La Commission européenne : une oligarchie* autocratique**
* Oligarchie : groupe restreint de personnes détenant le pouvoir.
** Autocratie : pouvoir politique sans contrôle ni partage, qui trouve en lui-même sa propre légitimité.
Imaginons un gouvernement supranational…
- formé d’une trentaine de ministres nommés par autant de pays à l’issue de tractations opaques
- seul habilité à présenter de nouvelles lois
- n’acceptant de directives de personne et n’ayant à répondre de ses décisions à personne
- ayant remplacé la légitimité démocratique et la souveraineté des nations par un nébuleux « intérêt général » qu’il définit lui-même à huis-clos
- dont le secret des délibérations est assuré par la menace de lourdes sanctions, notamment pécuniaires,
- décidant collégialement, donc sans vraie responsabilité, du destin de centaines de millions d’individus,
...en émettant des « propositions » soumises à des organes réputés décisionnels, mais au pouvoir effectif très limité…
… et bien ce serait, au sens strict des deux termes, une oligarchie autocratique.
Or, cette oligarchie autocratique existe : c'est la Commission européenne !
Et ceci n’est pas de la propagande d’eurosceptique. Tout est explicitement stipulé dès la première mouture du Traité de Rome, en 1957, ou en découle inexorablement.
Ce qui n’était pas prévu, en revanche, c’est que la politique de la Commission exclue de l’ « intérêt général » des dizaines de millions d’Européens, nouveaux pauvres, chômeurs, working poors, retraités…
Le diable se cache dans les détails. Les exorbitantes prérogatives de la Commission européenne ne dérogent pas à la règle. Elles sont presque tout entières contenues dans l' « insoupçonnable » alinéa 2 de l'article 157, du Traité de Rome, dès sa version originale de 1957[1] :
« Les membres de la Commission exercent leurs fonctions en pleine indépendance, dans l'intérêt général de la Communauté.
« Dans l'accomplissement de leurs devoirs, ils ne sollicitent ni n'acceptent d'instructions d'aucun gouvernement ni d'aucun organisme.
« Chaque État membre s'engage à respecter ce caractère et à ne pas chercher à influencer les membres de la Commission dans l'exécution de leur tâche. »[2]
Alors qu’il n’est encore question que de Communauté économique, un mur est édifié entre la Commission et le « reste du monde » : elle est coupée des gouvernements nationaux et des peuples encore réputés souverains. On peut donc parler de volonté originelle de construire l’Europe envers et, au besoin, contre les peuples qui la composent.
Une seule disposition importante est absente de ce fameux alinéa : le secret des délibérations. Il est discrètement stipulé par l’article 9 du règlement intérieur de la Commission : "Les réunions de la Commission ne sont pas publiques. Les débats sont confidentiels."[3] La sanction des contrevenances, elle, complète l’alinéa 2 de l’art. 157, en prévoyant la démission d’office pour les commissaires en fonction et, pour les anciens commissaires, « la déchéance du droit à pension de l'intéressé ou d'autres avantages en tenant lieu. »
Exit les souverainetés nationales
Pour le Français Michel Barnier, commissaire au Marché intérieur et aux Services, ce système n’est sans doute pas parfait, mais c’est lui qui assure une gouvernance optimale à l’U.E. :
- Nous faisons des propositions, avec le collège dont je fais partie, qui généralement se trouvent, grâce à la collégialité, pas très loin..., le plus près possible du centre de gravité de l'intérêt général européen[4].
De son côté, la Luxembourgeoise Viviane Reding, vice-présidente de la commission, est venue en personne, le 15 octobre 2012, expliquer à des députés et sénateurs français, au silence consentant, que l’époque des souverainetés nationales est révolue :
- Il faut lentement mais sûrement comprendre qu'il n'y a plus de politiques intérieures nationales. Il n’y a plus que des politiques européennes partagées dans une souveraineté commune[5].
Souveraineté commune dont la Commission est la garante, puisque elle seule du fait de son « étanchéité » et de sa taille groupusculaire, peut aboutir à un consensus indépendant des Etats, des partis politiques et des peuples.
Les gouvernements eux-mêmes sont instamment priés de ne pas interférer dans la politique menée par les dirigeants de l’U.E. Le Luxembourgeois Jean-Claude Juncker, ancien président de l’Eurozone et candidat à la succession du Portugais José Manuel Barroso, à des idées très nettes à ce sujet :
- Il ne faut pas poursuivre des politiques erronées simplement parce qu'on a peur de n’être pas réélu. Ceux qui ont l'intention de gouverner doivent en assumer la responsabilité pour leur pays et pour l'Europe dans son ensemble. Cela signifie que, le cas échéant, ils doivent poursuivre les bonnes politiques, même si de nombreux électeurs pensent qu'elles sont mauvaises[6].
La légitime confiscation de la démocratie
La confiscation de la démocratie paraît normale, légitime, aux yeux des observateurs bien disposés à l’égard de l’U.E. C’est le cas de Jacques Pilet, un journaliste suisse inconditionnel de l’adhésion de son pays. Dans une recension d’un livre de Luuk van Middelaar, « plume » d’Hermann van Rompuy, "Le passage à l'Europe - Histoire d'un commencement" (Ed. Gallimard), il explique[7] :
« …il y a bien sûr, les institutions communautaires, la Commission, le Parlement, la Cour de Justice - institutions qui ne sont d'ailleurs pas très populaires dans l'opinion publique, ça il faut bien l'admettre -, mais il y a surtout le consensus des nations. Si les (ministres[8]) ne se mettent pas d'accord, et bien rien ne se passe, et ils finissent par se mettre d'accord. » souvent sous l’aiguillon de « la nécessité qu'impose la pression des événements ».
Autrement dit, du moment que les ministres du Conseil de l’Union européenne sont parvenus au consensus « au plus près du centre de gravité de l’intérêt général européen », quelque chose « se passe », donc il n’y a plus rien à remettre en cause.
Les Français l’ont appris à leurs dépens avec le hold-up parlementaire consécutif à leur rejet du Traité établissant une constitution pour l’Europe. Et c’est en vertu de la même logique que les pouvoirs du parlement, même élargis comme on nous le répète à satiété, sont contenus à l’intérieur des limites au-delà desquelles « rien ne se passe ».
Nous en avons eu un exemple avec le projet de budget pluriannuel 2014-2020, rejeté en février 2013 par les quatre principaux chefs de groupe du parlement[9], puis accepté après quelques retouches cosmétiques, en novembre, au grand dam de l’Allemand Daniel Cohn-Bendit : « Vous êtes tous contre ce budget pluriannuel, vous dites tous qu'il est mauvais, mais vous allez tous le voter. Vous êtes ridicules ![10] »
Le 19 mars, le président du parlement, l'Allemand Martin Schulz parlait d' « énorme succès[11] », à propos du vote sur l'Union bancaire, alors que là aussi le parlement avait dû se contenter de miettes de concession en obtenant que l’accord soit pleinement opérationnel, non dans trois ans comme il le demandait, mais dans huit ans au lieu de dix.
Par ailleurs, le parlement est, naturellement, tenu à l'écart des tractations engagées autour du traité de libre-échange transatlantique (TAFTA), comme il ignore tout du traité de libre-échange avec le Canada, dont l'accord de principe a été signé… il y a six mois, par José-Manuel Barroso et Stephen Harper, premier ministre canadien[12].
Le camouflet de l’OGM 1507
Mais c'est avec le vote sur l'OGM 1507, un maïs de Pionneer, que l’impuissance du Parlement a été étalée à la face du public, comme jamais auparavant. Son utilisation en Europe a été autorisée, en toute légalité[13], par la Commission, alors que le Parlement, en symbiose avec les opinions publiques, avait voté son interdiction, le 14 janvier 2014, par 385 voix contre 201, et 35 abstentions[14].
Alors, demandera-t-on, dans de telles conditions, pourquoi aller voter le 25 mai ? Et bien parce que le vote eurosceptique est une occasion unique, ne s’offrant que tous les cinq ans, d’ouvrir une brèche dans un système qui serait rejeté par 90 % des votants, s’il était soumis à référendum. S’abstenir, c’est mêler son inertie à celle des 80 % de Slovaques et de Lituaniens, qui ne se déplaceront pas, tout en étant résolument acquis à l’U.E. … et à ses fonds structurels.
Dans ce contexte, prôner l’abstention est irresponsable. Ce n’est pas l’abstention qui gêne les européistes, c’est l’expression de la volonté populaire, lorsqu’elle ne va pas dans leur sens. Jean-Claude Juncker, nous l’avons cité, recommande de n’en pas tenir compte. En visite en Grande-Bretagne, la vice-présidente Reding, déclare que les Britanniques ne sont pas aptes à prendre une « décision éclairée » quant à leur appartenance à l’U.E.[15]
De passage en Suisse, le président allemand Joachim Gauck fera une remarque similaire à propos du vote des Suisses contre l’immigration de masse : « la politique et les grandes initiatives ne sont pas toujours faites par ceux qui sont les mieux informés. »[16] Lorsqu’on a une aussi piètre opinion des peuples, on ne considère pas les abstentionnistes comme des indignés ou des mécontents, mais comme des caractériels ne comprenant rien aux « bonnes politiques », donc incapables d’opérer un choix « éclairé ».
Il ne faut pas croire Emmanuel Todd, qui écrit qu’au-dessus d’un « certain niveau », « le taux d’abstention vaudra référendum. » et qu’alors le « ridicule tuera l’idéologie. »[17] Ce n’est pas l’universitaire qui s’exprime ici, c’est l’homme d’illusions, celui qui en mars 2012 pariait sur un « hollandisme révolutionnaire »[18], et qui le 27 avril suivant annonçait à Florian Philippot, la fin imminente du Front national : « Dans dix jours, on ne parlera plus de vous … »[19] Un bien piètre prophète, donc
P.S. – Le 27 février « La Repubblica », quotidien romain, a publié un appel antipopuliste du sociologue allemand Ulrich Beck « Votate Europa »[20], cosigné par d’éminentes personnalités, Zygmunt Bauman, Angelo Bolaffi, Jürgen Habermas , Lars Gustaffson, Edgar Morin, Adolf Muschg, Volker Schlöndorff, Michel Wievorka…
On y lit que les « partis antieuropéens et leurs candidats veulent être élus démocratiquement pour miner la démocratie en Europe. »
Comme quoi même en face d’esprits réputés brillants, il peut suffire de « donner l’impression de » pour convaincre… C’est troublant.
[1] Dans la version actuelle, il s’agit de l’alinéa 2 (texte inchangé) de l’article 213.
[6] http://www.spiegel.de/international/europe/spiegel-interview-with-luxembourg-prime-minister-juncker-a-888021.html
[8] Le journaliste parle, lui, des « chefs de gouvernement », commettant l’erreur assez fréquente de confondre le Conseil européen (réunion bi- ou trisannuelle des chefs de gouvernements et des premiers ministres), avec le Conseil de l’Union européenne, qui réunit les ministres par domaine de compétence (agriculture, santé, justice, transports, etc., etc.)
[9] Le Français Joseph Daul (PPE, conservateurs), l'Autrichien Hannes Swoboda (PSE, socialistes), le Belge Guy Verhofstadt (libéraux) et l'Allemand Daniel Cohn-Bendit (verts).
[11] http://www.lunion.presse.fr/economie/union-bancaire-accord-europeen-au-terme-d-une-ia0b0n318734
[13] http://www.liberation.fr/terre/2014/02/11/comment-l-europe-a-autorise-le-mais-ogm-tc1507_979461
[14] http://www.7sur7.be/7s7/fr/2765/Environnement/article/detail/1775413/2014/01/16/L-Europe-demande-d-interdire-la-culture-du-mais-TC1507.dhtml
[15] http://www.dailymail.co.uk/news/article-2556397/Britons-ignorant-EU-referendum-Top-official-says-debate-Europe-distorted-people-not-make-informed-decision.html#ixzz2t9M6DTNn
[16] Télévision suisse romande – Téléjournal de 19 :30 du 2 avril 2014
[17] Marianne N° 876 - Semaine du 31.1 au 6.2.2014 - Page 16
[18] http://tempsreel.nouvelobs.com/election-presidentielle-2012/20120304.OBS2872/emmanuel-todd-je-parie-sur-l-hollandisme-revolutionnaire.html
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