La démocratie reste un combat de tous les jours, même en Europe !
Face au monde musulman qui n’accepte pas que l’islam puisse être l’objet de critiques ou de satires, les pays européens doivent rester solidaires et réaffirmer les valeurs de démocratie et de liberté qui fondent leur culture commune. Face aux leçons, menaces et agressions d’États qui ne respectent pas la liberté de la presse, l’Europe doit montrer un front uni. Elle ne s’est pas libérée du joug de l’Église il y a deux cents ans pour se plier aux dogmes de l’islam aujourd’hui.
Il convient, tout d’abord, de garder à l’esprit l’aspect "manipulation" de cette crise internationale, attisée dans un premier temps par des imams danois intégristes (Libération, 03/02/2006) et entretenue dans un second temps par des régimes en difficulté sur la scène internationale, comme la Syrie et l’Iran. Et pour souligner le niveau du débat dans ces pays, il suffit de noter que Hamchahri, le quotidien le plus lu à Téhéran, a proposé un concours de dessins sur l’Holocauste afin de « tester » la tolérance des occidentaux qui invoquent la liberté de la presse pour justifier la reproduction de caricatures du prophète de l’islam (Reuters, 07/02/2006) : on perçoit toute la pertinence de cette analogie entre l’humour sur un personnage religieux, traditionnellement pratiqué dans nos démocraties, et l’humour sur un crime contre l’humanité. L’argument est en effet imparable !
Si l’idée européenne signifie vraiment quelque chose, les Européens doivent s’élever contre les pressions des pays musulmans. L’Europe n’a-t-elle rien appris depuis la fatwa qui a visé Salman Rushdie en 1989 ? Qui se souvient qu’en 1989 également Véronique Sanson a dû retirer sa chanson Allah de ses concerts pour éviter un attentat à suite de menaces islamistes ? Devons-nous attendre qu’un autre Théo Van Gogh soit assassiné sur le sol européen par les fous de Dieu ? Pouvons-nous continuer à accepter qu’Ayaan Hirsi Ali, députée hollandaise, vive cachée et protégée par la police parce qu’elle a écrit un film sur la condition des femmes dans l’islam radical ? Cette crise est l’occasion de prouver que l’Europe est fondée sur des valeurs qu’elle n’est pas prête à brader. Le moment est venu de montrer que l’Union européenne est unie. Or, comme le note le chercheur André Grjebine, ce qui est inquiétant, c’est « le chemin de la repentance sur lequel s’engagent, l’un après l’autre, les gouvernements occidentaux. Ceux-ci commencent par déclarer qu’ils ne sauraient remettre en question la liberté de la presse dont ils se déclarent d’ardents défenseurs, avant d’exprimer leurs regrets et de préciser que la liberté de la presse doit s’exercer dans le respect des croyances et des religions. [...] Toutes ces déclarations témoignent d’une profonde incompréhension de ce qu’est l’esprit de tolérance. En effet, si chacun est libre de professer les opinions qu’il veut, la tolérance suppose que chacun puisse également contester n’importe quelle religion » (Le Figaro, 06/02/2006). Les déclarations de Jacques Chirac et de Dominique de Villepin, sur cette affaire de caricatures, sont donc décevantes, et irresponsables en ce qu’elles constituent un début de capitulation face à des revendications illégitimes, car émanant de courants rigoristes.
Publier les caricatures du prophète Mahomet, qu’on les trouve de bon ou mauvais goût, pertinentes ou lamentables, est devenu un devoir. Que de nombreux musulmans soient irrités par ces dessins satiriques est compréhensible, mais ce n’est pas une raison pour accepter la censure. Les autres religions se sont bien pliées à l’exercice de la libre critique. Pourquoi ne pas prohiber Les Guignols de Canal + qui se moquent régulièrement de l’Église et du Pape, parfois même de manière outrancière ? Devra-t-on bientôt interdire le film de Luc Besson, Jeanne d’Arc, sorti en 1998, parce qu’il sous-entend, in fine, que l’héroïne n’entendait pas la voix de Dieu, mais était tout simplement folle ? C’est une thèse qui a évidemment choqué les catholiques les plus fervents. Il en est de même du film de Martin Scorsese, en 1988, La dernière tentation du Christ, qui avançait l’hypothèse selon laquelle Jésus avait goûté aux plaisirs de la chair, contrairement à la thèse officielle enseignée par l’Église depuis 2000 ans. Fallait-il pour autant s’opposer à la diffusion de ces oeuvres, dès lors qu’elles pouvaient blesser le sentiment religieux des chrétiens ?
Comme le rappelle régulièrement la Cour européenne des droits de l’homme, dans une société démocratique, il faut admettre toutes les opinions, même celles qui peuvent choquer. C’est le sens de son récent arrêt Giniewski c/ France (31/01/2006).
En tout état de cause, l’interdiction de représenter le prophète n’est un impératif qu’à l’endroit des musulmans. Ce commandement religieux ne saurait s’imposer ni à toute la société, ni aux individus qui ne partagent pas les préceptes de l’islam. Si un caricaturiste est allé trop loin, alors c’est à la justice de se prononcer. La réponse par la violence est inacceptable, et inexcusable.
A la critique selon laquelle ces dessins satiriques sont gratuitement offensants, il convient de rappeler que le Jyllands Posten (équivalent du Figaro au Danemark), qui les a publié le premier en septembre 2005, s’était ému de voir qu’un écrivain, qui venait de terminer un livre pour enfants sur Mahomet, n’arrivait par à trouver de dessinateur pour agrémenter son livre. Tous les illustrateurs que ce dernier avait contactés s’étaient dérobés, par crainte de représailles des milieux islamistes. En effet, depuis l’assassinat du cinéaste Théo Van Gogh, aux Pays-Bas, en novembre 2004, par un fondamentaliste, le climat est assez tendu dans les pays scandinaves. Le journal danois a donc sollicité 40 caricaturistes. Seuls 12 ont relevé le défi : voir s’il était possible dans une démocratie européenne de dessiner le prophète de l’islam (AFP, 02/02/2006, 17h41). Loin d’être un geste inutile et irresponsable, l’initiative du Jyllands Posten apparaît au contraire salutaire dans son dessein de dénoncer l’autocensure des dessinateurs face à un diktat religieux.
Un fait me réconforte aujourd’hui, le succès du numéro spécial de Charlie Hebdo du 08/02/2006 qui s’est vendu à plus de 400 000 exemplaires (au lieu de 100 000 habituellement) : un chiffre à mettre en perspective avec les 10 000 personnes qui ont manifesté à Paris et à Strasbourg le 11/02/2006 contre la publication de ces caricatures. Cet épisode constitue, à n’en pas douter, une façon pour les Français d’apporter un soutien massif à la liberté de la presse.
Comment accepter le limogeage du directeur de France Soir pour avoir diffusé les dessins litigieux ? Des hommes comme les auteurs de L’Encyclopédie se sont battus toute leur vie contre le dogmatisme religieux. Si la France et l’Europe sont devenues ce qu’elles sont aujourd’hui, c’est parce qu’elles ont produit les Lumières, et parce qu’elles se sont émancipées de la tutelle du spirituel. Souvenons-nous que les tabous religieux ont justifié les foudres du Vatican à l’encontre de Copernic, Galilée et Darwin, pour ne citer qu’eux. Victor Hugo n’a-t-il pas, avec brio, mis en relief l’attitude du « parti clérical » qui a toujours « fait défense à la science et au génie d’aller au-delà du missel et [voulu] cloîtrer la pensée dans le dogme. Tous les pas qu’a faits l’intelligence de l’Europe, elle les a faits malgré lui » (Discours contre la loi Falloux, 15/01/1850). L’histoire en témoigne en effet : nul progrès scientifique, nulle avancée en matière de liberté ne se sont réalisés avec l’assentiment des autorités religieuses (exception faite cependant, au XXe siècle, de la contribution de Jean-Paul II à la lutte contre les régimes communistes). C’est donc bien en heurtant les convictions religieuses et, si nécessaire, en les remettant en cause que nos sociétés occidentales se sont sécularisées et démocratisées.
Si l’islam veut être pleinement accepté dans notre pays, et
en Europe plus généralement, il va falloir qu’il admette, au plus vite, d’être
traité comme les autres cultes : autrement dit, qu’il accepte la contestation et la
dérision. Comme l’a rappelé Le Canard enchaîné, « chacun est libre aussi, dans
les limites de la loi, de discuter, de critiquer, de caricaturer ce à quoi il
ne croit pas. Il n’y a nulle exception pour Mahomet, Moïse, Jésus ou Vishnou,
pas plus que pour l’imam, le rabbin, l’évêque ou la bonne du curée »
(08/02/2006, p. 1). Or, les autorités religieuses de l’islam de France s’y
refusent : en témoignent les propos du recteur de la Mosquée de Paris, Dalil
Boubaker, ou du recteur de la Mosquée de Lille-Sud, Amar Lasfar, qui
s’indignent que l’humour puisse viser le prophète Mahomet (C dans l’air,
06/02/2006, France 5). Une fois de plus, comme l’a si bien illustré Umberto Eco
dans Le nom de la rose, paru en 1980, les religions ont peur du rire. A l’instar
de l’affaire Rushdie, il n’est donc pas étonnant de voir les représentants du
judaïsme et du christianisme, tout en condamnant la violence, exprimer leur
sympathie au monde musulman « humilié ». Cette solidarité de circonstance, mue
par l’intérêt commun de la réinstauration du délit de blasphème, forme ce que
le philosophe Alain Finkielkraut appelle « la Sainte-alliance des clergés » (Le
Monde, 25 octobre 1989).
De nos jours, même sur le continent européen, ce sont les
interdits islamiques qui légitiment les appels au meurtre : Salman Rushdie,
Ayaan Hirsi Ali, Taslima Nasreen ou Messaoud Bouras (Nouvel Obs, 02/02/2006)
sont bien contraints de vivre cachés pour rester en vie. Pour les mêmes
raisons, les traducteurs de la députée néerlandaise ont demandé à rester
anonymes. Et que font nos
compatriotes musulmans dits "modérés"
pendant ce temps, les dirigeants du C.F.C.M. par exemple ? Leurs convictions de
démocrates ne sont-elles pas bouleversées par cet activisme terroriste ? Les
a-t-on entendu s’indigner de ces menaces de mort proférées au nom de leur
religion ? Les a-t-on vu manifester au nom de la liberté de chacun de choisir
ses croyances ? Condamnent-ils les fausses alertes à la bombe dont sont
victimes France Soir et Charlie Hebdo ? Non bien sûr... ou si peu. Un dessin
satirique est évidemment beaucoup plus choquant qu’une femme qui porte la burka
dans les rues de Sarcelles.
Et malheur à ceux qui critiquent trop vertement cette carence de l’islam, ce manque d’ouverture, cette tolérance vis-à-vis du radicalisme... Ils sont immédiatement taxés d’islamophobie, en somme, au minimum, de xénophobie. Le philosophe Pascal Bruckner a d’ailleurs très bien analysé ce phénomène : « L’islam est intouchable : le critiquer ou le soupçonner, c’est faire preuve de racisme. Telle est la nouvelle vulgate que tente d’accréditer le Mrap, un certain nombre de médias et de chercheurs et une partie des dirigeants politiques. De quoi s’agit-il en l’occurrence ? De soustraire la religion coranique à l’épreuve que subissent, depuis longtemps, les deux autres monothéismes existants : l’épreuve de la remise en cause » (« Le chantage à l’islamophobie », Le Figaro, 05/11/2003).
Alors non ! Nous, Européens... nous, humanistes... nous ne saurions nous résigner au retour de l’intolérance religieuse sur notre continent ! Voltaire et Zola ne nous le pardonneraient pas.
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