« La chaise nous tue... »
On ne dira jamais assez les bienfaits de la marche : bienfaits pour la santé, bienfaits pour la pensée, bienfaits pour l'esprit, pour le mental, pour la créativité...
Pourquoi est-ce qu'on marche ? Et si c'était lié avec le fait de créer ? C'est l'intuition de Pascal Picq dans son essai intitulé "La Marche... Sauver le nomade qui est en nous", un essai qui interroge les liens entre la marche et la pensée, qui démystifie aussi les origines de la bipédie.
Pascal Picq est venu présenter son ouvrage sur le plateau de La Grande Librairie.
Pourquoi et comment l'homme s'est-il mis sur ses deux pieds ?
"A l'inverse de ce que montre la fameuse image de l'évolution, on ne se serait pas redressé, mais on serait tombé des arbres... La bipédie et la marche debout descendent tout droit des arbres...
La bipédie n'est pas descendu comme un fruit mûr, mais c'est une histoire qui remonte au temps où notre groupe à nous, les grands singes - aujourd'hui, nous ne sommes plus que cinq- gorilles, chimpanzés, orangs outans, bonobos et nous...
Et quand vous êtes dans le monde des arbres et que vous avez une grande taille, là ça devient très compliqué. Parce qu'au dessus de 10 kg, si vous loupez la branche, vous êtes mort.
Donc, là, il n'y a que deux possibilités de s'adapter : une qu'on connaît chez les paresseux, et l'autre qui est de se suspendre, de se mettre sous la branche et toute notre anatomie est l'héritière de cette suspension...
La marche humaine est l'une des plus efficaces du règne animal... une caractéristique qui est la nôtre est l'endurance. Nous sommes les bestioles qui ont l'endurance la plus incroyable dans l'histoire de toute la biologie.
Et nous pouvons déployer une diversité extraordinaire de mouvements qu'on ne connaît pas dans la nature : sports, danses, art du cirque...
Sur une fresque de Raphaël qui s'appelle L'école d'Athènes, qui date du début du 16ème siècle, tous les philosophes sont assis, en train de penser, et puis on voit Aristote à côté de Platon, un qui montre le ciel et l'autre qui montre la terre et ils marchent tous les deux...
Au moment où je préparais ce livre, je me retrouve avec Michel Serres et il me dit : "Alors, c'est quoi ton prochain livre ?" Et je lui réponds : "C'est autour de la marche et de la pensée" Il dit : "Tu sais, il y a beaucoup de poètes, beaucoup d'écrivains qui marchent... En fait, il y a très peu de philosophes qui marchent... alors quand même, il y a Kant, Kierkegaard" Je dis : " oui, mais ils marchaient en ville, je te parle des philosophes qui cherchent leur inspiration, en partie, en marchant dans la nature..."
Là, la liste est extrêmement courte : il y a Thoreau en Angleterre, Rousseau, il y a Nietzsche, (j'en ai oublié un au passage) et je lui dis : "Il y en a un cinquième..." Alors, il cherche, il cherche... et je lui dis : "Tu le connais très bien, c'est toi !"
Je me suis aperçu que je suis toujours intéressé par des écrivains qui font de longues phrases, Julien Gracq, Proust, etc. J'adore ces longues phrases qui n'en finissent pas, qui vous amènent à cheminer avant d'en trouver le sens.
Plus on marche, moins on vieillit, et les grands ethnologues marchaient, ils arrivaient sur des terrains inconnus, et la manière d'approcher dans la marche permet, en fait d'établir, à distance, une relation de confiance avec les gens qu'on va rencontrer, et là va se mettre en place, ce qu'on ignore complètement dans notre modernité, ce qu'on appelle l'hospitalité : accueillir les gens dans sa maison, on a complètement perdu cela. Et la marche le permet, parce qu'elle a un rythme, toute une signification profonde.
Dans un passage de Proust, il est sur une calèche et au loin, il voit une jeune femme, et là il est fasciné et se construit une image de cette femme, superbe, sublime, et plus il approche, plus il devient déçu, parce que quelles que soient sa beauté et sa grâce, elle ne répond pas à l'image idéale qu'il avait construite autour de ça.
Le progrès renforce notre immobilisme : c'est catastrophique, un médecin célèbre a dit :"La chaise nous tue". C'est le cas des jeunes générations. L'armée s'est inquiétée du recrutement devenu extrêmement difficile parce que la moitié des jeunes Français sont en surpoids, 30% qui sont obèses, en Amérique du Nord, c'est une catastrophe encore pire. On est en train de perdre tout ce qui a fait notre évolution. Tout ce qui a fait le progrès, tout est fait pour ne plus marcher.
Aux Etats-Unis, l'espérance de vie est en train de chuter de manière catastrophique.
Notre survie dépend de la marche parce que la marche est ce qui mobilise le plus toutes les parties de nos organismes, c'est aussi un contact avec les environnements.
Et Pascal Picq de citer une chanson interprétée par Yves Montand : "Moi je suis venu à pied tout doucement sans me presser, à pied, à pied..."
Voilà un admirable plaidoyer pour la marche...
Source : à 41 minutes, 29 secondes
https://www.paroles.cc/chanson,je-suis-venu-a-pied,39951
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