La disparition de l’Airbus d’Air France a donné lieu à une belle opération d’influence
Acturevue (D. Perrotin) a publié hier, mardi 2 juin 2009, sur AGORAVOX un article intitulé « Crash A 330 : l’indécence des médias ». Il y dénonçait la fièvre qui s’est emparée des médias officiels à l’annonce de la disparition d’un airbus d’Air France entre Rio et Paris. Il leur reprochait de « faire de l’info sans info », de « combler le rien avec tout ».

Dès 13 heures, en effet, lundi 1er juin 2009, sur France Inter, la pétulante Claire Servajean - qu’on avait déjà vue très en verve sur l’affaire mystérieuse des explosifs dans un magasin parisien dont on ne savait rien - modulait psalmodies et vocalises avec plus d’entrain que d’habitude : le chanter, c’est sa façon de faire croire qu’elle ne lit pas son texte, mais l’improvise ; elle progresse en accordéon, avalant subitement des syllabes pour traîner ensuite longuement sur des finales, avec des variations d’intonations inopinées : le-président- de-la-République-avait demandééééééééé, annonçait-elle, que-tout-fût - faaaaaaaaaaait pour-retrouver-l’avion eeeeeeeeet d’éventuels-survivaaaaaaaaaaants… Effectivement, la compagnie Air France avait besoin qu’on lui rappelât ce qu’elle avait à faire et sans doute attendu cette injonction pour agir. « Où est l’information ? » demandait, scandalisé, Acturevue pour finir.
L’information ? « Une représentation de la réalité »
La question est surprenante, car, dans la tradition de "la mythologie journalistique" une fois de plus démentie par ce bel exemple, son auteur paraît ignorer qu’une information n’est qu’ « une représentation de la réalité » "donnée" ou refusée volontairement par un émetteur, ou encore "extorquée" par un récepteur. À l’évidence, un émetteur comme France Inter a livré sa propre représentation de la disparition de l’A 330. Qu’elle est-elle ?
Que ce soit dans ses deux journaux de 13 heures, lundi et mardi, ou dans son émission du 7/10 de mardi matin, cette représentation se résume d’abord à ceci : on ne sait rien de ce qui est arrivé à cet avion ! Il s’y ajoute une question annexe : mais est-ce une raison suffisante pour ne pas en parler à d’autres fins ? Des prodiges d’imagination ont, en effet, été déployés pour tenir jusqu’à 25 minutes dans "le 13 heures" de mardi 2 juin, ce qui laisse peut de place pour les autres informations et permet ainsi de pratiquer une censure discrète.
D’abord le procédé de la répétition est le meilleur moyen de faire durer le plaisir à volonté : on rappelle sans cesse jusqu’à plus soif les références du vol, ses horaires, le nombre de passagers leur nationalité, leur sexe, leur âge, puisque c’est tout ce qu’on sait. Puis on assortit ces maigres données d’un imposant dispositif d’informations périphériques toutes plus inutiles les unes que les autres, du moins en apparence.
Le président de la République mis en scène
Car, curieusement, le Président de la République est venu soudainement occuper une place centrale dans cette affaire de long courrier disparu : comme la mouche du coche de La Fontaine harcelant les chevaux à la peine, il a tenu d’abord, a-t-on dit plus haut, à demander, ce qui n’allait pas de soi, que tout fût fait pour retrouver l’avion, de peur qu’Air France ne s’en souciât comme d’une cerise. Et puis c’est lui qui est venu annoncer aux proches et amis des victimes dans une salle retirée de l’aéroport, qu’il n’y avait que d’infimes chances de retrouver des survivants.
Le ministre J.-L. Borloo en sa qualité de ministre des transports et de témoin oculaire sans doute, a été dépêché ou invité d’ urgence, mardi à 8h20, pour dire tout ce qu’il savait, c’est à dire rien : on a eu droit à un enfilage de perles sur le mode d’emploi des recherches entreprises : se rendre sur les lieux, retrouver les boîtes noires, condition « indispensable pour comprendre en accidentologie » ! On aura au moins appris un nouveau mot. Il s’est penché aussi sur la profondeurs des abîmes océaniques dans la zone probable de l’accident et a assuré que tous les moyens étaient mis en œuvre avec l’aide du Brésil et des USA. On le devait aux familles, etc.
Promenades de Roissy à Rio
De prétendus reportages ont ensuite promené l’auditeur de Roissy à Rio. Comme ça arrive, des « miraculés » étaient retrouvés ou se signalaient pour dire leur bonheur de n’avoir pas embarqué alors qu’ils auraient dû être à bord ! Des salariés d’une entreprise, en revanche, s’y trouvaient bien au retour d’un séjour-cadeau offert par leur patron ! Il importait donc de recueillir les sentiments de leurs collègues qui, chanceux, n’y avaient pas eu droit ! De même, on ne pouvait rater les fameuses cellules de soutien psychologiques mises à la disposition des familles des victimes : l’occasion était donnée d’énumérer les médecins, psychiatres, psychologues qui en faisaient partie. Il était prétendu que l’émotion et la tristesse régnaient dans les lieux. On ne leur aurait pas cru. Heureusement, le président de la République refaisait surface à nouveau : il promettait de recevoir les familles des victimes à l’Élysée. Un ennui, toutefois ! Les caméras et micros étaient tenus à distance. Il fallait, disait-on, « respecter le deuil » des malheureux. Dommage ! Pas un sanglot, pas une larme pour étancher la soif des micros et caméras à l’affût !
La ronde des scénarios
Il n’y avait donc rien à dire et rien à voir. Ça n’empêchait pas « la journaliste d’investigation » en studio de France Inter, Claire Servajean, de creuser, fouiller, gratter en chantant, en somme rouler sa boule comme un bousier, en faisant les questions et les réponses. Alors quelles hypothèses ? demandait-elle aux experts maison, aéronautiques ou militaires rameutés tout azimut. Il était bien sûr trop tôt pour répondre, n’est-ce pas ? Et ce pilote brésilien qui aurait vu des traces rouges à la surface des flots ? Quelle est l’étendue de la zone à fouiller ? Gigantesque, n’est-ce pas ? Eh oui ! la mer à boire ! Quel scénario privilégier ? Il faut rester prudent, n’est-ce pas ? On ne peut en écarter aucun, renchérissait l’interlocuteur, ni la sûreté avec le terrorisme, ni un phénomène naturel comme la foudre , ni une défaillance de l’appareil.
Saurait-on jamais ce qui s’était passé ? finissait par demander fataliste la journaliste. Si, si, assurait le spécialiste de France Inter, on finirait par savoir, on avait les moyens, aériens, navals, satellitaires. C’est ce qu’ à nouveau, pour continuer la ronde, un capitaine de vaisseau venait à son tour raconter : le mode d’emploi des opérations de recherche, d’abord par voie aérienne puis par mer, avec l’aide du Brésil et des USA. Mais, concluait-il, force était d’admettre que pour l’instant on n’avait toujours rien découvert…
Créer une audience maximale pour faire entendre un message
On a sans doute assisté à une belle opération d’influence. En remplissant le temps de diffusion disponible, une seule information bien étirée permet à elle seule d’exclure toutes les autres. C’est la censure discrète. On fait, par exemple, oublier un moment la crise économique. Il n’est même pas besoin d’avoir des révélations à faire en pareil cas sur le prétexte qui est à l’origine de l’information, comme ici un accident d’avion. Il importe seulement de capter l’attention ! Et quoi de plus efficace que le leurre d’appel humanitaire avec l’exhibition du malheur d’autrui pour déclencher le réflexe inné d’attirance jusqu’à la transe du voyeurisme puis le réflexe de compassion et d’assistance à personne en danger ? Dans ce contexte d’audience maximale, il ne reste plus qu’à sauter sur la scène pour être vu et entendu de tous, comme l’a fait prestement le président de la République en se présentant comme l’organisateur des secours et le consolateur des affligés.
À quelques jours des élections européennes, l’image édifiante peut faire son effet sur les gens simples. Ce serait pitié qu’ils ne sussent pas s’en souvenir dans l’isoloir ! Paul Villach
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