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La comédie de Waterloo

Voici deux semaines, le projet d'une pièce de monnaie belge commémorant la bataille de Waterloo a mis le feu aux poudres entre la France et la Belgique. De toute évidence, beaucoup de Français n'ont pas abdiqué leurs vieux rêves de gloire à l'heure de la construction européenne.

   L’affaire ressemble à une blague belge. Elle a au moins fait rire les Anglais. A l’occasion du 200 eme anniversaire de la bataille de Waterloo, le 18 juin 1815, la Belgique souhaitait mettre en circulation une pièce de deux euros rappelant cet évènement d’envergure européenne : la défaite ultime de Napoléon Bonaparte face à la coalition européenne emmenée par Wellington. En l’apprenant, la France a aussitôt réagi pour bloquer la diffusion de la fameuse pièce au motif « qu’elle véhiculait un symbole négatif pour une partie de la population européenne ». La Belgique, à contrecœur, a dû faire profil bas devant une telle insistance. Pour ne pas perdre un investissement estimé à 1,5 million d’euros, elle transformera en médailles les 180 000 pièces déjà frappées (sur 270 000 prévues). En relevant de 0,5 euro sa valeur initiale…

Ce différend peut paraître bien anecdotique à l’heure où l’Europe fédérale peine à s’harmoniser, menacée qu’elle est dans ses propres bases. Il en dit long, cependant, sur le rapport des Français actuels à leur nouveau cadre politique et, au-delà, à leur propre histoire. Pour beaucoup d’entre eux, le compteur de celle-ci est singulièrement bloqué sur l’épopée napoléonienne. J’en veux pour preuve les innombrables confréries et sociétés qui continuent à célébrer la mémoire de l’Empereur dans ce pays. Pour ces naïfs thuriféraires, il était l’incarnation du volontarisme et du rayonnement national. Temps glorieux de la France forte et conquérante, reviendrez-vous jamais secouer le joug de notre présente médiocrité ? Et de s’en remettre aux mânes de l'Empire pour supporter l’air vicié de notre décadence. C’est oublier facilement que la France napoléonienne fut haïe par le restant de l’Europe. C’est oublier que Napoléon, emporté par son appétit de gloire personnelle, a trahi les idéaux de la Révolution (dont il était issu), mettant les peuples en coupe réglée au lieu de les émanciper. Le plus déçu, parmi eux, fut sans doute la Prusse, alors favorable aux idées républicaines. Napoléon vaincu, elle revint au monarchisme pur et dur et n’eut de cesse de construire autour d’elle l’unité allemande. On connaît la suite de l’histoire…Osons le dire franchement : sans Napoléon, il n’y aurait pas eu Hitler un siècle plus tard. Si je les rapproche ici, je ne les mets pas pour autant sur un pied d’égalité : le second fut pire que le premier, ne fut-ce que par son antisémitisme forcené. Mais, politiquement parlant, Napoléon et Hitler appartiennent à la même famille des tyrans sans scrupule, aptes à s’auto-diviniser, prodigues du sang humain, à commencer par celui de leurs propres peuples.

Il faut lire un roman comme « Histoire d’un conscrit de 1813  », d’Erckmann-Chatrian pour mesurer, à hauteur d’homme, l’horreur des batailles rangées impériales (que de grands enfants, aujourd’hui, s’amusent à reconstituer grandeur nature). Pour visualiser, sur un mode littéraire, la boucherie des champs d’honneur et comprendre l’angoisse des jeunes villageois au moment de la conscription. Il n’empêche : en 2015, on trouve dans toutes les villes françaises des rues et des places rappelant les victoires d’Austerlitz, Iéna, Friedland, Wagram. Alors, pourquoi pas, comme un contrepied à cette idolâtrie surannée et malsaine, une avenue de la Bérézina ou une pièce en souvenir de Waterloo ? Mais il faudrait, pour cela, que l’opinion française ait fait son autocritique vis-à-vis de son « glorieux » passé. Qu’elle croit davantage à son avenir et à la vertu pacificatrice de la construction européenne. Ainsi le mythe napoléonien se déconstruirait de lui-même. Et Waterloo apparaitrait sous des auspices moins sombres. A l’évidence, nous sommes encore loin de ce changement paradigmatique.

 

Jacques LUCCHESI 


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8 réactions à cet article    


  • Daniel Roux Daniel Roux 27 mars 2015 10:58

    Refaire l’histoire est une tentation facile proche du délire de puissance.

    L’auteur évoque à juste titre Napoléon empereur conquérant et les millions de morts qui lui sont imputables mais il n’est pas sérieux de le lier à l’accession de Hitler au pouvoir par des liens de causalités qui n’en sont pas.

    La Révolution française, puis celles de 1830 et 1848 ont eu une grande influence sur la cartographie des royaumes européens, sur l’évolution des mentalités des peuples, sur les rapports entre les peuples et les monarques. L’auteur pourrait tout aussi bien prétendre que les français sont responsables de l’avènement d’Hitler.

    Ce serait oublié bien vite la genèse : L’entrée en guerre de la Prusse aux côtés de l’Autriche le 6 juillet 1792 oblige l’Assemblée Législative à contourner le veto royal en proclamant, le 11 juillet, la patrie en danger et en demandant à tous les volontaires d’affluer vers Paris.

    Quelques précisions : La Bérézina, bataille meurtrière, n’est pas la défaite décrite par les livres d’histoire.

    http://fr.wiktionary.org/wiki/B%C3%A9r%C3%A9zina

    Waterloo, puisque c’est de cette bataille qu’il s’agit, montre à quel point il est dangereux pour une nation de permettre à un homme, quel qu’il soit, de rassembler tous les pouvoirs entre ses mains.

    En France, sur ce point, rien n’a vraiment changé.


    • Jean J. MOUROT Jean J. MOUROT 27 mars 2015 17:24

      @Daniel Roux
       « il n’est pas sérieux de le lier à l’accession de Hitler au pouvoir »
      Le raccourci est osé mais il est vrai que Napoléon Bonaparte est allé à l’encontre de toutes les politiques européennes précédentes qui, depuis Richelieu, visaient à empêcher l’unité allemande.

      Quant à la Bérézina, si elle ne fut pas à proprement parler une défaite, elle le fut pour les pontonniers d’Eblé et pour tous ceux qui se sont fait tuer pour protéger la retraite de la « Grande Armée ».

      En fin de compte la gloire de l’Empereur a coûté bien cher à la France !

      PS/ J’aime le rappel des livres d’Erckmann-Chatrian, rédigés après enquête auprès des survivants. Les méfaits du 1er Empire trouvent une illustration dans « le conscrit de 1813 », « Waterloo », « l’histoire d’un paysan », « l’histoire d’un homme du peuple », etc. Ces auteurs, qui ne cachaient pas leur sympathie pour Danton, se voulaient propagandistes de la 3ème république qu’ils voyaient comme une continuatrice de la 1ère. Ils ont aussi écrit contre Napoléon III (Histoire du plébiscite", par ex.)


    • totor101 totor101 27 mars 2015 12:32

      Si l’on se met à célébrer toutes les « victoires » de nos pays européens on célébrera autant de défaites.
      Pour l’instant le résultat le plus probant de l’union européenne c’est la paix ! ! !
       Alors ne la cassons pas avec des célébrations d’autres ages .......


      • Jean d'Hôtaux Jean d’Hôtaux 27 mars 2015 14:46

        L’enseignement de l’Histoire dans les écoles de chaque pays a toujours été un moyen de formatage des petites têtes blondes. Revisiter l’Histoire à travers le prisme national est une exaltation du chauvinisme national. Les écrivains ne s’en sont pas privés au cours des siècles et même encore récemment en France, en référence à Malraux ...


        L’auteur relève ici avec pertinence le décalage entre le mythe et la réalité, les visions totalement différentes d’un événement tel que le Bataille de Waterloo, selon que l’on soit Français, Belge, Britannique ou autre. Revisiter l’histoire relève presque du blasphème pour certains ...

        Aujourd’hui la France officielle condamne, à juste titre, le massacre des Arméniens sous l’Empire Ottoman en fâchant le régime turc de Recep Tayyip Erdogan, mais s’offusque des critiques à l’encontre « de la gloire du Premier Empire », des méfaits de Napoléon et de la commémoration de la défaite de Waterloo.
        Dans la même veine, que penser de la prochaine commémoration par la France de la victoire de François 1er à la Bataille de Marignan, 500 ans cette année ? 
        On commémore les victoires, mais silence radio sur ces défaites qu’on ne saurait voir !

        Merci à l’auteur pour son billet, avec une réserve toutefois sur le rapprochement fait entre Napoléon et Hitler ...

        • Phalanx Phalanx 27 mars 2015 14:59

          Vous, comme nos dirigeants politiques et une grande partie de notre population, n’avez rien compris à l’histoire. 

          Depuis que nous nous vautrons dans le confort matériel nous pensons que cela durera pour l’éternité.

          Contrarement à vous, l’Histoire ne vous a pas oublié et trés bientôt, elle viendra se rappeler à votre bon souvenir. 

          Ce jour là, vous prierez pour un Napoléon.

          • soi même 27 mars 2015 15:02

            Bof , il faut bien faire monté les nationalistes aux créneaux, une preuve de plus que UE est du vent, au faite y a t’ il eu des Français qui se son insurgés au sujet de cette gare anglaise qui porte la plus grande défaite Française , non, c’est que le Nationalisme est une peste, il serait temps qu’elle aille se faire vacciné ....


            • Elliot Elliot 28 mars 2015 23:16

              Frapper monnaie pour commémorer la défaite de l’empereur à Waterloo est une initiative qui ne pouvait germer que dans le cerveau embrumé d’un belgicain, vous savez cet énergumène qui s’obstine à donner corps à une fiction d’état.

              On peut se demander dans quelle mesure ce n’est pas un acte de soumission appuyée à la majorité flamande dont dépend en fait l’avenir de cette création de l’histoire et de l’Angleterre qui a été chercher au fin fond de l’Allemagne un parent de la couronne d’Angleterre, un Saxe-Coburg-Gotha pour lui donner un royaume dont la seule utilité était de soustraire à la France des régions qui s’étaient ralliées par parenté linguistique et idéologique à la révolution française.

              Il n’est d’ailleurs pas anodin qu’une telle idée - offensante pour les Francophiles - ait pu obtenir l’appui d’un bourgmestre issu d’un parti qui a fait de la collaboration avec l’impérialisme flamand - vorace et volontiers méprisant pour ces parasites que sont censés être les locuteurs français de Belgique - l’alpha et l’omega de sa raison d’être.

              Lequel bourgmestre est d’ailleurs aujourd’hui poursuivi par la Justice de son pays pour toutes une série d’indélicatesses où la cupidité le dispute au cynisme, une information qui n’a rien à voir mais donne un éclairage sur le personnage.

              Les Francophones de Belgique devraient se sentir insultés par cette sotte poussée d’urticaire belgicain qui croit sauver un pays qui insupporte la Flandre en donnant des gages aussi ridicules que de fêter avec l’émission d’une monnaie l’issue d’un conflit qui a accouché d’un pays dont on a travesti l’histoire aux seules fins de lui donner une légitimité historique introuvable pour tout historien sérieux.

              Entendons-nous, il n’y a rien de choquant à ce que certains se mobilisent pour rejouer une séquence de l’histoire à l’occasion du bicentenaire de cette bataille qui fut aussi une défaite de la France et de la francophonie et qui a redessiné les frontières de l’Europe.
              Ce Kriegspiel en décors naturels et en uniformes d’époque a un côté folklorique et démontre la prégnance de la saga napoléonienne dans l’inconscient collectif, ce qui est au demeurant assez sympathique pour tous les francophiles mais on se serait bien passé d’une monnaie commémorative.

               

               


              • Pale Rider Pale Rider 18 juin 2015 15:49

                Je viens de découvrir votre bel article. Je pense que celui-ci devrait vous faire plaisir :
                http://www.agoravox.fr/actualites/citoyennete/article/beethoven-contre-napoleon-168662
                Amitiés républicaines
                Pale Rider

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