La bourse européenne aux esclaves. Europe et quota(s), réfugiés et migrants : le « matching », vrai visage de l’ultralibéralisme humanitaire ou comment faire face à l’accélération de la crise des réfugiés en Europe ?
« Civilisation esclavagiste par excellence » comme l'écrit F. Braudel, l'islam et ses pratiquants arabo-mahométans/musulmans sont peut-être à la veille de redécouvrir au XXIè siècle, en Europe, une version modernisée mais inversée de ce qui fut, entre le VIIIè et le XVIIIè siècle, la version continentale européenne du marché aux esclaves.
Triste et implacable constat que celui qui force à admettre que, s'agissant de trafic de chair humaine et de main-d'oeuvre, personne n'est indemne et que cette horreur que constitue l'asservissement semble impérissable, le marché du Coke en Stock demeurant florissant et supposant, comme tout marché, des vendeurs et des acheteurs avec des mécanismes de régulation financiers et humains dédiés et parfaitement opérationnels. Sait-on par exemple que l'absence de « problème noir » dans les pays des aires ottomane et arabique tient au fait que, pour se prémunir d'une submersion démographique d'une main d'oeuvre asservie, la castration était de rigueur ? Certes, nous n'en sommes pas là (ou plus là) en Europe, mais pour autant l'idée d'un retour - avec les traites occidentale et orientale des Slaves en relation avec le monde arabo-musulman comme clientèle et débouché économique -, à ce qui fut l'apparition de « hubs » esclavagistes (l'emporium de Prague et celui de Verdun), est peut-être en train de resurgir sous nos yeux avec l'aubaine d'une main-d'oeuvre islamisée fuyant des régions africaines et moyen-orientales devenues invivables pour un futur européen peut-être incertain.
Les migrants acteurs de ces mouvements gigantesque de populations qui se sont abattus sur l'Europe, tels des vols de criquets attirés par la lumière et le mirage économique de l'Eldorado allemand, réalisent-ils vraiment dans quel piège ils sont tombés ? Et quant aux nations, peuples et citoyens européens, inconscients, naïfs mais en tout cas déjà victimes socialo-christiques de l'installation forcée de ces nouveaux voisins musulmans qu'ils n'ont pas choisis - faut-il le rappeler - ont-ils la moindre idée de la réalité du développement et des modalités de gestion de la monstrueuse mécanique économique humanitaro-esclavagiste qui sous-tend ce tsunami démographique qui leur a été unilatéralement imposé par Allemagne interposée et auquel on va les contraindre à participer financièrement, matériellement, en perdant leurs biens, leur identité et leur âme ? Probablement pas.
De quoi donc peut-il bien s'agir ?Tout simplement de gestion de flux de main-d'oeuvre à l'échelle européenne, avec des méthodes à la hauteur de l'enjeu écon omique et financier que représente pour certains ce qu'ils imaginent être l'aubaine d'une chasse d'eau migratoire qui en réalité emportera tout.
Dans le cadre de ces « configurations enchevêtrées » (Norel et alii, 2004) qui président à l'intégration financière, politique, sociale et économique internationale dont l'Europe et ses habitants sont devenus le jouet du fait des agissements criminels de ses pseudo-dirigeants, voici que se pose une extraordinaire question : quels pays seraient gagnants ou perdants à l’introduction d’un marché des droits d’admission échangeables selon certaines hypothèses retenues pour simuler les fonctions de coûts d’accueil desdits réfugiés ?
Car il s'agit de répondre à une question topique : comment et sur quelles bases les pays de l'UE vont-ils se répartir les réfugiés ?La solution existe, développée sous la forme d'un « modèle économique » dont il n'y aurait plus qu'à hâter la mise en oeuvre et le développement généralisé, un modèle construit sur un marché de quotas d'immigration échangeables, un mécanisme d'appariement (un « matching », en langage technolangue) qui tiendrait compte des « préférences »(sic) des réfugiés et des pays dits d'accueil.
Ce modèle est celui développé par M.Hillel Rapoport, membre associé à PSE-Ecole d’économie de Paris et professeur à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et co-directeur du groupe de recherche G-MonD.
Un examen plus attentif des motifs de l'exposé permet ainsi de voir que l'une des préoccupations majeures est constituée, le contraire serait surprenant, par cette « préférence » des pays d'accueil qui se traduirait par leur indication expresse d'un choix quant aux types de migrants que l'on considèrerait comme éligibles à l'accueil.Le monde étant imparfait, comme chacun sait, le cas des pays que leur situation économique ou leur réticence conduirait à manifester une muvaise volonté ou plus simplement un rejet de ce mécanisme destiné à parfaire la solidarité économique humanitaire est bien entendu pris en compte. A chaque question correspond une réponse !
Un pays dont les quotas resteraient par extraordinaire non pourvus faute d’être listé par les migrants (les ingrats...) comme destination possible (la France, par exemple...) devrait s’acquitter d’une pénalité égale à la part non pourvue de son quota fois le prix déterminé sur le marché des droits d’admission échangeables, étant précisé que par définition, ce montant est supérieur au coût véritable (matériel, social) de l’accueil des réfugiés. La sanction – Ah ! Magie de la supranationalité ! -, constituerait donc une incitation à devenir plus attractif à moyen terme, par exemple en améliorant ses conditions d’accueil (ce qui inclut la rhétorique qui accompagne celle-ci).Est-il encore besoin de préciser que l'avis des citoyens européens importe peu ?
La caution scientifique étant donnée par une évocation du fait que ledit modèle a, nous dit-on, été favorablement accueilli par le monde universitaire et éprouvé dans des domaines connexes tels que les quotas en matière de pollution, d'échange de dons d'organes et de risques climatiques (caution écologique oblige, n'est-ce pas ?), le reste devient superflu, l'auteur dudit modèle prenant soin de border son rôle en déclarant (je cite) : « Dès lors que cette proposition était sur la table, il m’a semblé pertinent de prendre position. Je parle bien ici du strict point de vue de l’économiste : je n’ai pas à commenter le nombre de personnes que les pays européens choisissent d’accueillir – il s’agit d’un volet politique – mais mon rôle peut être d’analyser les meilleures solutions possibles, une fois ce chiffre connu, dans le but de convaincre davantage de pays européens de participer à la politique des quotas. Plusieurs questions se posent : quels choix faire pour rendre la proposition de la Commission européenne à la fois efficace et équitable ? Comment minimiser le coût total d’accueil des réfugiés ? Comment parvenir à intégrer les désirs des réfugiés et les standards d’accueil des Etats européens ? »
Quid cependant de la seule question que chacun pourrait aussi être en droit de faire valoir face à ces apprentis sorciers : comment parvenir à intégrer les avis et désirs des citoyens européens face à ces clandestins/migrants/réfugiés/demandeurs d'asile dont le flot ne constitue que les avant-gardes annonciatrices d'un désastre géopoliticodémographique qui balaiera les standards comme les capacités d’accueil des Etats européens ?
Chacun aura compris que cette question n'est pas à l'ordre du jour et ne sera jamais posée.
Le marché aux esclaves est bien de retour en Europe, mais rassurez-vous, chers réfugiés : il ne s'agit en aucun cas d'une marchandisation de la personne humaine. Qu'allez-vous imaginer ? L'Europe a des valeurs et des principes, voyez-vous, et puis songez que la prospérité est au coin de la rue et que votre rêve d'acquérir une Audi ou une Mercédès est à portée de main.
On laissera au lecteur dont les observations sont les bienvenues le meilleur pour la fin, avec nos propres réflexions en italique.
« Si, demain, votre proposition était acceptée, comment cela se passerait-il ?
« Notre proposition pourrait être mise en œuvre à deux niveaux - qui correspondent aux deux composantes du modèle décrites précédemment.
D’une part, un marché des droits d’admission, par exemple sur la base des 160 000 migrants que l’Union souhaite accueillir dans les prochains mois. Je tiens ici à préciser un élément essentiel : il ne s’agit en aucun cas d’une marchandisation de la personne humaine. Bien sûr que non ! Qu'allez-vous imaginer ? S'il ne s'agit pas de marchandisation, mais alors de quoi s'agit-il ?Ce ne sont pas des individus qui sont échangés mais des droits d’admission, et l’échange intervient en amont, avant même l’arrivée des réfugiés.Pareille malhonnêteté laisse pantois.Comme si les droits d'admission ne reposaient sur rien.
D’autre part, notre système permet de tenir compte des préférences de chacun. Au niveau des pays, ces préférences doivent bien entendu relever de critères recevables et identifiés lors de discussions collectives : langue parlée par les réfugiés, pays d’origine, niveau de qualification, professions exercées, voire statut familial. On y arrive ! A quand le regroupement familial, sans doute pour assurer la pérennité de la génération suivante d'ilotes ?Quant aux migrants, ils pourraient indiquer par ordre de préférence les pays dans lesquels ils souhaitent se rendre. A partir de là, plusieurs algorithmes sont envisageables pour effectuer l’appariement ; Et pourquoi pas un appariement homme-femme ?il est difficile de détailler leurs différences sans entrer dans des considérations techniques complexes. De notre point de vue, tant que l’on n’attribue pas à un réfugié une destination non-souhaitée, nous n’avons pas de préférence forte pour un mécanisme plutôt qu’un autre.
Le gouvernement suédois - dont le pays accueille actuellement, en proportion de sa population, le plus de réfugiés - vient de nous mandater pour lui remettre en décembre un rapport évaluant les différentes possibilités de notre modèle : à quoi peut-on s’attendre selon le type de mécanisme de matching adopté ? Quels pays seraient gagnants ou perdants à l’introduction d’un marché des droits d’admission échangeables selon les hypothèses que l’on retient pour simuler les fonctions de coûts d’accueil ? »
Notes et sources :
http://nouvellelanguefrancaise.hautetfort.com/archive/2010/04/17/mahometan-note-blasplematoire.html
Alexandre Skirda, La Traite des Slaves : l’esclavage des Blancs du VIIIe au XVIIIe siècle, Editions de Paris Max Chaleil, octobre 2010.
http://www.ritimo.org/Le-trafic-de-travailleurs-le-commerce-moderne-des-esclaves
Walden Bello, Labor Trafficking : Modern-day : Slave Trade. Migrant workers are the slaves of the modern world.Foreign Policy in Focus, May 11, 2012.
http://fpif.org/labor_trafficking_modern-day_slave_trade/
Alain Morice,« Bales,Kevin. – Disposable People. New Slavery in the Global Economy. Berkeley, University Press of California, 2004 [1999], xiv + 298 p. »,Cahiers d’études africaines [En ligne], 179-180 | 2005, mis en ligne le 03 février 2006.
http://etudesafricaines.revues.org/5790
Hergé,Coke en Stock, 1958, 19è album des aventures de Tintin. Trafic d'esclaves en Mer Rouge.
Philippe Norel,Claire Aslangul,Paloma Moreno,Carina Van Vliet,Olivier Bouba-Olga, L'Invention du marché. Une histoire économique de la mondialisation, Seuil, Février 2004
Hillel Rapoport : « Pour une réponse européenne efficace et équitable à la crise des réfugiés »
Comment faire face à l’accélération de la crise des réfugiés en Europe ? Selon Hillel Rapoport, « […] les derniers pas effectués par la Commission européenne vont dans le bon sens » mais les mesures sont trop timides pour être efficaces. Marché de quotas échangeables, mécanisme d’appariement tenant compte des « préférences » des réfugiés et des pays… PSE l’a interrogé sur les alternatives qu’il propose.
Hillel Rapoport est membre associé à PSE-Ecole d’économie de Paris et professeur à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Il est co-directeur du groupe de recherche G-MonD.
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Page personnelle : http://www.parisschoolofeconomics.eu/fr/rapoport-hillel/
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Email : [email protected]
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Quand avez-vous commencé à étudier la question des migrations ?
Mes premiers travaux sur les migrations datent de la fin des années 1990. J’ai d’abord travaillé sur les envois de fonds des migrants, sur la question du brain drain, et sur les effets des migrations en termes d’inégalités au sein et entre pays. A partir de 2008, j’ai commencé à réfléchir, avec mon co-auteur Jesus Fernandez-Huertas Moraga, à l’application de modèles d’économie publique (système de droits échangeables, mécanismes de matching) à la question de la répartition des réfugiés au sein de l’Union Européenne, et à partir de 2010, nous avons commencé à écrire sur cette question. Notre point de départ est que les migrations internationales permettent de réduire la pauvreté globale, comme le montrent de nombreuses études. Il en découle que lorsqu’un pays admet des migrants pauvres originaires de pays pauvres, il contribue à un bien public international, la lutte contre la pauvreté. Mais cette dimension est négligée dans la conception des politiques d’immigration nationales, il s’agit d’une « externalité ». De ce fait, l’offre de visas d’immigration (ou de permis accordés au titre du droit d’asile) est inférieure à ce qui serait souhaitable du point de vue des pays d’accueil pris collectivement. Dans notre article intitulé « Tradable Immigration Quotas », publié en 2014 (1), nous développons un modèle complet de quotas d’immigration échangeables d’une part, et détaillons d’autre part un mécanisme d’appariement (« matching ») qui tient compte des préférences des migrants et des pays d’accueil dans la répartition finale. Nous proposons également des applications concrètes, notamment dans le contexte de la crise des réfugiés en Europe ou dans celui des « réfugiés climatiques ».
Pourriez-vous détailler votre modèle ? Comment a-t-il été accueilli par les autres chercheurs ?
Notre modèle a deux composantes distinctes mais très complémentaires. Tout d’abord, nous étudions les modalités d’un « marché de quotas » via lequel les pays, une fois connue et répartie la somme totale de migrants, ont la possibilité de réduire ou d’augmenter par l’échange leurs quotas respectifs. Cela revient à donner à chacun le choix des modalités de sa solidarité : par l’accueil de migrants, ou par le financement de cet accueil par d’autres, à un prix qui rende les décisions des uns et des autres compatibles. Une fois les quotas de chacun connus, nous détaillons un modèle intégrant les préférences des uns et des autres : les migrants classent les pays dans lesquels ils souhaitent aller, et les pays indiquent leurs choix quant au type de migrants qu’ils souhaitent accueillir. Tout l’enjeu est d’aboutir à un appariement (matching) idéal. Un dernier point concerne le cas d’un pays dont les quotas resteraient non pourvus faute d’être listé par les migrants comme destination possible : ce pays devrait s’acquitter d’une pénalité égale à la part non pourvue de son quota fois le prix déterminé sur le marché des droits d’admission échangeables ; par définition, ce montant est supérieur au coût véritable (matériel, social) de l’accueil des réfugiés. La sanction constitue donc une incitation à devenir plus attractif à moyen terme, par exemple en améliorant ses conditions d’accueil (ce qui inclut la rhétorique qui accompagne celle-ci).
Ce type de modèle dit de « matching » s’appuie notamment sur les travaux d’Alvin Roth, prix Nobel d’économie 2012, qui suit également de près les débats en cours sur la crise des réfugiés (2). Plusieurs applications de ces modèles ont été mises en place dans des domaines tels que les dons d’organes, ou encore l’affectation d’internes en médecine à des hôpitaux ; quant aux marchés des droits échangeables, leur principale application concerne la dépollution et la préservation de l’environnement. Notre proposition de quotas échangeables avec matching a été accueillie très favorablement par les universitaires lors de divers séminaires, mais bien sûr ceux-ci sont plus sensibles aux arguments théoriques que les décideurs politiques. J’espère faire avancer le débat sur nos propositions, à la fois sur un plan théorique et sur un plan pratique, à l’occasion de la conférence « Matching in Practice » qui aura lieu à TSE en décembre 2015.
Quel regard portez-vous sur les évolutions des derniers mois ?
Mi-mai 2015, l’Union européenne a proposé d’instaurer des quotas d’accueil des réfugiés par pays membres. Inscrit dans l’Agenda européen en matière de migration, cette nouvelle obligation était accompagnée d’un volet sécuritaire et d’une volonté de lutter contre les passeurs. On parlait alors de répartir 40 000 demandeurs d’asile (prioritairement Syriens et Erythréens) massés principalement en Italie et en Grèce, ainsi que 20 000 personnes ayant obtenu le statut de réfugié et restées dans les camps de réfugiés au Moyen-Orient. Quatre critères présidaient à la définition des quotas par pays : la richesse du pays d’accueil (PIB), sa population, son taux de chômage et ses efforts passés dans l’accueil des réfugiés.
Dès lors que cette proposition était sur la table, il m’a semblé pertinent de prendre position. Je parle bien ici du strict point de vue de l’économiste : je n’ai pas à commenter le nombre de personnes que les pays européens choisissent d’accueillir – il s’agit d’un volet politique – mais mon rôle peut être d’analyser les meilleures solutions possibles, une fois ce chiffre connu, dans le but de convaincre davantage de pays européens de participer à la politique des quotas. Plusieurs questions se posent : quels choix faire pour rendre la proposition de la Commission européenne à la fois efficace et équitable ? Comment minimiser le coût total d’accueil des réfugiés ? Comment parvenir à intégrer les désirs des réfugiés et les standards d’accueil des Etats européens ?
Début juin, vous avez formulé une série de propositions lors d’une audition au Parlement Européen…
Effectivement, j’ai été invité le 3 juin à une audience publique du Parlement européen (3), pour détailler les implications de notre modèle. Cette audience, à l’initiative du Groupe des Verts/Alliance Libre européenne, avait pour but principal de repenser le système européen d’asile. A date, ce dernier est toujours régi par la Convention de Dublin de 1990, laquelle octroie la responsabilité des réfugiés au pays européen de première entrée. Or nombre de réfugiés font le choix de rester clandestins jusqu’à ce qu’ils atteignent le pays dans lequel ils veulent effectivement demander l’asile. En outre, ce système devenait chaque jour plus obsolète avec l’afflux continu de réfugiés. Ce premier contact nous avait semblé concluant, et les rapports issus de l’audience publique faisaient mention de nos recommandations - sans aller plus loin. Fin juin, juste avant un conseil européen dédié à ces questions, j’ai publié une tribune (4) sur le blog EUROPP - European Politics and Policy - de la London School of Economics pour expliquer en quoi notre modèle - qui est à nos yeux plus efficace et plus juste - pourrait contribuer à améliorer la réponse politique face à la crise des réfugiés.
Depuis quelques semaines, tout s’accélère : comment jugez-vous les dernières propositions du plan Juncker ?
Sincèrement, je ne pensais pas que la Commission européenne arriverait à instaurer des quotas. En effet, pour certains pays membres, cela peut paraître très couteux d’accueillir des réfugiés - que ce soit en termes matériels, politiques ou sociaux. Mais, début septembre, la photo d’Aylan retrouvé sans vie sur une plage turque, a participé à l’impressionnant retournement des opinions. Le rapport de force entre les pays favorables à l’ouverture et ceux qui maintiennent une vision sécuritaire et identitaire a également évolué - semblant se polariser. D’un côté, le 5 septembre, Allemagne et Autriche accueillent des milliers de réfugiés. De l’autre, le 9 septembre, le Danemark ferme ses frontières ferroviaires à l’Allemagne pour éviter l’entrée des migrants sur son territoire.
Pour répondre plus précisément à votre question, le pas effectué par la Commission européenne le 9 septembre va dans le bon sens. M. Juncker a présenté un panel de propositions réalistes face à l’urgence de la situation. Le nombre de demandeurs d’asile à répartir a été revu à 160 000 et un mécanisme coercitif est prévu pour les pays qui refuseraient d’accueillir des réfugiés. Après s’être justifiés auprès de la Commission, ces pays pourraient avoir à payer une amende de l’ordre de 2 millièmes de points de pourcentage (0,002%) de leur PIB. Les propositions mentionnent également la volonté de l’Europe de prendre en compte les besoins des Etats et des réfugiés dans l’allocation globale.
Que manque-t-il à ce plan ?
Là encore, je n’ai pas à me prononcer sur le nombre de demandeurs d’asile concernés. Si l’idée d’une compensation monétaire est intéressante, elle présente une rigidité d’application qui réduit la pertinence du système. Avec mon co-auteur, Jesús Fernández-Huertas Moraga, nous avons effectué des simulations montrant que si l’Espagne décidait de ne pas se conformer à la politique des quotas, l’amende qu’elle aurait à payer s’élèverait à 1000€ par réfugié non accueilli. Pour la France, le montant serait de l’ordre de 2000€. Il s’agit là de sommes très faibles en comparaison des mécanismes européens actuels de soutien des réfugiés qui prévoient un budget de 6 à 8 000€ par individu, et un marché des droits d’admission échangeables aboutirait sans doute à des sommes bien plus élevées. Par ailleurs, de nombreuses recherches montrent que le meilleur indice d’intégration future des migrants est leur préférence exprimée pour tel ou tel pays - malheureusement, cette composante est pour l’heure jugée secondaire, rien n’est fait pour en tenir compte de façon systématique.
Les deux principales faiblesses des propositions de la Commission portent donc sur l’absence d’un mécanisme permettant de répartir les réfugiés de manière efficace, et la non-prise en compte des préférences des migrants, qui préfèreront dans de nombreux cas la clandestinité dans la destination de leur choix que le statut de réfugié dans la destination qu’on voudra leur imposer. Nos propositions permettent précisément de solutionner ces deux aspects, totalement pour le premier (par le marché des droits d’admission échangeables), et partiellement pour le second (grâce au mécanisme d’appariement).
Le système mis en place par la Commission et adopté dans les grandes lignes (même si les quotas obligatoires ont été remplacés par des quotas volontaires, ce qui ne trompe pas grand monde) par le Conseil Européen du 23 septembre est donc un premier pas dans la bonne direction. Mais ce système ne peut être efficace et pérenne qu’à condition d’être transparent : il faut donc le compléter par des mécanismes qui, tout en évitant le moins-disant humanitaire (ce que permet la juxtaposition de nos deux composantes), permettent de « révéler » les coûts véritables de l’accueil des réfugiés selon les pays, de réduire les coûts effectifs par l’introduction de compensations entre pays et par la prise en compte des préférences des pays pour tel ou tel type de réfugiés (par exemple selon le statut familial, le pays d’origine) et des migrants pour telle ou telle destination.
Si, demain, votre proposition était acceptée, comment cela se passerait-il ?
Notre proposition pourrait être mise en œuvre à deux niveaux - qui correspondent aux deux composantes du modèle décrites précédemment.
D’une part, un marché des droits d’admission, par exemple sur la base des 160 000 migrants que l’Union souhaite accueillir dans les prochains mois. Je tiens ici à préciser un élément essentiel : il ne s’agit en aucun cas d’une marchandisation de la personne humaine. Bien sûr que non, mais alors de quoi s'agit-il ?Ce ne sont pas des individus qui sont échangés mais des droits d’admission, et l’échange intervient en amont, avant même l’arrivée des réfugiés.Pareille malhonnêteté laisse pantois.Comme si les droits d'admission ne reposaient sur rien.
D’autre part, notre système permet de tenir compte des préférences de chacun. Au niveau des pays, ces préférences doivent bien entendu relever de critères recevables et identifiés lors de discussions collectives : langue parlée par les réfugiés, pays d’origine, niveau de qualification, professions exercées, voire statut familial. On y arrive ! A quand le regroupement familial, sans doute pour assurer la pérennité de la génération suivante d'ilotes ?,Quant aux migrants, ils pourraient indiquer par ordre de préférence les pays dans lesquels ils souhaitent se rendre. A partir de là, plusieurs algorithmes sont envisageables pour effectuer l’appariement ; Et pourquoi pas un appariement homme-femme ?il est difficile de détailler leurs différences sans entrer dans des considérations techniques complexes. De notre point de vue, tant que l’on n’attribue pas à un réfugié une destination non-souhaitée, nous n’avons pas de préférence forte pour un mécanisme plutôt qu’un autre.
Le gouvernement suédois - dont le pays accueille actuellement, en proportion de sa population, le plus de réfugiés - vient de nous mandater pour lui remettre en décembre un rapport évaluant les différentes possibilités de notre modèle : à quoi peut-on s’attendre selon le type de mécanisme de matching adopté ? Quels pays seraient gagnants ou perdants à l’introduction d’un marché des droits d’admission échangeables selon les hypothèses que l’on retient pour simuler les fonctions de coûts d’accueil ?
Propos recueillis en septembre 2015
(1) « Tradable immigration quotas », Journal of Public Economics - Volume 115, July 2014, Pages 94–108
(2) http://marketdesigner.blogspot.fr/2015/09/refugee-resettlement-long-term-policy.html
(3) “Beyond Dublin : Rethinking Europe’s Asylum System” http://greenmediabox.eu/en/ct/90
(4) “How a tradable refugee-admission quota system could help solve the EU’s migration crisis” http://blogs.lse.ac.uk/europpblog/2015/06/22/how-a-tradable-refugee-admission-quota-system-could-help-solve-the-eus-migration-crisis/
……………………………..
Cette interview vous a été proposée par PSE-Ecole d’économie de Paris, via la rubrique « L’économie pour tous ».
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