La création d’une garde nationale : nouvelle chimère gouvernementale
C'est la dernière lubie, ou farce-et-attrape présidentielle : la mise sur pied d'une garde nationale.
Avec Hollande tout est simple. Après l'inversion de la courbe du chômage grâce au pacte de responsabilité, après le "ça va mieux (même si vous ne vous en rendez pas compte)", le voilà qui nous sort de sa mémorable boite à outil la garde nationale qui devrait nous préserver des méchants terroristes dont il a toujours du mal à nous dire qu'ils sont islamistes. Mais après tout c'est normal, inutile de s'embrouiller dans des explications laborieuses quand on pense, même si ce n'est pas vrai c'est l'impression qu'il donne, qu'on a en face de soi une bande de demeurés avides de paroles simples et rassurantes. L'homme est un redoutable optimiste, ou à côté de ses pompes, à chacun de juger, puisque selon lui cette garde nationale est déjà en train de se constituer. En fait elle existe déjà dans sa tête puisqu'il existe des réservistes en nombre, même si celui-ci reste en deçà des objectifs, mais à quoi bon se noyer dans les détails. Appelons donc ces réservistes gardes-nationaux et le tour est joué : la garde nationale existe ! Tout est simple avec Neuneu qui confond communication et action.
Reste que cependant l'idée n'est peut-être pas à rejeter d'emblée, même si en l'état actuel des choses il faut se garder de l'optimisme présidentiel. Elle mérite d'être étudiée et critiquée tout en gardant à l'esprit que le chemin sera long pour parvenir à mettre sur pied une garde nationale digne de ce nom, à savoir opérationnelle et dans le cadre de missions clairement identifiées.
Avant toute chose et juste pour souligner les effets de communication qu'on tente de nous infliger, il est assez remarquable d'entendre parler de garde nationale tandis que la défense ne l'est plus très officiellement depuis belle lurette, en fait 1974. Le retour en faveur de la nation dans la bouche de ceux qui l'ont souvent moquée ou méprisée ne manque pas d'un certain piquant. Ceux-là même qui il y a peu parlaient "franchouillardise", "France rance", "repli sur soi", …, n'ont plus que ce mot de nation comme rempart à l'examen de leurs éventuelles insuffisances. Et donc voilà venue l'idée d'une garde nationale qui devrait nous éviter de nouveaux attentats terroristes par on ne sait quel miracle. On m'objectera que l'adjectif républicain(e) est déjà pris, que garde tout court, ça fait un peu Premier Empire, que milice, même populaire, ça ne le fait pas, et que puisque une garde nationale existe aux Etats-Unis ça doit être quelque chose de bien.
Mais si c'est ce modèle de garde nationale américaine qu'on veut viser, s'il ne s'agit pas juste d'utiliser une analogie de mots, on peut dire qu'on en est loin, et même bien loin. Et cela dans tous les domaines, organisation, missions, moyens.
Sans entrer dans les détails la garde nationale américaine constitue une véritable force armée qui n'est pas juste un supplément à l'armée d'active, en fait un réservoir d'effectifs, et qui dispose de son organisation propre, de son commandement, et de ses moyens. Or, à ce qu'il me semble, la grande préoccupation du moment n'est pas tant de penser à la mise sur pied d'une structure avec en toile de fond la refondation d'un système global de sécurité avec de nouveaux équilibres, que de soulager les policiers, gendarmes et militaires qui sont sur le qui-vive depuis plus de 18 mois. Et dans ce cadre, inutile de créer une garde nationale, il s'agit d'optimiser la réserve opérationnelle de niveau 1 telle qu'elle existe, ce qui est déjà un challenge de taille, ne serait-ce que pour atteindre les effectifs fixés en objectif, soit 80000 (armées et gendarmerie) alors que les chiffres peinent à atteindre les 50000 et que le recrutement de réservistes est en régression depuis quelques années. Bien sûr le grand sorcier Hollande a sorti de son chapeau la réserve opérationnelle de niveau 2, celle dont sans doute pas mal des lecteurs de ce billet ont, peut-être sans le savoir, fait partie un jour s'ils ont fait leur service militaire, et qui regroupe les anciens militaires ayant quitté le service actif depuis moins de 5 ans. Le chiffre est significatif puisqu'il est d'environ 110000 pour les armées, mais ce n'est qu'un chiffre. Aucun personnel de cette réserve n'a été rappelé depuis la guerre d'Algérie, aucune contrainte autre que celle de répondre à une convocation dont personne ne croit qu'elle adviendra n'existe pour les membres de cette réserve qui ne sont ni affectés, ni soumis à aucun entrainement et dont on ne vérifie même pas l'aptitude physique pendant ces 5 ans. Quant à la réserve dite de niveau 1, compte tenu d'un temps réel d'activité de 24 jours en moyenne par individu, un rapide calcul vous révèle que ce sont environ 2000 réservistes qui sont actifs en permanence. La garde nationale hollandaise, c'est donc en l'état actuel des choses, tandis que nous sommes en état d'urgence, 2000 réservistes. Donc peanuts.
Or, pour être un peu sérieux, et sortir du blabla, il faudrait sans doute monter au moins à 10000 et sans doute plus, ne serait-ce que pour relever les militaires qui se consacrent à l'opération sentinelle. Outre le fait que ces 10000 militaires ne se consacrent plus aux réelles missions qui sont les leurs, on peut se poser la question du déploiement de l'armée sur le territoire national au moins tant qu'on n'est pas passé en état de siège. L'armée effectuant des opérations de police ça me parait très malsain et d'ailleurs les militaires, en général, n'aiment pas du tout cela car sortant du cadre de leurs missions.
Or, rien que ce chiffre minimum de 10000 réservistes en service actif en permanence pendant l'état d'urgence n'est pas atteignable actuellement, même avec le réservoir actuel de 50000 membres de la réserve opérationnelle qu'on a vraiment du mal à dépasser. Il n'est pas atteignable parce que quelle que soit la motivation qui est réelle de ces réservistes, il n'est pas facile pour eux de consacrer du temps à des périodes militaires. Pour ne pas sacrifier leur carrière professionnelle et parce que les chefs d'entreprise ne sont pas tenus de leur accorder de congés au-delà de 5 jours pour y participer, c'est souvent leurs week-end et vacances que les réservistes sacrifient pour effectuer leurs périodes. Il n'est pas atteignable parce que les moyens budgétaires pour rétribuer et équiper de façon digne les réservistes ne sont pas là. Et il ne semble que ni à ce niveau des efforts réels soient réalisés, ni qu'un changement des règles contraignant pour les entreprises soit envisagé. Et tant qu'il en sera ainsi nous en resterons à un niveau minable tandis que le discours présidentiel sur le sujet de la garde nationale ne sera que de l'esbroufe.
Mais passons à un autre niveau. Imaginons, faisons le rêve, que ce gouvernement va consacrer des moyens substantiels au recrutement, à l'équipement, à la formation, à l'entrainement et à la rétribution de citoyens volontaires pour protéger leur pays et aider leurs concitoyens. Imaginons que simultanément une équipe de penseurs de haut niveau redéfinira le système de sécurité intérieure pour y intégrer une garde nationale puissante, en décrivant les grands équilibres entre les forces de police, de la gendarmerie, les militaires, et ce réservoir de citoyens qui nous rappellera qu'il fut une époque, de Valmy à la suspension du service national, la défense de la nation était considérée comme l'affaire de tous. Je sais, c'est dur de s'imaginer tout ça, mais faisons cet effort.
Retrouverions-nous alors cet esprit qui fut celui qui présida pendant deux siècles et qui voulait que la défense de la nation ne soit pas l'affaire de quelques professionnels auxquels on aurait délégué cette charge, mais des citoyens. Un peu comme cela était ou aurait dû être, si le service national sous sa forme militaire n'avait pas été dévoyé reproduisant les inégalités sociales de notre pays. Les super-pistonnés exemptés ou se trouvant une forme "sympathique" de service, au soleil si possible, les pistonnés dans un poste peinard près de chez papa et maman, et tous les autres usant leurs rangers et portant le sac à dos loin de chez eux. Tout cela évidemment au mépris des besoins en termes de ressources humaines des armées bien démunies devant ces politicailleries. Et puis de toute façon grâce à Mitterrand qui décida à l'occasion de la guerre du Golfe puis des conflits dans les Balkans de ne pas employer le contingent, nous apprîmes que le service national sous sa forme militaire ne servait plus à rien, que seuls des volontaires et rétribués pour cela disposeraient du privilège de risquer leur peau pour leur pays et ses intérêts tels que définis par ses gouvernants. En fait le véritable fossoyeur du service militaire fut Mitterrand et non Chirac qui n'avait plus qu'à prononcer la nécessaire réforme des armées par leur professionnalisation.
Evidemment tout cela se passa, aussi bizarre que ça puisse paraitre, et même choquant, sans remous. Les Français voyaient disparaitre la conscription, le principe de la nation en armes, avec une émotion semblable à celle que doivent éprouver les vaches en train de regarder passer un train. A la même époque une tentative de réforme des régimes spéciaux de retraite occasionnait un changement de majorité à l'Assemblée Nationale. On comprend où étaient passées les priorités. Donc globalement tout le monde s'en foutait et à plus forte raison que l'éclatement de l'URSS nous garantissait une paix éternelle, "la fin de l'histoire" disaient certains. Les potentiels futurs appelés étaient contents. Les militaires se disaient qu'après tout ils allaient pouvoir enfin remplir leurs missions en arrêtant de bricoler avec leurs effectifs. En plus on leur avait promis qu'on allait veiller à leur donner les moyens de leurs missions. Des pros, c'est des pros ! Ils ne furent pas déçus : la première loi de programmation militaire de la professionnalisation, celle sur laquelle on aurait dû mettre le paquet pour cause de montée en puissance était amputée de 20% des crédits sur sa durée, soit une année sur les cinq. C'était Jospin le premier ministre. Et à l'aube des années 2000, plus de la moitié de ce qui roulait ou volait était indisponible à cause principalement de pièces manquantes. Un grand succès qui allait se confirmer ensuite avec des baisses d'effectif en permanence, gelées, ça ne veut pas dire interrompues, en cette période de terrorisme. Tout ça encore sous l'œil indifférent des Français il faut dire peu informés et en tout cas peu intéressés. C'est seulement maintenant que certains en viennent à regretter le "bon vieux" service militaire, pas pour des raisons de défense, mais pour ses vertus socialisatrices. L'armée c'était mieux quand elle jouait les rôles de gouvernante ! Evidemment si on demandait à tous ceux qui veulent rétablir le service militaire s'ils seraient d'accord pour que leur fils ou fille, vive la parité, aillent risquer leur peau au Mali ou ailleurs, peu seraient d'accord. L'armée c'est bien pour "dresser" les jeunes, mais faut pas en demander plus à ceux-là. C'est dans ce même esprit que Ségolène Royal envisageait, souvenirs peut-être douloureux de son enfance peut-être, de faire encadrer les primo-délinquants par l'armée quand elle était candidate à la présidentielle.
Et c'est donc à partir de cet esprit de défense développé, hypertrophié, qu'on voudrait mettre sur pied une garde nationale !
Quand j'étais gamin, à l'école primaire, tous les 11 novembre on nous rassemblait pas classe autour du monument aux morts du village. Et nous écoutions en silence avec quelques anciens combattants survivants la liste des morts lors des différents conflits du siècle, chaque nom étant ponctué d'un "mort pour la France". Aujourd'hui, on fait courir des adolescents au milieu des tombes. C'est résolument plus moderne.
De fait c'est assez miraculeux qu'on trouve encore 50000 personnes pour se préparer pendant leurs loisirs plus que sur leur temps de travail à un éventuel conflit. Alors la garde nationale…
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