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Accueil du site > Tribune Libre > La carte ou le menu ?

La carte ou le menu ?

A plusieurs reprises, j’ai évoqué la nécessité de la réforme de la carte judiciaire. Mille fois projetée, jamais mise en oeuvre jusqu’à maintenant, elle est, depuis quelques semaines, présentée "au coup par coup" par le Garde des Sceaux, encore récemment à Rennes et à Montpellier.

Autant l’obligation de réserve du magistrat ne doit pas lui interdire toute appréciation sur son ministre dès lors qu’il demeure à la fois respectueux de la fonction et dans le champ professionnel, autant sa participation aux manifestations bruyantes et parfois grossières qui s’organisent lors des visites de Rachida Dati me semble contredire la conception que j’ai de notre mission et de notre image dans la société. C’est au nom de cette même argumentation qu’à titre personnel, je suis hostile à la grève du 29 novembre et que je crains, en dépit des apparences, une désaffection encore plus vive du citoyen à notre égard. Je ne méconnais pas que l’action syndicale a des libertés et s’assigne des objectifs qui pourraient paraître justifier ce décalage total entre ce qu’on attend du juge et ce que la contestation moderne lui permet. Il n’en demeure pas moins qu’à mon sens, au sujet de la carte judiciaire, le magistrat s’engage dans un combat douteux et se mêle à une fronde collective dont il devrait, au contraire, s’éloigner.

Ce n’est pas seulement parce que ces brouhahas revendicatifs aux causes hétérogènes mettent plutôt en évidence la pugnacité, voire le courage d’une femme seule, Rachida Dati, en face des broncas. C’est plutôt qu’à nouveau, en face d’une politique qui veut faire bouger les lignes, nous apparaissons comme les tenants de l’ordre ancien, comme si notre unique souci ne devait pas être d’examiner s’il mérite d’être sauvegardé ou non au regard du bien de la République. Pas au regard du nôtre.

Une position plus lucide aurait été d’autant plus bienvenue que la réforme de la carte judiciaire fait partie de ces changements qui ne préoccupent pas directement le citoyen mais seulement la classe politico-judiciaire et, pour être encore plus précis, les élus et les avocats. J’ai conscience que mon opinion a la chance de pouvoir être formulée de Paris et de l’Ile-de-France, qui ne seront guère touchés par l’incidence de la réforme.

Lorsque le Garde des Sceaux, selon Le Monde, à la fin de sa visite à Rennes, souligne que "la fracture n’est pas entre moi et le monde de la justice, mais entre les citoyens et leur justice. Les réformes sont toujours très difficiles", elle a raison sur les deux plans mais, les mélangeant, elle fait perdre de vue la spécificité de son action qui, en l’occurrence, n’a pas de rapport avec l’ambition plus générale et hautement souhaitable de restaurer un lien de confiance et d’estime entre la magistrature et les citoyens qui attendent d’elle infiniment plus que ce qu’elle donne au quotidien.

Pour la carte judiciaire, non seulement le citoyen ne s’investit pas dans ce débat mais, à l’évidence, questionné, il soutiendrait la cause du statu quo à partir du moment où il aurait la certitude que celui-ci n’entraînerait que des effets positifs. C’est en raison du caractère très politique et technique de cette empoignade et de ces oppositions, du masque qu’elles arborent pour dissimuler des intérêts à court terme, des corporatismes et des commodités à ménager, que la magistrature aurait dû ne pas s’immiscer dans ces joutes. Elle a tout à y perdre parce que ses alliés apparents ne s’autorisent une résistance que parce qu’ils ont l’impression que la société les contemple sans les désapprouver. Pour peu que cette dernière se mette en mouvement et, contre toute attente, soutienne le parti du changement, nul doute que le vent tournerait vite et qu’on verrait les grands mots pompeux pour dire non s’effacer et ne plus oser empêcher les oui nécessaires.

Qu’on récuse le changement de méthode du Garde des Sceaux, inspiré par le président de la République, pourquoi pas ? Mais qu’on ne fasse pas croire que la légitimité du fond et la justesse de l’entreprise en sont affectées. Y a-t-il un seul magistrat, syndiqué ou non, qui puisse soutenir que, sur le strict plan judiciaire, cette réforme serait inutile pour la rationalité et la cohérence d’un paysage et d’un service public qui, en concentrant leurs moyens, multiplieraient à l’évidence leurs forces ? Le maintien d’une justice de proximité devient l’alibi démocratique de beaucoup de calculs sans grandeur.

Il n’est pas trop tard pour changer d’orientation, d’adhésion. Le syndicalisme a le droit d’être intelligent. Ou faut-il comprendre qu’il est mené au nom de considérations et de solidarités qui n’ont aucun lien avec le bien public ?

Il nous faut une nouvelle carte.


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15 réactions à cet article    


  • Forest Ent Forest Ent 12 novembre 2007 12:55

    Bon article.

    Il est traditionnel que ce soient les représentants de la majorité qui soient le plus hostiles aux perspectives de rationalisation des dépenses publiques.

    Il y a un suréquipement de certaines provinces qui peut être lié à un découpage électoral qui n’est pas assis sur la population. Il est « facile » de se faire élire député de circonscriptions rurales, et il faut ensuite avoir quelque chose à offrir. Comme c’est l’exécutif qui fait le travail législatif, les députés se sont plutôt spécialisés dans le contre-exécutif par clientélisme local.

    Je n’aime pas l’UMP. J’approuve néanmoins plutôt cette réforme. Elle va être dure à faire avaler à ... l’UMP.


    • Forest Ent Forest Ent 13 novembre 2007 01:42

      « Je continue donc de ne pas comprendre le bien-fondé de cette réforme. Pas de la réforme en général de la carte judiciaire, mais de cette réforme-ci, qui m’a l’air d’être faite à l’emporte-pièces et n’importe comment. »

      C’est possible, mais c’est un peu toujours le cas. Ca doit être le quatrième essai, aucun des précédents n’ayant abouti. Je ne pense pas que l’on puisse partir du principe que le déploiement des services publics soit inamovible. Il doit s’adapter à la démographie, et ça provoque toujours des levées de boucliers, quelle que soit la manière. C’est courageux de réessayer. D’un autre côté, la ministre est déjà tellement impopulaire qu’elle n’en est plus à ça près.


    • Nemo 13 novembre 2007 13:07

      Leon,

      Ces regroupements sont nécessaires pour une seule raison : la capillarité du système judiciaire en France est tout simplement insoutenable : 1700 lieux différents sont utilisés pour rendre la justice.

      Compte tenu du traditionnellement faible budget de la Justice, c’est catastrophique. Quand le Garde des Sceaux débloque 10.000.000 pour la sécurité des tribunaux, cela fait combien par tribunal ?

      Il est évident que le budget de la Justice doive être augmenté. Mais quand bien même, une rationalisation des lieux où est rendue la justice est absolument nécessaire.

      De toutes façons, ce ne sont que les maires et les avocats qui râlent. Et pour quelles raisons ? Les premiers parce que cela diminue le budget de leur commune, et les seconds, parce que cela les oblige à déménager d’une part, et à venir en concurrence de leurs collègues sur les villes où les tribunaux sont rassemblés d’autre part.

      En clair, ils perdent leur petit monopole sur les affaires locales.

      Ce mouvement vous semble-t-il toujours aussi justifié ?...


    • mylena mylena 12 novembre 2007 13:15

      Les manifestations de rue des magistrats sont vraiment pitoyables. Comment de telles personnes exerçant des responsabilités aussi éminentes dans la société peuvent-elles donner l’exemple du désordre de rue, de l’injure publique et de l’abaissement des institutions qu’elles servent et prétendre être ensuite respectées par ceux et celles qu’elles jugent. C’est vraiment consternant et incompréhensible. La méthode de Mme Dati pour faire avancer ce dossier est nécessaire et inévitable, puisque l’expérience montre qu’avec les magistrats toutes les tentatives de concertation aboutissent à enterrer tout changement. Regardez la réforme du plaider-coupable : tout le monde était contre, tout le monde l’applique. Je suis sure qu’il y a bien d’autres exemples qui montrent qu’on ne peut pas compter sur les juges pour transformer la justice, ce qui n’empêche pas qu’ils font leur boulot avec beaucoup de passion. Qui peut comprendre et expliquer ce blocage ?


      • Sandro Ferretti SANDRO 12 novembre 2007 15:22

        @ l’auteur,

        Ce n’est ni la carte , ni le menu, seulement la « suggestion du Chef », ou de la Chef. Sauf qu’il n’y naturellement pas moyen de prendre ni le menu, ni la carte.

        Sur le fond, peut-il en étre autrement ? Dès qu’il s’agit de fermer quelque chose, une gare, une ligne de métro, il y aura toujours des blocages et des réticences...


        • Romain Baudry 12 novembre 2007 16:51

          Cet article gagnerait à développer beaucoup plus le coeur du problème : est-ce que la réforme de la carte judiciaire actuellement en cours va effectivement améliorer le fonctionnement de la justice ?

          Vous suggérez que les citoyens de base ne se soucient, au fond, pas du tout de la carte judiciaire et du fait qu’on la réforme ou non. Il y a sans doute une fracture entre les citoyens et la justice (nettement moins grande tout de même que celle entre les citoyens et les hommes politiques), mais le fait d’éloigner les tribunaux et d’en diminuer le nombre va-t-il dans le bon sens ?


          • Gilles Gilles 12 novembre 2007 17:28

            L’auteur :

            « la réforme de la carte judiciaire fait partie de ces changements qui ne préoccupent pas directement le citoyen »

            Et pourtant il devrait s’en préoccuper le citoyen, non ? Outre le fait de devoir de déplacer plus loin (si on peut), la fermeture des tribunaux, avec les dizaines d’emplois afférant, aura des répercussions locales sur le commerce, l’emploi, l’attractivité, le prestige d’une petite ville.

            De plus, cela vient dans un contexte de désertification des zones non urbaines. Les services publics, au nom d’une meilleure gestion comptable, désertent de plus en plus les petits villes et les campagnes alors qu’à priori ils doivent fournir leurs services à tous au même prix où que l’on réside sur le territoire.

            N’est ce pas là un coup de glaive supplémentaire pour les services publics et les zones non suffisamment urbanisées ? Un coup de glaive qui montre que ces services ne sont plus aussi publics que ça, que maintenant le rapport financement/quantité prime sur l’idéal de service de qualité disponible pour tous.

            Ne peut-on y voir aussi une volonté de réduire les dépenses, cherchant des moyens pour éviter à tout pris de devoir augmenter le budget de la justice ?

            D’ailleurs, et l’auteur pourra ou non confirmer, mais j’ai entendu mille fois de la part de juristes que ces petits tribunaux, même s’ils ont moins d’affaires, rendent en général une justice meilleure et plus rapide.... du fait de leur taille justement. VRAI OU FAUX ? Je crois que c’est là que réside les préoccupations majeures.

            Ceci dit, réformer la carte est peut être nécessaire....mais je trouve étrange le nombre de ces suppressions et de ces regroupements ; on dirait que plus on en supprime, mieux se sera. Et on se sert de ce nombre pour négocier justement la réforme, en en lâchant un ou deux quand ça gueule trop ou quand on a affaire à une municipalité UMP (municipales oblige...), histoire de faire dévier le débat de fond sur l’utilité publique réelle de ces tribunaux


            • Nemo 13 novembre 2007 13:11

              Maintenir les services publics dans les zones non urbaines demande un certain niveau de dépense.

              L’argent vient d’où d’après vous ?

              Combien de temps pensez-vous que l’on puisse tenir encore en continuant à enregistrer chaque année un déficit public de plusieurs dizaines de milliards d’euros ?


            • merlin7511 12 novembre 2007 17:43

              Vous avez tout compris. Tout comme l’enfer est pavé de bonnes intentions, la réforme de la carte judiciaire, réellement nécessaire, est détournée pour un seule raison : faire des économies de bouts de chandelle.


            • ZEN ZEN 12 novembre 2007 18:29

              Léon

              Je me pose les mêmes questions que toi et partage les mêmes perplexités.

              Le budget consacré au fonctionnement de la justice est déjà scandaleusement réduit en France, par rapport à nos voisins européens...


            • Romain Baudry 12 novembre 2007 23:38

              Comme disait un avocat général dont le nom m’échappe mystérieusement, Nicolas Sarkozy n’aime pas les magistrats. Peut-être pense-t-il que la France se porterait mieux si elle en avait moins.


            • perlin 13 novembre 2007 06:30

              @ Leon

              Je me pose à peu près les mêmes questions que vous mais j’imagine que j’aurais une réponse si je pouvais faire se superposer 2 cartes de la France d’aujourd’hui, l’une avec la démographie, l’autre avec les ressources judiciaires.

              Ne le pensez-vous pas ?

              Cordialement


            • Gilles Gilles 13 novembre 2007 07:32

              « Tout ce que j’entends comme argument c’est que la carte judiciaire actuelle date de 1958. Et alors ? »

              Leon, en 50 ans la répartition de la population sur le territoire à changé au détriment des zones rurales. L’économie est aussi plus centrée autour des grandes agglomérations. Vu comme ça, la réforme est légitime s’il s’agit de redéployer les moyens pour plus d’efficacité et une couverture judiciaire adaptée au monde contemporain. D’ailleurs cet argument est consensuel, personne ne le décrit.

              Le problème est que l’on en se sert que de cet argument en boucle pour en cacher d’autres

              N’est t-il pas injuste que les privilégiés habitant dans des petites villes jouissent de tribunaux moins encombrés que ceux des grandes villes ?

              Si bien sûr, et par équité il convient de lutter efficacement contre ces privilèges, thème n°2 ou 3 de la campagne de Sarkozy je rappelle.

              Donc, il faut soit augmenter la capacité des tribunaux les plus courus, ou au contraire diminuer la capacité des autres

              Une solution coute des sous, l’autre permet d’en épargner

              Alors ? Que choisira un gouvernement dont le but est de réduire les dépenses ?

              Le reste n’est qu’habillage....


            • sevand 15 novembre 2007 20:25

              Mon commentaire : Rachida ou le courage d’une femme seule ???? je REVE, y’a peut être pas Sarko derrière elle ? et que dire quand on sait que, par courage, elle se fait accompagner jusque dans la salle aux réunions où assistent des chefs de juridictions (avec invitation + contrôle d’ientité) de 20 policiers en civil, pas un de moins et que les « manifestants » sont exilés par les CRS à plus de 600 mètres du lieu de réunion.... Décidement il serait temps pour les magistrats que M. Bilger tire sa réverence


              • sevand 15 novembre 2007 20:32

                M. Bilger à une telle connaissance des juridictions fraçaise, qu’il ne comprend même pas l’incidence que peut avoir la suppression du Tribunal pour les provinciaux...Vous êtes loin des magistrats de province, mais encore plus loin du citoyen lambda RMiste ou sous tutelle !!!

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