La Commission Indépendante sur les Abus Sexuels dans l’Eglise - Une mystification
En tranchant le 12 mars 2019 que les « abus sexuels commis par des prêtres sur des mineurs » étaient principalement imputables à la « révolution de 1968 » qui célébra une « liberté sexuelle totale qui ne tolérait plus aucune norme » et contribua ainsi à une « perte du sens de Dieu », le pape émérite Benoît XVI posa un diagnostic adroit mais erroné. En prononçant le 18 novembre 2018 à propos du même sujet : « Il n’y a pas d’échelle dans le crime », et en ajoutant que « ce crime engendre une souffrance qui ne diminue jamais dans la vie » la présidente de la Conférence des religieux et religieuses de France, sœur Véronique Margron, émit des propos ahurissants que même les féministes les plus virulentes et la presse la plus outrancière ne proférèrent jamais ! C’est sur le fondement de telles aberrations, sur lesquelles je vais revenir, que fut créée le 20 novembre 2018 la Commission Indépendance sur les Abus Sexuels dans l’Eglise (CIASE), dont la présidence fut confiée à Monsieur Jean-Marc Sauvé.
Singulière manipulation de l’histoire de l’Eglise
Faire croire que l’Eglise connut, dans les années 1970-1980, une inflation du nombre d’abus sexuels commis sur des mineurs par des prêtres, alors que leur conduite à d’autres époques aurait été, si ce n’est exemplaire, tout du moins plus morale, c’est insulter l’histoire. C’est aussi se défausser habilement sur la frange progressiste du clergé.
Car depuis ses origines, à tout le moins davantage hier qu’aujourd’hui, l’Eglise connut, au sein de toutes ses institutions ouvertes aux jeunes garçons, des « traditions d'initiation qui associaient petits et grands » (Philippe Ariès, Histoire de la vie privée, p. 163). Comme elles n’étaient pas illégales (sauf en cas de sodomie), et comme elles étaient considérées préférables au « commerce » avec les femmes, elles furent toujours traitées avec indulgence. D’ailleurs seuls quelques chroniqueurs irrévérencieux et quelques protestants vindicatifs firent allusion à ces « débauches contre-nature » entre clercs et adolescents. Parmi eux Voltaire et Luther.
En accréditant par ailleurs l’idée que les abus dénoncés ne pouvaient qu’être imputables à des prêtres contaminés par la « révolution de 1968 », Benoît XVI se fourvoya. J’en veux pour preuve que les « affaires » les plus importantes et les plus graves, principalement au Canada, en Australie ou en Irlande, celles qui se traduisirent par des déportations et par des violences physiques, psychologiques et sexuelles massives infligées par des ordres religieux sur des enfants et des adolescents, se produisirent dès le début du XXème siècle, en tous cas avant 1968. C’est d’ailleurs après la « révolution » qu’elles furent dénoncées.
Enfin tout prouve que, depuis cette époque, ce furent les prêtres les plus fermement attachés à la tradition, appartenant pour l’essentiel au scoutisme rigoureux, aux manécanteries, aux communautés religieuses et aux établissements scolaires parmi les plus stricts, supposés les plus réfractaires à toute permissivité morale, qui furent dénoncés par les médias et condamnés par les tribunaux ! Surprenant ? Que non ! La pédérastie qui puise sa source dans la Spartes antique n’est-elle pas plus attachée à l’ordre et à discipline qu’au désordre et au dérèglement ?
Un juste combat mérite-t-il autant d’outrances ?
Venons-en à sœur Véronique, un des deux mandants de la Commission (l’autre étant le président de la Conférence des évêques de France), une personne certainement estimable et cultivée, et à la double contre-vérité qu’elle proféra à plusieurs reprises. Elle devrait savoir qu’en droit français l’utilisation du mot « crime » est réservée aux infractions les plus graves, celles qui relèvent d’une cour d’assises. Or 90% des abus sexuels sur mineurs imputés à des prêtres furent qualifiés de « délits » et jugés comme tels. Fort heureusement il existe en France une échelle des infractions et une échelle des peines. Quant aux propos de cette religieuse sur la souffrance des victimes qui « ne diminue jamais », ils sont intolérables et insultants pour celles-ci, puisqu’elle leur prédit un avenir tout tracé de tourments sans fin. Pour elle, ni espoir de rebond, ni ouverture à la résilience !
Comme pour montrer qu’il avait bien compris le message de sa mandante, Jean-Marc Sauvé, pourtant ancien vice-président du Conseil d’Etat, embraya dans le registre de l’hyperbole juridique en déclarant le 14 juin 2019 au Républicain Lorrain que les « abus sexuels » commis par des prêtres représentaient « le mal absolu ». Une expression vraisemblablement empruntée à l’ancien déporté et philosophe juif Vladimir Jankélévitch pour désigner l’holocauste, puisque je ne l’ai lue nulle part ailleurs ! Sous l’impulsion d’un président ainsi convaincu, les travaux de la Commission furent aménagés en conséquence : aucune distinction en fonction des actes, des fautes, des responsabilités, des situations et des âges ; et pas davantage de dissociation entre la gravité objective d’une faute et la culpabilité subjective de son auteur, qui ne se mesure pas seulement aux dommages qu’il a provoqués.
Les impasses de la Commission
La création de la CIASE, opérationnelle depuis mars 2019, qui m’auditionna fort courtoisement le 6 septembre 2019, s’explique certainement par le désir sincère de l’Eglise de France de faire « la lumière sur les abus sexuels commis sur mineurs et personnes vulnérables » par des prêtres. Mais elle consacra l’essentiel de ses efforts à susciter et à entendre des appels de victimes supposées ou réelles. Aussi compréhensible et utile que soit cette démarche, elle souffre d’un biais qui ne peut que ruiner les conclusions que la Commission en tirera en son temps.
En effet elle écarta jusqu’à présent de son champ d’investigation à la fois la grande majorité des mineurs qui, ayant subi ou partagé des gestes de nature sexuelle avec des prêtres, ne s’en plaignirent pas, ou les apprécièrent. Une publication de novembre 2019 de la revue canadienne Social Psychiatry and Psychiatric Epidemiology, réalisée à partir d’un échantillon de 17 014 adultes dont 651 avaient subis un abus sexuel dans leur enfance, établit que les deux-tiers de ces derniers (65%) se considéraient indemnes de toutes séquelles, alors que leur comportement psychologique et social était demeuré très satisfaisant. La mission confiée à la CIASE devrait s’inspirer de cette publication pour procéder comme la Commission to Inquire into Child Abuse d’Irlande, qui approcha systématiquement les prêtres vivants auteurs d’abus sexuels sur mineurs. Toute recherche honnête de la vérité dans un domaine tel que celui-ci suppose en effet qu’on instruise à charge et à décharge, qu’on écoute donc tous les protagonistes d’une affaire, comme dans une instruction judiciaire. Peut-être même pourrait-on s’interroger sur les raisons de l’attirance séculaire des clercs pour les garçons !
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La collecte acharnée et fort médiatisée de témoignages d’abus sexuels commis par des prêtres français depuis soixante-dix ans par une cellule mise en place par la Commission, véritable appel à la délation, aggravera sans l’ombre d’un doute l’opprobre dont l’Eglise souffre déjà, et la souffrance de tous ses fidèles, au premier rang desquels ses prêtres et ses séminaristes. Elle fournira d’autant moins une contribution utile à un débat portant sur un sujet important qui aurait mérité d’être traité avec délicatesse et précision, que le grand public ne disposera d’aucun moyen de comparer les résultats obtenus à ceux qui auraient pu être l’être d’enquêtes similaires ciblant d’autres institutions publiques, privées ou religieuses. L’Eglise de France sortira à l’évidence plus fragilisée qu’elle ne l’est aujourd’hui. Il est temps qu’elle se ressaisisse. Elle est certes pleinement dans le monde, mais elle n’est pas de ce monde. Je ne vois pas pourquoi, servilement, elle flatterait ses ennemis, qui ne lui seront jamais gré de cette marque de soumission. Elle ferait mieux de se tenir à l’écart, d’agir ad majorem Dei gloriam (pour la plus grande gloire de Dieu) et de mettre en adéquation la conduite sexuelle de ses prêtres et sa morale sexuelle.
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