• AgoraVox sur Twitter
  • RSS
  • Agoravox TV
  • Agoravox Mobile

Accueil du site > Tribune Libre > La dure vie de l’écrivain, ou le blues des jours sans (...)

La dure vie de l’écrivain, ou le blues des jours sans pâtes

Comment les écrivains font-ils pour finir le mois ?

A l'heure de la crise économique et où les ménages rognent de plus en plus sur les dépenses de santé, petite plongée dans l'univers impitoyable (pour l'écrivain tout du moins) de l'édition.

Je suis tombé (aïe) sur un article de Telerama cette semaine qui m’a laissé sur le cul (re-aïe).

La substantifique moelle de cet article repose sur deux images qui parlent d’elles-mêmes :

 

 

 

 

( <= Ca c'est la 1ère)

 

 

 

 

 

 

(Ca c'est la 2ième => )

 

 

 

 

 

Mise en situation

Pour comprendre le drame qui se joue, imaginons un écrivain qui essaye de vivre de ses livres (ha ha, le con !).

C’est Janvier. L’hiver froid et rude lui fait ressentir le besoin profond de se calfeutrer chez lui sous une couette Ikea (le seul meuble dont il ait jamais compris la notice de montage (je rappelle qu'il est écrivain)). Cela tombe bien, l’inspiration le gagne (un peu comme la montagne mais en plus plat). Cela n’arrive pas tous les jours. Cela fait six mois qu’il n’a pas écrit une ligne. Il participe à deux ou trois magazines pour arrondir les fins de mois, mais quand même, il aimerait bien s’acheter ce nouvel écran plat 3D HDMI, 400 Hz pour pouvoir tester sa nouvelle PS3 achetée d’occaz, qui a le bonheur de faire lecteur BlueRay (c’est quand même con d’avoir un téléviseur pourave génération années 1990 avec un truc HD bidule). Il n’y capte pas grand-chose (je répète : c’est un écrivain), mais l’instinct de consommateur qui l’habite a décidé de le titiller en ce début d’année, l'enfoiré.

Bref, il écrit. Comme un forcené.

Après 6 mois d’un effort intense, le bébé est prêt (autant dire qu’en 6 mois, la gestation est plutôt rapide, mais c’est plutôt 12 en fait, vu qu’il n’avait pas écrit une ligne les 6 mois d’avant (je répète pour ceux qui suivent pas)).

Nous sommes en Juin. Il décide d’envoyer son « œuvre » (à ce stade, c’est juste un manuscrit sans valeur marchande tout juste bon à engrosser Copytop, donc les guillemets s’imposent) à quelques éditeurs qu’il connaît, pour avoir déjà publié un ou deux romans (*). Le dernier livre n’ayant pas vraiment fonctionné, son éditeur n’est pas forcément pressé de recevoir sa nouvelle œuvre. L’été passe (ça bosse pas beaucoup dans les maisons d’édition en Juillet-Août). Pas de réponses. Septembre, c’est la rentrée littéraire, l’effervescence, il faut vendre le nouveau Pancol par paquets de dix mille, inutile de dire que notre petit auteur peut poireauter gentiment.

Finalement, en Octobre, il se trouve que, par bonheur, ce nouveau manuscrit tape dans l’œil d’un des éditeurs (génial). Seul problème, c’est un peu long, certains passages ne fonctionnent pas. L’éditeur demande à l’auteur de retoucher des pans entiers du livre. Négociations. L’auteur a la désagréable impression que l’éditeur lui fait « limite » une fleur en lui proposant de le publier. C’est le monde à l’envers. Qui est l’artiste bordel ?

Au bout de deux mois de discussion, l’auteur cède, et promet une nouvelle version dans les trois mois. Il est un peu démotivé, c’est quand même son « œuvre » qu’il a l’impression d’assassiner. Il a du mal à s’y mettre.

Finalement, dans la douleur, il remet le manuscrit 2.0 en Mai. L’éditeur est content, mais il a déjà buté tout son budget « nouveaux auteurs » (à moins de 1000 unités vendues la fois d’avant, inutile de dire qu’on reste toujours « un nouvel auteur »), il signe donc l’auteur, mais sans avance sur droits d’auteur (tu comprends cher lecteur le risque immense que cet éditeur prend !). L’éditeur décide de sortir le livre en Novembre, après la rentrée littéraire pour éviter que le livre soit noyé dans la masse (enfin, c’est l’excuse qu’il donne). Je te passe les détails cher lecteur, mais disons que le livre sort en Novembre. Et bien sache, cher lecteur, que cet auteur touchera ses quelques miettes (inutile de dire qu’un éditeur investira peu sur un auteur à qui il n’a pas fait d’avance sur droits, puisque l’équilibre financier sera vite atteint, et ce, sans risque) seulement en Août, voire Septembre, de l’année suivante, soit plus de deux ans après son « effort » de production.

La clôture des états de droits d’auteur se faisant à la mi-année, et les éditeurs ayant jusqu’à deux mois pour les envoyer, l’auteur ne recevra ses droits qu’à la rentrée…

Revenons à nos deux schémas. Comme les contrats d’édition sont en général « par tranche », l’auteur touchera :

8% pour les 1000 premiers exemplaires vendus par exemple

soit 0,08 x 70% x 14 = 80 centimes par exemplaire vendu

(70% car c’est le prix de gros HT qui est considéré bien sûr !)

Tu vois donc l’équation insoluble pour l’auteur qui a une trésorerie complexe à gérer, puisqu’entre l’effort (écrire un livre) et l’argent sur le compte en banque, il peut s’écouler facilement deux ans (dans mon exemple, un peu plus).

Imaginez dans votre travail que vous touchiez votre salaire deux ans après l’avoir fait, et vous comprendrez assez vite le problème.

Dans son cas, il va toucher sur ses 1000 livres vendus un peu moins de 800 euros (youhou), plus de deux ans après avoir produit son effort.

Juste de quoi s'acheter quelques nouvelles couettes Ikea et de recommencer (la dernière est passée de vie à trépas suite à l'effort de production intense qui a produit quelques litres de sueur en plus de quelques centaines de feuillets, la prochaine fois il prendra le modèle éponge).

Finalement, je sais pas si je veux être écrivain (même raté).

 ———————————————————————

(*) : cet article est de la pure fiction (voire de la science-fiction)

 

Article issu du blog :

http://jeanfabien.unblog.fr


Moyenne des avis sur cet article :  4.38/5   (13 votes)




Réagissez à l'article

10 réactions à cet article    


  • Jean-Pierre Llabrés Jean-Pierre Llabrés 16 novembre 2011 10:10

    À l’auteur :
    « Finalement, je sais pas si je veux être écrivain (même raté). »

    Ne doutez pas un instant de devenir célèbre à titre posthume, pour le meilleur profit de votre descendance, et foncez ! ! !

     smiley


    • bnosec bnosec 16 novembre 2011 13:05

      "A l’exception de quelques rares pointures ultra-médiatisées, l’écriture ne peut être au mieux qu’un complément de revenu, même avec des tirages honorables."

      En gros pour être écrivain il faut soit être rentier, soit avoir un métier qui laisse du temps libre, comme prof ou, heuuu, ou prof...
       smiley


    • Fabienm 16 novembre 2011 14:13

      @Christian :
      Je n’ai pas sorti ces graphes de mon chapeau, ils sont issus du syndicat de la librairie française.
      Lorsque l’éditeur et le diffuseur sont regroupés, il faut bien sûr considérer la somme (jusque là tout le monde suit je pense)
      Pour le reste du texte, vous avez bien compris, c’est de la mise en perspective humoristique. Les rares auteurs que je connais font des choses à côté pour survivre, et les revenus en droits d’auteur ne sont qu’une partie de leurs revenus.
      Il y a en France à peu près 1500 écrivains qui ne vivent que de ça.

      Cela fait peu.


      • Fabienm 16 novembre 2011 16:06

        Juste un point : il y a plus de 1000 éditeurs encore vivants référencés dans la nouvelle édition du recueil AUDACE (Oie plate) sur les éditeurs et leurs pratiques (nouvelle version en décembre de cette année)
        on est donc loin des 300 survivants que vous annoncez !


      • Fabienm 16 novembre 2011 17:15

        Il y a les bons éditeurs et les mauvais éditeurs !
        ça fait un peu sketch des inconnus smiley


      • Kingli Kingli 16 novembre 2011 15:00

        L’écriture est une passion, vouloir vivre de cette passion est un rêve difficilement accessible... hélas ! Mais écrivons quand même, pour le plaisir...


        • Roberto Gac Roberto Gac 16 novembre 2011 19:55

          Peut-être mon article « Révolution dans l’édition littéraire », publié il y a quelques semaines sur Agoravox :

          http://www.agoravox.fr/ecrire/?exec=articles&id_article=102309

          vous donnera-t-il une nouvelle piste pour résoudre le problème.


          • Fabienm 17 novembre 2011 09:47

            Très intéressant, merci


          • Jafar Spitilik Jafar Spitilik 17 novembre 2011 08:44

            Très drôle. Celui sur Jaenada est pas mal non plus, même si je me suis arrêté à la page 10 du « Chameau » et que je n’y suis jamais revenu...
            Mais, ce que vous occultez, c’est que « écrivain raté » n’a jamais été un métier, c’est juste le prétexte social indispensable à celui qui ne veut pas de métier, du rentier sans rente, de l’utopiste sans idéal.
            D’ailleurs, comme vous le notez bien, l’écrivain raté n’écrit pas, la plupart du temps. Et je dirais même qu’il n’a aucune envie d’écrire. Le peu qu’il peut, le peu qu’il pond n’est bien entendu jamais à la hauteur, ne peut pas être à la hauteur de la publication ni de son amour-propre. Ce qui est sûr, c’est qu’il n’a aucune envie de devenir écrivain, cet enfant de putain qui passe sa vie à ragoter dans les cocktails et à minauder dans les signatures. La figure de l’écrivain représente tout ce qu’exècre l’écrivain raté, qui n’a jamais laissé filtrer ses prétentions littéraires dans son entourage que pour pouvoir se complaire dans la jouissance de l’échec. L’écrivain est à l’écrivain raté ce que le gagnant du loto est au gros perdant professionnel des casinos. Une antithèse parfaite, un repoussoir, le Diable de son divin amour de la souille. Comme le flambeur impénitent, l’écrivain raté n’a pas trouvé mieux pour dissiper l’ennui que de passer sa vie à la perdre. Le Grantécrivain n’est que le prétexte mégalomaniaque à son vice du ratage. S’il avait osé, l’écrivain raté aurait bien opté pour une carrière de « Napoléon raté », mais il risquait soit d’être enfermé à l’asile, soit de réussir une carrière médiocre de sous-lieutenant dans l’infanterie. La médiocrité ; c’est ça le vrai problème de l’écrivain raté. Tout ce qu’il voit le déçoit, rien n’a de grandeur à ses yeux, le monde est trop petit et les plaisirs si fugaces... L’écrivain raté ne voit que médiocrité dans tout ce qu’il contemple, dans tout ce qu’il lit. En plein « Hamlet », il imagine un pet de Shakespeare ; en face de la plus belle créature, il ne peut s’empêcher de l’imaginer sur le trône, vaguement constipée, mors aux dents et tripes en vrac. Et il se satisfait d’autant mieux de sa position d’écrivain raté qu’il sait qu’il a un petit ou un grand talent. C’est encore ça de pris, encore ça de gâcher, encore ça que les autres n’auront pas. En réalité, l’écrivain raté n’a d’autres passions que de faire chier le monde - afin que le monde se révèle comme il est, selon lui - et de punir Dieu. Mais, là, j’entre dans des domaines insondables, sans doute. Dostoïeski a écrit des petits trucs pas mal là-dessus - « Le Joueur » et « Les carnets du sous-sol » notamment - ça se lit, quoi... malgré sa gueule de martyr raté et le fait qu’il allait caguer tous les matins, avec difficulté, comme vous et moi...

Ajouter une réaction

Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page

Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.


FAIRE UN DON







Palmarès