > L’uniforme produit plus d’appauvrissement que d’efficacité

L’uniforme produit plus d’appauvrissement que d’efficacité

Par facilité, au nom d’une apparente meilleure efficacité économique, et souvent par peur de la différence, le développement et le choc entre les cultures produisent de l’uniforme et de l’identique.
Et si cet appauvrissement n’était pas même source d’efficacité ?

Dans son dernier livre, « De l’universel, de l’uniforme, du commun et du dialogue des cultures », François Jullien écrit notamment :
« L’uniforme impose ses standards comme le seul paysage imaginable, et sans même sembler les imposer. De là, sa dictature discrète. Aux quatre coins du monde, on retrouvera inévitablement les mêmes vitrines, les mêmes hôtels, les mêmes clés, les mêmes clichés, les mêmes affiches de bonheur et de consommation… Car si dictature il y a, c’est qu’une telle uniformisation ne se limite pas aux biens matériels mais envahit aussi l’imaginaire. Par une opération éditoriale réussie, Harry Potter ou Da Vinci Code formate à l’identique les rêves d’adolescents du monde entier. »

Certes, et pour moi, on retrouve ici notre besoin tribal, notre peur du différent (voir notamment « La confrontation n’est pas naturelle  »). Donc je pense que malheureusement l’uniforme n’a même à imposer ses standards, car il répond à nos attentes profondes. Et c’est bien là le problème…

ll y a quelques années, en introduction d’un livre qui n’est jamais paru, j’avais écrit un texte sur ce sentiment grégaire. Il illustre encore bien ce que je ressens aujourd’hui. Le voilà :
« Heure de pointe, heure d’affluence, vous êtes là, vous êtes tous là, les uns contre les autres, bien au chaud, chaleur humaine, mais oui ne dites pas le contraire, vous aimez cela, être les uns contre les autres - je sais, je me répète, mais vous aussi, vous vous répétez sans fin, sans imagination -, vous avez besoin de cette présence collective, sinon pourquoi vous seriez tous là au même moment. Heure de pointe. Vous la cherchez ou quoi ?
Tous bien pareils, et dire qu’il y a un débat autour du clonage, mais vous l’êtes déjà clonés !
Clonés, clownés, comiques involontaires, votre image est renvoyée indéfiniment par vos voisins, chacun est un miroir, simplement le reflet des autres. Si vous avez l’impression d’exister, d’être différents, alors prenez le large, oxygénez-vous, allez ailleurs. Non, vous préférez ne pas bouger, rester ensemble, force de la tribu. Cela vous rassure ?

A chaque fois que je vois une foule, je me pose la même question : que font-ils là ? Quelle crainte veulent-ils cacher, celle de leur différence, celle d’avoir à expliquer pourquoi ils feraient un choix différent ? Merde, soyez vous-mêmes, pour un jour, une heure, une minute, une seconde !
Sortez du troupeau, respirez, prenez le risque de suivre vos pulsions, vos envies. Mais non, vous aimez cette manie de vous bousculer à l’heure de pointe. La cohue, c’est ce que vous recherchez – mais si, avouez-le ! -, grégaires, vous êtes grégaires.
Bien au chaud ! Rapprochez-vous, allez encore un peu plus, encore plus de monde, plus proches, plus l’un contre l’autre, l’un sur l’autre. Vous avez envie de vous échapper, de sortir de cette maudite heure de pointe, vous croyez aller ailleurs... et rien n’y fait : vous n’avez pas plutôt bougé que tout le monde est là, avec vous, autour de vous.

Car quand vous bougez, ce n’est pas pour sortir des sentiers battus, mais pour rejoindre une autre heure de pointe : la petite route déserte de campagne, vous ne l’aimez que si elle vous permet d’aller plus vite de votre cité à votre camping surchargé. Interdit de s’y attarder sur cette route déserte, interdit parce que vous y seriez seul, tout seul.

Heure de pointe, elle vous suit, vous la suivez, inexorablement.
Malédiction ou plaisir ? Plus de plaisir car si vous vous retrouviez sans personne, sans ceux dont vous maudissiez la présence quelques minutes avant, vous auriez peur, peur de cette solitude qui vous obligerait à penser, à ne plus simplement vous conformer au courant ambiant.
Heure de pointe... »
.
Finalement je retrouve là ce que j’écrivais en octobre dans « Attention aux jardins à la française » : nous nous sentons rassurés par les espaces homogènes, bien structurés, bien en ligne. Le désordre et la différence, quoique l’on en dise, nous dérangent, nous inquiètent. Ou alors si ce n’est qu’une piqure le temps des vacances, ou un exotisme maintenu à distance, tout va bien.

Il en est bien ainsi le plus souvent dans les entreprises : la mise en place d’une nouvelle organisation rime avec renforcement de la standardisation, la nouvelle société récemment acquise est rapidement mise au moule, la politique des ressources humaines et la formation cherchent à faire émerger un profil type et « idéal »…
C’est le lieu commun de la performance : plus d’uniformité, plus de standardisation, plus d’effet d’échelle…

Mais comme le décrit François Jullien, cette uniformité n’est pas l’universalité, elle n’est accroissement du « commun » qu’au prix d’un appauvrissement collectif.

Une autre voie est possible, plus difficile à court terme, apparemment plus chaotique et moins « productive » (voir « Quand désordre rime avec harmonie et efficacité ») : bâtir le commun à partir du respect des vraies différences et de la recherche, au travers d’un dialogue interne – de ce que j’appelle « la confrontation » - du bon compromis.

Je suis convaincu que la vraie efficacité des structures collectives – économiques comme politiques – passe par là…

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14 réactions à cet article    


  • Yvance77 13 janvier 2009 11:52

    Du post je reprends cet excellent passage : " L’uniforme impose ses standards comme le seul paysage imaginable" ou tout est dit.

    J’ai toujours aimé passionnément mes jobs. J’ai même pu conservé pendant de nombreux années mes cheuveux longs. Jamais hirsute toujours propre et j’ai toujours fait dans le discret cela va de soi.

    Lors d’un changement d’orientation il m’a fallu couper tout ca come ils disent. Ca ne plaît pas aux clients mon brave qu’ils disaient. Le client au final s’en fiche ce qu’il veut c’est un service cohérent et correct face la somme qu’il pose sur le comptoir.

    Nos élites dirigeantes et patronnales ne voient jamais la diversité comme source de richesse, ou d’apport qualitatif sur le lieu de travail, seul le contrôle par l’uniformisation sied. Une fois apprise la mécanique cela fait moins peur c’est sur.

    Sinon M’sieur Branche nous gate depuis deux jours, via encore un bon billet aujourd’hui smiley


    • Robert Branche Robert Branche 13 janvier 2009 12:21

      merci pour le commentaire sympa à la fin !
      J’essaie simplement de partager avec un plus grand ce auquel je crois... avec l’idée "stupide" que l’on pourrait changer les choses.... Je sais, je suis fou.... Et si ?


    • jakback jakback 13 janvier 2009 11:55

      Le collectivisme des Gnous est effrayant, c’est pas sans raison que leurs gardiens troupeaux braconnent les Tigres.


      • dup 13 janvier 2009 14:16

         "Au cours de l’évolution, la nature s’est donné un mal extrême pour que chaque individu soit différent de tous les autres.(...) Physiquement et mentalement, chacun d’entre nous est un être unique. Toute civilisation qui, soit dans l’intérêt de  soit au nom de quelque dogme politique ou religieux, essaie de standardiser l’individu humain, commet un crime contre la nature biologique de l’homme."

         Aldous Huxley


        • Robert Branche Robert Branche 13 janvier 2009 19:01

          je ne connaissais pas cette citation. Merci !


        • Le chien qui danse 13 janvier 2009 14:29

          La vrai richesse est dans la diversité, la singularité. A chacun la charge de se découvrir, de s’exprimer, de s’agrandir (voire de s’élever) et d’aimer. A la charge des sociétés de créer l’arrangement pour le permettre.


          • Salade Salade 13 janvier 2009 15:51

            Robert,
            Sortir de l’uniformité suppose une capacité individuelle, puis collective (on ne sort pas seul de l’uniformité : on n’en sort que si -tant que - les autres ne nous suivent pas) à réfléchir.
            C’est pourquoi les révolutions ne sont jamais initiées par les populations, mais par quelques intellectuels exceptionnellement actifs et capables de mobiliser, volontairement ou non, des foules dans l’action ou au moins dans l’acceptation du changement.

            L’uniformité à toujours existé, car elle est co-existentielle à toute société humaine sédentaire (il me semble que ce n’est pas le cas des sociétés nomades dont les ordres établis peuvent rapidement être remis en cause, ou sont d’un autre ordre que de l’uniformité sociale et comportementale).
            Mais chaque société est différente de sa voisine (nos comportements sont différents de ceux des indiens ou des chinois, voire à un degré moindre, des anglais).
            Et les sociétés passent d’uniformité en uniformité (différente, me fais-je bien comprendre ?) au fil de révolutions intellectuelles (guerrières, ou de type guerrières, et éruptives) ou technologiques ("lentes", souvent incomprises, voire non ressenties comme telles).

            A ma connaissance (et j’en suis le premier désespéré !), les bons sentiments, les négociations "gagnant/gagnant", les prises en compte des différences pour construire ensemble un avenir meilleur n’ont jamais produit sur le long terme de résultats concréts. L’inertie du groupe ramène à la position d’origine à terme ou à la juxtaposition de plusieurs standards (ex : les changements d’organisation dans les entreprises publiques ou les ghettos sociaux ou urbains).

            Ce ne sont pas des millions de gens convaincus qui ont amené à la suppression de la peine de mort en France ! Ce sont quelques intellectuels hyperactifs qui ont fait partager pendant de longues années leur compréhension du sujet, puis la décision courageuse d’un homme (j’exagère un peu, mais pas tant que ça).
            Le courage, le bon sens et l’innovation ne sont pas les valeurs d’une foule (même si individuellement, les composants ont ce courage et ce bon sens), d’une société (industrielle ou commerciale par ex) ou d’une nation qui toutes stigmatisent les déviants.

            Ton titre et ton analyse sont intéressants et vrais, mais ma conclusion est un peu différente.
            Je pense que les personnes éclairées dans une société doivent entretenir un noyau de créatifs (des think-tank comme on dit maintenant) pour en tirer de temps en temps des idées d’évolutions.
            Celles ci donnent l’illusion aux créatifs qu’ils ont fait bouger la société, au foules celle de participer à une société qui avance et ainsi d’accepter leurs conditions de vies, et aux dirigeants le coup d’avance qui leur permet de garder le pouvoir et de maintenir la paix sociale !

            Une société d’électrons libres ne serait plus une société.
            Et quel pouvoir politique voudrait-il d’une société de gens responsables ?


            • Robert Branche Robert Branche 13 janvier 2009 19:04

              Oui vous avez raison, toute socitété implique un certain niveau d’uniformité qui correspond à la logique de tribu.
              Mais le risque actuel est que les effets conjugués des nouvelles technologies de l’information, de la globalisation et du marketing amènent à une niveau d’uniformité jamais connu et réellement destructeur...


            • Salade Salade 13 janvier 2009 19:45
              Ah oui ! Je suis pour le coup maintenant en plein accord avec votre conclusion.
              La mondialisation des loisirs (très bonne illustration avec Harry Potter) réduit la créativité et la diversité.
               
              Mais n’est-ce pas contradictoire avec votre première conclusion qui, par extension, consiste à brève échéance à trouver un statu quo (une nouvelle conformité durable) entre gens différents ?

              L’ennemi de l’uniformité et du conformisme n’est pas le fruit de l’amour / du respect / de la volonté de travailler avec l’autre, mais me semble t’il celui de la capacité à être déviant dans son propre environnement. Certaine déviances aboutissent à des condamnations permanentes, d’autres à des condamnations temporaires, et certaines deviennent à leur tour la norme ... jusqu’à l’arrivée d’un nouveau déviant.
              C’est donc quelque chose de très différent de l’acceptation de la différence (qui serait plutôt une sorte de conformisme global) : c’est la création de la différence !

            • Robert Branche Robert Branche 13 janvier 2009 21:31

              je ne crois pas qu’il faille créer la différence, mais la respecter quand elle existe ce qui est justement... différent ! De mon côté, à titre personnel, je cherche la différence et c’est mon choix...
              Tout le monde doit être libre, y compris de faire pareil !


            • jakback jakback 13 janvier 2009 17:56

              @ Salade
              Concernant la peine de mort, c’est uniquement le fait du prince, d’ailleurs il serait intéressant d’éffectuer un référendum nationale sur le thème du rétablissement de la dite peine, pour juger utilement de l’opinion de a population Française en 2009 ?


              • Rune Rune 14 janvier 2009 12:08

                Salut et merci pour tes articles. Une fois de plus, je partage ton point de vue bien que certains points soient à préciser. 
                Ainsi, tu fais une relation entre uniformisation et efficacité mais, efficacité pour qui, pour quoi ? Si nous parlons de la société "naturelle", comment peut on parler d’efficacité puisqu’il n’y a pas de but (mis à part peut être la sécurité). Si au contraire, nous parlons de la société institution, alors encore faut il connaître son dessein, ce qui n’est pas évident.
                D’autre part, tu prends comme postulat l’homogénéisation de la société, ce qui n’est peut être pas si justifié que cela. Si l’on en croit certaines études sociales, les structures homogènes ont tendances à grossir jsuqu’à ce que ses individus se sentent non représentés et donc, font éclater cette "bulle" pour en recréer de plus petites... Il y aurait donc une sorte d’équilibre par balancier.
                Bref, bien que je le partage, ton point de vue me semble plus "intuitif" ou "sentimental" que logique.

                Ah oui, un dernier point. Je me suis demandé si le nombre de déprimes en occident n’était pas en partie relié à ce phénomène d’uniformisation. Pour faire simple, j’ai l’intuition que l’uniformisation n’est que superficielle autrement dit que les individus jouent le jeu pour ne pas être écartés du groupe, ainsi ces individus se sentent en déséquilibre entre leur image et ce qu’ils sont.

                Au plaisir de te lire smiley


                • bosse=einstein 14 janvier 2009 18:30

                  100% d’avis unanimes pour saluer cet article. Je ne pouvais laisser ce crime impuni, eu égard au thème. Mais sachez que je sais gré à l’auteur de ces quelques truismes. Parfois, il est bon de savoir qu’on est d’accord sur tout avec tout le monde. Merci, donc !

                  J’ai compris que je n’étais pas le seul sur Terre lorsque j’ai découvert Ants Marching, de Dave Matthews Band.


                  • Robert Branche Robert Branche 14 janvier 2009 19:27

                    je ne crois pas que ce soit tant que cela des truismes (d’ailleurs ce même article qui est publié sur mno blog a suscité des polémiques !), sinon la société ne fonctionnerait pas ainsi...

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