La démocratie directe en débat : 1. La peur des consultations populaires
Question : la démocratie directe étouffe le bien fondé des opinions basées sur l’intérêt général et portées par des groupes avisés. Pour le nucléaire, par exemple, on sait très bien où est l'intérêt général (ou on en prendra conscience complètement lorsqu'un accident nucléaire nous obligera à abandonner la moitié du territoire européen). Et on sait très bien quelle sera la réponse des consommateurs individualistes dont le confort n'est pas négociable !... Le problème, c’est que les générations futures ne participent pas au scrutin de la Démocratie Directe, ni même les autres espèces vivantes sur la planète.
Réponse : ce raisonnement concernant le nucléaire ressemble à celui souvent entendu à propos de la peine de mort. A savoir que vous êtes persuadés à l’avance de l’avis de 43 millions de personnes consultées directement. Cette posture, très courante chez les militants alternatifs, témoigne de plusieurs convictions que, pour notre part, nous trouvons plutôt inquiétantes.
Tout d’abord vous dites : « on » sait très bien où est l’intérêt général. Mais qui est ce « on » ? Ce « on », c’est probablement vous, au sein d’un groupe d’opinion, certes respectable, mais qui considère détenir la vérité absolue et qui s’autoproclame détenteur d’un « intérêt général », cet intérêt général étant, bien sûr, de nature supérieure au droit ordinaire et devant être imposé de force sans débat populaire. Ce sujet est déjà abondamment débattu dans le chapitre 16 « Populisme et intérêt général ».
Mais nous pourrions ajouter afin de continuer à alimenter cette polémique, que, pour ce qui concerne le domaine spécifique du nucléaire, de très éminents spécialistes de l’énergie, polytechniciens de surcroît, tels Mrs. Jean-Marc Jancovici et Alain Grandjean déjà cités, considèrent, chiffres à l’appui que la conduite de l’industrie nucléaire est moins dangereuse que l’extraction du charbon. Nous sommes d’autant plus à l’aise pour nous exprimer sur ce sujet que nous sommes des opposants résolus à l’industrie nucléaire depuis 1970 et les premières actions de Pierre Fournier contre le projet de centrale de Bugey. Mais, à la différence de vous, nous n’imaginons pas un seul instant de militer pour cette idée autrement que dans le cadre de la démocratie directe. Autrement dit, nous considérons que la totalité des citoyens doit pouvoir se prononcer, après mûrs réflexions et débats, sur la pertinence de cette industrie et que la décision majoritaire qui en sortira devra s’appliquer à tous. Si cette décision devait être la poursuite du nucléaire, nous continuerions néanmoins à travailler pour faire évoluer l’opinion et tenter de provoquer un nouveau vote citoyen abrogatif, comme le système de démocratie directe nous permet de le faire, et comme le système de démocratie représentative, lui, ne nous le permettrait pas.
Deuxièmement, pour parler des individus appelés à se prononcer sur un choix de société, vous ne dites pas « les citoyens », mais vous dites les « consommateurs individualistes », c’est à dire que, encore une fois, vous présupposez une certaine « coloration » de ces électeurs par rapport à vos propres convictions culturelles. Manifestement, lorsque vous traitez le citoyen ordinaire de « consommateur », vous le présupposez défenseur irréductible de la société de consommation que probablement vous, vous dénoncez. Et lorsque vous ajoutez au substantif de consommateur, l’adjectif « individualiste », vous grossissez encore le trait, en laissant clairement apparaître vos convictions anti-libérales.
En résumé, pour vous, le citoyen actuel n’est qu’un individu néolibéral, qui ne pense qu’à consommer, et qui ignore l’intérêt général. Intérêt général dont vous détenez la substance, en exclusivité avec quelques autres !…. Nous dénommons cette posture, tout simplement, « impérialisme des idées ». Le système de démocratie directe considère, lui, que tous les citoyens sont égaux, neutres à priori, libres de leurs idées, responsables de leurs convictions et que l’intérêt général est le produit arithmétique des vœux individuels, exprimés dans le cadre d’un dispositif d’initiative, de débat et de votation, libre, souverain et permanent, excluant toute forme de représentation. Nous insistons sur cette définition très précise de l’intérêt général afin de vous éviter la peine de nous faire le procès du référendum tel qu’il est conçu actuellement, et que nous considérons comme un leurre de démocratie directe.
Vous parlez ensuite des générations futures, et même des animaux. Vous auriez pu également ajouter, pourquoi pas, les insectes et les végétaux. Ce discours vous honore, mais nous craignons qu’il ne se limite à une clause de style d’apparence généreuse, à défaut d’introduire un raisonnement plus développé. Dans l’attente, nous ne voyons pas d’inconvénient à dire que l’intérêt des générations futures est une question qu’il conviendrait de prendre en compte dans les décisions collectives et que ce n’est pas fait, en tout cas actuellement, dans le cadre de la démocratie représentative.
Mais pour ce qui est de l’intérêt des autres espèces vivantes, c’est une question beaucoup plus complexe, touchant à l’écologie profonde (la « deep ecology » comme la dénomme les anglo-saxons) et qui pourrait nous emmener assez loin , en tout cas qui nécessiterait un débat spécifique que nous préférons remettre à plus tard, sans pour autant en refuser le principe.
La notion d’intérêt des générations futures comporte un certain nombre d’éléments subjectifs, mais d’autre sont tout à fait objectifs ou factuels, sans pour autant relever de la fumeuse notion d’intérêt général. En effet :
1°. Dire que toute quantité de ressource naturelle finie, telle des minerais ou de des hydrocarbures (par exemple) qui est prélevée par une génération donnée restera indisponible pour la génération suivante relève avant tout de l’arithmétique, avant que de relever de l’intérêt (général) des générations futures.
2°. Dire que toute quantité d’une ressource renouvelable, telle la forêt amazonienne (par exemple) qui est prélevée au delà de son taux de renouvellement par une génération donnée, obligera la génération suivante à se priver du produit annuel de pousse pendant un certain nombre d’années nécessaires à sa régénération, relève avant tout de la botanique avant que de relever de l’intérêt (général) des générations futures.
3°. Dire que la dégradation des sols en humus par suite de l’utilisation massive des engrais chimiques par une génération donnée obligera la génération suivante à se priver pendant un certain nombre d’années des surfaces correspondantes, relève avant tout de la microbiologie avant que de relever de l’intérêt (général) des générations futures.
Ces trois exemples montrent que la qualification d’intérêt général ne peut être utilisée qu’en parallèle d’une loi physique prouvée. Toute autre utilisation risque d’être sous-tendue par une volonté d’un groupe de pression d’imposer ses convictions en dehors du processus démocratique.
Sur la base de ces trois exemples, que nous pourrions décliner dans d’autres domaines, mais en gardant toujours un principe de rigueur mathématique,nous disons que la démocratie directe est largement plus apte à édicter des règles environnementales tenant compte de l’intérêt des générations futures, et ceci pour deux raisons principales :
- La première raison résulte d’un raisonnement par opposition : la démocratie représentative ne s’étant pas préoccupé le moins du monde de l’intérêt des générations futures, la démocratie directe ne peut faire que mieux.
- La deuxième raison résulte d’une analyse du fondement de la démocratie représentative. Ce fondement est l’exercice unique du pouvoir par les représentants de l’oligarchie économico-financière, celle là même qui a liquidé la monarchie au milieu du dix-huitième siècle. Cette oligarchie fonctionne en cercle fermé, et pour la seule satisfaction immédiate de ses besoins matériels, c’est pourquoi, naturellement, elle se fiche comme d’une guigne de la problématique des générations futures.
La démocratie directe, au contraire, est un pouvoir partagé par tous les citoyens à parts égales. Par des citoyens qui sont aussi des parents et qui, on peut le supposer, pensent plus à la survie de leurs enfants qu’au rendement boursier de leurs valeurs mobilières.
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