La chasse à l’audience imperturbable de Paris-Match dans la guerre de l’information
« Mais c’est une vraie information ! » a tonné, sans craindre le ridicule, le fondateur du festival « Visa pour l’image » de Perpignan, Jean-François Leroy, interrogé sur France Inter, dans le journal de 13 heures, jeudi 4 octobre. Il ne comprenait pas la condamnation par le ministre de la Défense de la parution dans Paris-Match d’un reportage sur les talibans qui ont tué le 18 août dernier dix soldats français tombés dans une embuscade : le ministre avait dénoncé le matin même sur la même antenne ce qu’il estimait être « une promotion des talibans ».
Puisque tout signal d’un être vivant à un autre est une information, la question est-elle, en effet, de savoir si ce reportage en est une ? Mais refuser de se demander à qui il est utile ou nuisible, est symptomatique de la théorie promotionnelle de l’information diffusée par les médias. Car peut-on dire que le ministre à tort ?
Les morbides métonymies de la tuerie
Comme à son habitude, obsédé par sa chasse à l’audience, Paris-Match a choisi l’information susceptible de capter l’attention du plus grand nombre en déclenchant le réflexe du voyeurisme. Sans doute, pour une fois, ne remplit-il pas ses pages de cadavres. Il a trouvé peut-être bien mieux : les métonymies de la tuerie par l’exhibition de ses effets ! Le titre du reportage le claironne, « La parade des talibans avec leurs trophées français ». Voilà pour « le poids des mots » ! Quant au « choc des images », il provient de l’exhibition d’objets dont les talibans auraient dépouillé les cadavres de leurs ennemis tués : l’un porte un casque, l’autre, un fusil ou un gilet pare-balles. Surtout, dans une mise en scène à laquelle il fallait songer, Paris-Match n’a pu s’empêcher de présenter sur tout une page, en très gros plan, un objet intime, peut-être le cadeau d’une compagne, la montre à quartz d’un des soldats tués, offerte au lecteur entre les deux paumes réunies de la photographe s’ouvrant comme un écrin. Dans leur humanité, les talibans la lui aurait rendue pour être remise à sa famille.
Pour autant, quelle information nouvelle est donc livrée ici par ces mises en scène morbides, qu’on ne savait déjà ? Quelle réflexion peut se nourrir du réflexe de voyeurisme ainsi déclenché ? Sans doute ces exhibitions s’accompagnent-elles de l’interview sommaire d’un certain commandant Farouki ? Mais Paris-Match se contente de rapporter « l’information donnée » qu’a consenti à lui livrer ce responsable taliban, sans la confronter le moins du monde à d’autres sources.
On apprend ainsi que les membres du commando sont tous Afghans - vraiment ? - que leur détermination est totale, qu’ils entendent chasser de leur territoire les troupes étrangères jusqu’au dernier homme, qu’ils connaissent forcément les lieux mieux qu’elles, qu’ils disposent de caches d’armes et d’appuis qui leur permettent de rééditer des faits d’armes comme celui qui a coûté la mort aux dix Français - on s’en doutait - même si, est-il prudemment prétendu, les civils « ne (les) soutiennent pas vraiment » - est-ce si sûr ? … Le lecteur est ainsi invité à croire l’interviewé sur parole.
Une interview en forme de bulletin officiel
À la lecture d’une telle interview qui ressemble à un bulletin officiel d’un groupe de talibans, peut-on contredire le ministre de la Défense qui voit dans ce reportage « une promotion des talibans » ? D’un côté, les objets exhibés témoignent de leur efficacité guerrière et, de l’autre, l’interview est livrée sans que les informations valorisantes données suscitent d’objection, à défaut d’être vérifiées. Il s’ensuit une évidente prise de parti dans une distribution manichéenne des rôles où les talibans apparaissent en position d’agressés et de victimes dans leur propre pays et les armées étrangères en position d’agresseurs. Du moins ressort-il que la prétendue mission de pacification du pays qui leur a été confiée, est loin d’être accomplie puisque les Afghans seraient les premiers à en faire les frais : « Premières victimes des représailles : les civils » porte en légende la photo d’une pauvre famille réfugiée sous une tente de fortune en plein désert. Le leurre d’appel humanitaire est ainsi activement stimulé.
Le ministre a-t-il donc tort de souligner qu’un tel reportage vise à déclencher – comme ça s’est vu dans le passé – des réflexes de répulsion et de condamnation dans les pays qui ont envoyé leur armée en Afghanistan, pouvant à terme affaiblir les gouvernements qui en ont pris la décision ? Les talibans joueraient donc l’opinion publique de ces pays contre leur gouvernement, dans l’espoir d’un retournement politique ? Est-ce si surprenant ? L’information, tout le monde le sait , est une guerre, sauf Paris-Match, à moins qu’il feigne de l’ignorer.
Une complexité simplifiée
On ne saurait évidemment reprocher à un journal de présenter les points de vue en présence et en particulier celui de l’adversaire. Mais encore faut-il qu’il ne se contente pas de servir des informations incontrôlables et unilatérales. La méthode de Paris-Match, comme à son habitude, est de s’adresser moins à la réflexion qu’aux réflexes de ces lecteurs. Car que ressort-il de ce reportage ? Quelques idées simples faciles à mémoriser par des images : on y voit ce qui est présenté comme les preuves du combat meurtrier d’août dernier et de l’efficacité meurtrière des hommes en armes photographiés ; on découvre une famille enfuie, dit-on, dans le désert pour échapper aux représailles et on apprend qu’un groupe de talibans se présente comme une armée de libération face à des armées étrangères devenues forces d’occupation. Les données sont-elles aussi simples ?
La guerre de l’information a beau faire rage, Paris-Match n’en poursuit pas moins imperturbablement sa chasse à l’audience. La complexité des problèmes n’est pas vendeuse. Elle lui reste donc étrangère. Seule lui importe la stimulation des réflexes de toute nature pour déclencher la pulsion d’achat. Il n’est que de voir d’ailleurs le partage léonin de la couverture entre le reportage d’Afghanistan et l’autre produit d’appel autrement plus important propre à déclencher un autre réflexe de voyeurisme : la grossesse d’une ancienne miss France, épouse d’un comédien, devenue journaliste de télévision, et que son ascension professionnelle rapide, due à ses seules compétences intellectuelles, a sûrement rendue familière de la complexité des choses. On le voit, la boucle est bouclée.
Paul Villach
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