La bêtise

Rien de plus affligeant.
Rien de plus courant ; invasive, énervante, déprimante mais drôle parfois ; la bêtise qui n'est pas au pouvoir est un moindre mal, mais c'est rare, car la bêtise aime le pouvoir.
Son bon côté, c'est que celui qui en est atteint l'ignore. Et c'est fou le nombre de choses qu'on ignore !
Si on s'en tient à l'évocation de son nom, c'est ce qui nous fait ressembler aux bêtes, mais pas entièrement car on se garde bien d'en capter toutes les qualités ! Je ne parlerai pas de la conscience car celle-ci est élastique, informe pour tout dire, et les animaux n'en sont pas dépourvus ; non, c'est vrai, les animaux ne tirent pas des plans et leur capacité d'anticipation n'est qu'une réaction instinctive à un événement ou à un état des lieux ; être bête serait donc montrer une difficulté voire une incapacité à anticiper, prévoir, donc imaginer et ne plus tirer les leçons du passé que par la mémoire enfouie des traumatismes.
On voit que notre société, désorganisée et guidée par les dirigeants que l'on ne mérite pas, est parfaitement décrite de cette manière. Le fond de notre communauté est devenue bête sans pour autant que l'on se soit approprié les qualités essentielles des animaux, nécessaires à l'organisation parfaite de leurs groupes.
Inutile de rappeler que les « bêtes » ne font pas leur autocritique, alors là, ce n'est plus une majorité d'imbéciles mais la quasi unanimité !! Ce mot est devenu inutile tant il nomme notre réalité !
Dans notre quotidien, la bêtise est quelquefois pardonnée à cause d'un trait d'humour : mais s'agit-il vraiment de bêtise alors ?
L'adjectif qui me convient le mieux pour décrire l'être affublé de cette tare, que l'on a tort, j'insiste, d'associer à nos amies les bêtes, bien que chez les bêtes aussi il y a des cons, c'est : imbécile ; typiquement humain ; on ne dira pas d'un chien qu'il est imbécile ou un imbécile ; d'un humain, souvent. C'est le drame, elle n'est pas rare, donc elle n'est pas précieuse, on peut en deviser gaiement sans prendre de gants ; du reste n'y-a-t-il pas une sorte de rage imbécile à parler de la bêtise méchamment ? C'est un sujet sérieux, un sujet d'actualités, hélas depuis longtemps ; c'est un plat toujours frais, jamais réchauffé, on peut s'en prendre une tasse à toutes les terrasses ou une bouffée à tous les coins de rue ; c'est pas cher, voire gratuit, pour être heureux il suffit de l'apprécier.
Seulement voilà, on ne l'apprécie pas, elle nous pompe, et tous autant qu'on est, même les imbéciles, surtout les imbéciles qui ont tendance à prendre pour des imbéciles même les gens intelligents, ce qui n'est pas très fin, on peut le reconnaître. Elle nous pompe, on ne peut pas la raisonner ni la réduire ni la résoudre au silence, parce que la bêtise est bruyante, sinon ça ne serait rien. La plupart du temps, si on est honnête, on peut constater que la bêtise va à l'encontre de nos désirs, de nos idées, de nos élans ou de nos réticences, bref, elle s'oppose à nous avec toute la mauvaise foi des mauvaises gens. Et c'est très pénible. Avec une épine dans le pied, ou un ongle incarné, on peut dire que c'est la chose la plus pénible. Ce type là, qui vous regarde de haut, qui vous nargue et qui ne veut pas comprendre que les choses iraient bien mieux s'il voulait bien les comprendre ; au lieu de ça, il insiste, vous cédez, c'est forcé, on cède toujours devant la bêtise, parce qu'il n'y a rien d'autre à faire. Ou alors foutre le camp, démissionner, abandonner mais de toutes façons, on est perdant, abandonner un projet, quitter son boulot, surtout par les temps qui courent,- quoique, cela ferait de la flexibilité si on quittait son boulot chaque fois que l'on a affaire à un supérieur inférieur et la flexibilité c'est ce qui peut éventuellement faire croire à l'imbécile qu'il y a moins de chômage ; il faut pas croire que les gens qui ont voté ce truc soient des cons ! Loin de là, il sont sûrs que les gens sont si bêtes qu'ils n'y verront que du feu, mais on sait que les gens qui prennent les autres pour des... !
C'est pire qu'un chewing-gum qui colle aux godasses
C'est une maladie grave mais qui n'est pas fatale, c'est dommage ; on peut vivre toute sa vie avec ça, souvent ça empire parce qu'on n'en perdrait pas un bout pour un empire mais on n'en meurt pas sauf si c'est une variété qui rend maladroit ou ensuqué, quand on est trop pressé aussi, trop important...
Il y a la bêtise des actes : elle se retourne souvent contre son auteur, pas toujours malheureusement, il arrive qu'elles fasse des victimes innocentes, on en voit beaucoup dans les fossés. Car la bêtise, qui est un blocage, inhibe toujours l'intuition ou l'instinct et commande une action inappropriée.
Et puis il y a la bêtise du langage, de la communication ; omniprésente, elle dévoile les peurs et les handicapes de son auteur ; celui-ci, le plus souvent, est sûr de son fait, car la bêtise en ce domaine est très liée à l'ignorance et aussi, hélas, à la mauvaise foi.
J'ai eu affaire récemment à un commentateur qui, à un texte qui disait du bien d'un bonhomme qu'il n'aimait pas, a juste retenu que j'en disais du bien ; sa réponse n'en méritait pas parce qu'elle disait autre chose ; on en finirait plus s'il fallait prendre au sérieux la mauvaise foi, et tenter de s'expliquer. La bêtise n'aime pas la conversation, c'est un art qui la dépasse.
D'ailleurs on se demande ce que la bêtise aime.
D'un autre côté, si on la regarde de plus près, la bêtise se pare de mille nuances, on ne peut pas dire néanmoins que cela soit un carnaval ou un spectacle haut en couleurs mais il y a de quoi se distraire ; quand la bêtise ne fait pas mal, c'est un bon sujet d'étude ! Mais c'est rare, elle est là dédaigneuse, arrogante, imperméable et psychorigide.
Mais là où elle brille le plus, c'est en politique ; qu'elle soit toile de fond des décisions ou le soubassement des débats et autres discussions, la bêtise empêche le travelling et la profondeur de champ ; mais elle empêche aussi le cœur de s'exprimer, elle l'inhibe, elle refuse les leçons par orgueil, simplifie par intérêt et ignorance mais sa caricature, presque à chaque fois incarnée, est sa grande propension à prendre les autres pour des cons. Il n'y a pas un homme politique, ni un militant de base qui n'est pas à ce point sûr de son point de vue qu'il ne toise son interlocuteur avec un baratin semi lettré ; c'est peut-être son aspect méchant qui se révèle là, dans une hostiphilie déconcertante. Rien ne peut être dit normalement, l'engrenage sur un mot, une phrase, que l'imbécile sectionne pour nourrir son amour de l'hostilité, débouche immanquablement sur des invectives qui naturellement ne mènent pas loin ; on l' a vu, la bêtise est une borne immuable.
Mais il ne faudrait pas prendre la bêtise pour le mal absolu et l'intelligence pour le bien !! Ce serait trop simple ; tout le monde sait que l'intelligence fait plus de dégâts, mais elle est plus confortable dans un premier temps, on est attrait, attiré, saisi. En politique, elle est redoutable, surtout si elle s'allie à la séduction. Ainsi, la bêtise laisse-t-elle à l'intelligence en face d'elle, l'espace de circuler, la seule chose qu'elle interdit, c'est l'évolution de son hôte !
Définir la bêtise est impossible parce qu'il faudrait faire l'inventaire de ses manifestations, faire un classement en catégories, et départager la bêtise du frustré qui trouve bête le frustrant ; ce qui les départage, en général, c'est le nombre, le plus grand nombre qui appartient à la pensée dominante, disons, ce qu'est devenue la démocratie !
Ce qui faisait dire à mon ami Chany : « je préfère avoir tort avec certains que raison avec d'autres ! »
J'ai vécu en fusion permanente pendant une petite quinzaine d'années avec les herbivores ; un troupeau de bovins sauvages ( ce terme est bien entendu pas tout à fait approprié mais il est juste en comparaison de bovins domestiqués), d'une part, et une petite vingtaine de chevaux, d'autre part. Les chevaux étant tout à fait domestiqués.
J'ai constaté que la bêtise était entièrement liée à la vie en groupe, sous le regard de l'homme ou dans son rapport avec lui, indécelable sinon. Il s'agit donc d'un comportement social, plus ou moins inadapté. Inutile de dire que tous les éleveurs ont appris à leurs dépens que les animaux intelligents étaient les plus attachants mais les plus « pénibles » !
Très vite, on s'aperçoit que les animaux qui manquent d'intelligence ( difficile de dire « bêtes ») font partie de la classe des dominés. J'emploie ce terme de dominés, non pas dans le sens bourdivin mais bien dans celui de la hiérarchie du groupe, dont j'ai parlé plusieurs fois ici.
La crainte est toujours derrière ; en revanche, et je n'ai vu cela que chez les chevaux qui sont tellement influencés par l'homme, la bêtise ( hors comportement d'un mauvais traitement ou d'un mauvais dressage traumatisant) se rencontre exclusivement chez ceux qui n'ont pas trouvé leur place dans le groupe ; le plus courant est le faux dominant, qui fait montre d'une certaine violence, affiche un comportement dominateur sans en avoir le mental ni l'assentiment !
On ne peut probablement pas réduire les causes de la connerie à ces quelques observations animalières, mais le fait que la peur, le social et les liens de domination rentrent en jeu me suffisent, pour l'instant. Mes expériences, que j'ai longuement reproduites sur ce site cet été, me le prouvent : il vient un moment où le pouvoir qu'on dénie à quiconque d'entraver sa propre destinée, devient si violent qu'on sait que rien dans nos acquis ne peut nous faire agir. On est désarçonné, dans ce cas, personne ne peut réagir intelligemment, sauf s'il n'est pas touché, auquel cas il ne s'agit pas de la même situation. Il y a trois réponses possibles : on se couche, et, pour sa santé ou pour sa survie, ce n'est pas toujours la plus bête. On agresse ou se rend violent soi-même, et c'est de loin la réaction la pire ; elle n'est pas maîtrisable même si elle fait caisse de résonance et renvoie sur soi la violence au centuple, c'est un suicide en quelque sorte. La troisième, c'est la mienne : on prend toute la mesure de la situation mais on n'a pas la capacité, ou l'aide, de pouvoir y faire face. On est acculé.
Nous avons bien là, la peur, la domination et l'inadaptation d'un comportement.
Donc la bêtise a des racines bien profondes qu'on est pas près d'éradiquer ; tout commence avec le maternage, puis l'éducation, et même à l'école, la bêtise s'appuie sur un vieil interdit, enfoui au plus profond de l'inconscient.
Aujourd'hui, la bêtise qui me frappe et m'agresse le plus est cette propension, cette quasi unique réaction, qui consiste à dénigrer et dénoncer. Cette manière de dire et de faire est pourtant obsolète, elle ressemble à s'y méprendre à un tortillement de cul pour s'éviter de se mettre en danger dans l'action, le lieu d'une énergie qui doit bien se dépenser mais qui se contentera de rabâcher ; car rien de neuf n'advient plus. Soit il faut s'adresser et se faire comprendre par ceux qui ne sont pas encore assez informés ou qui restent prisonniers des mensonges ( la bêtise de croire que les « grands » ont toujours raison et qui nous ramène à ce complexe d'infériorité que j'ai évoqué plus haut), soit agir. Mais souffler sur les braises en dénonçant les abus me semble relever d'un masochisme complaisant ; c'est une espèce de danse d'impuissance qui soulage mais ne guérit point. Foncer sur les chiffons rouges sont le fait d'intelligences analytiques, incapables de prendre la distance nécessaire, s'arrêtant aux détails, alors qu'ils ne s'alignent que comme symptômes d'un mal qu'on a enfin compris et qu'il nous faut enfin combattre. S'occuper à colmater les fuites ou à écoper alors que tout prend l'eau peut bien se retourner contre soi.
Mais, pour avancer, il faut être le plus grand nombre et ne pas craindre d'approfondir, de réfléchir, de s'attarder un peu, refusant le stress des lances et faisant son chemin entre les tirs.
On devine que cette maîtrise est l'apanage du « grand homme », mais ce grand homme n'est, au fond, qu'un dominant ( au sens où je l'emploie d'habitude), intelligent, qui, outre sa clairvoyance, possède le talent et le courage de mener les hommes. Alors, ne laissons pas raison à ceux qui rêvent d'un chef, même si cela est tout à fait conforme à la nature, soyons ces chefs, chacun dans son fief, chacun dans son usine, chacun dans son école ou son atelier !
Le bêtise est une inadéquation à la situation, en cela elle est synonyme d'incompétence ; nous avons élu un Président qui n'est pas un homme de pouvoir, pas parce qu'il est anarchiste ou parce qu'il a des états d'âme, simplement parce qu'il est, de manière caractérielle, attiré vers les compromis.
Mélenchon est un homme de contre-pouvoir ; Marine Le Pen est un challenger qui finit par se prendre à son jeu mais qui se dégonflera comme un ballon de baudruche à moins qu'elle ait la bêtise de s'entêter. Bayrou est un taiseux complexé, Sarkosy un bavard décomplexé, Royal possède toutes les énergies pour tendre à l'idéal-de-soi, mais ce n'est qu'un idéal, Boorlo un pantin, Cohn-Bendit un bouffon, Joly une fonctionnaire, etc : nous n'avons pas le choix : il nous faut chacun être le maître de soi-même et avancer ses pions pour faire échec aux rois !
Mais quelquefois la bêtise arrange bien la paresse.
J'ai regardé le ciel, étoilé, et la lune dans son premier quartier couchée, des milliards d'hommes ont regardé le ciel, étoilé, certains ont repéré les étoiles, dessiné les constellations, ont expliqué le monde en leur attribuant des noms et des symboles, d'autres ont déduit les mouvements de notre planète, estimé les distances qui nous séparent de l'une ou l'autre d'entre elles, et moi, moi, je cause, je cause de bêtises...
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