La femme que Léonard de Vinci aima
C'en est trop, c'en est beaucoup trop ! Non seulement la coupe est pleine mais elle déborde. Après les élucubrations de Sigmund Freud sur une prétendue homosexualité d'un Léonard de Vinci inhibé, thèse largement exploitée par les maisons d'édition et par une presse en mal de copies, voici qu'Europe n°1, aujourd'hui même lundi, nous balance un autre boulet en nous présentant un livre des éditions Michel Lafon intitulé "Le Jocond".
La Joconde serait un homme. Cela ne vous surprend pas ; il y a déjà un certain temps que des auteurs astucieux ont prétendu que Léonard s'était représenté lui-même dans sa Joconde. Mais là, c'est encore plus fort. Dans ce tableau, Léonard aurait représenté en femme, Salaï, l'enfant qu'il avait adopté. Et encore plus fort, un enfant adopté dont il aurait fait son amant.
Le monde des lettres est-il devenu fou ?
Un mauvais procès. (Extraits de mon manuscrit "La Joconde bleue" refusé par les maisons d'édition).
L'avocat général : Première étrangeté, MM les jurés, que cela soit dans ses notes, dans les indiscrétions de son entourage ou de ses adversaires, on ne trouve dans la vie de l’accusé aucune liaison féminine, aucune incartade amoureuse, rien qui permettrait d’imaginer qu’il ait eu des relations sexuelles avec une personne de sexe opposé. Il est vrai que nous n’en savons guère plus sur les autres notables de son temps. Toutefois, il a été retrouvé une archive dans laquelle il est fait mention d’une comparution devant une cour de justice. Leonardo da Vinci, peintre, âgé de 24 ans, est accusé, ainsi que deux camarades, de sodomie sur un jeune prostitué et cela sur dénonciation anonyme. »
L'avocat de la défense : MM les jurés, veuillez constater, avant toutes choses, qu’en l’absence de preuve décisive dans le procès qui lui a été intenté, le jeune homme a été absous, et même deux fois absous. Une dénonciation anonyme, deux camarades apparemment plus délurés que lui, une intervention possible en haut lieu pour faire pression en faveur d’un acquittement, ces éléments ne sont pas suffisamment à charge pour recondamner aujourd'hui un homme qui n'est plus là pour se défendre, et cela sous prétexte que la loi, à cette époque, aurait été beaucoup plus souvent contournée qu’appliquée en ce qui concerne ce délit, ce qui n’est qu’une hypothèse.
Supposons, MM. les jurés, qu’en rentrant chez vous ce soir, vous soyez importunés par de jeunes fêtards et que cela se reproduise pendant plusieurs nuits. Supposons que parmi ces importuns, vous ayez cru voir un jeune éphèbe suspect de mœurs interdites. Le lendemain, après une nouvelle nuit d’insomnie, en passant devant la boîte aux lettres des dénonciations anonymes, ne seriez-vous pas tentés vous aussi de…
Faudrait-il aussi soupçonner mon client de pédophilie sur le jeune Salaï qu’il prend à son service alors qu’il n’a que dix ans ? (Protestations indignées dans la salle). Bien au contraire, tout prouve que l’homme était bon, paternel, soucieux des autres et certainement pas porté à la luxure, tout en n’étant pas ‘’coincé’’ sur le plan sexuel.
Déposition de l’expert . Freud Sigmund, né le 6 mai 1856, médecin autrichien. Je jure de dire la vérité, toute la vérité. Je considère M. Léonard de Vinci comme un homosexuel inhibé ou comme quelqu'un qui n'est homosexuel qu'en pensée. Il se choisit des élèves jeunes et beaux, mais rien n'indique qu'il ait eu des relations sexuelles directes avec eux. Dans l'ensemble, il semble avoir été un homme complètement dépourvu d'activité, de pulsion d'agression et qui atteignit un haut degré de maîtrise de ses affects. Il montre un extraordinaire refoulement sexuel, que confirme une phrase de ses carnets : « L'acte de procréation et ses organes sont caractérisés par une telle déformation que, n'était la beauté du reste du corps, la race humaine se serait éteinte depuis longtemps. » (http://www.megapsy.com/textes/freud/biblio042.htm)
Réponse de l’avocat de la défense. Les grosses plaisanteries de corps de garde auxquelles se livre parfois M. da Vinci ne correspondent pas à l’idée que l’on peut se faire d’un refoulé sexuel. Sinon il faudrait dire que Rabelais l’est aussi (Rires dans la salle). Des aventures féminines - au moins
pour essayer de comprendre comment le coït, ça marche - la naturelle beauté, la position éminente de mon client ont dû lui en donner l’occasion plus d’une fois. Et puis, à Florence, les fêtes qui permettaient de terminer la soirée en bonne compagnie ne manquaient pas, ni les maisons closes, ni les prostituées distinguées. Le modèle qui a posé pour la Léda dans plusieurs de ses tableaux parmi les plus célèbres, où croyez-vous que mon client soit allé le chercher ? Oui,
Mesdames et Messieurs, la Léda que vous admirez dans vos musées était une prostituée (Surprise dans la salle). Oui, Mesdames et Messieurs, M. Léonard de Vinci fréquentait les maisons closes, non pas les bouges mais les établissements de luxe. Un de ses dessins pour le projet d’entrée d'un tel établissement en est la preuve. C’est ici qu’il venait – dans la discrétion – quand la pression était trop forte, non pas qu’il y ait été poussé par un vil goût de luxure mais uniquement pour se libérer d’un fardeau qui pesait sur son esprit (cahiers, citation). Permettez-moi d’insister sur ce point car il est important. M. Léonard de Vinci était un grand seigneur et vivait comme un grand seigneur. Imaginer qu’il ait eu des relations homosexuelles suivies dans sa maison, là où il recevait ses invités de marque, et de surcroît, avec un domestique, est d’une totale absurdité. Toutes les notes laissées par mon client montrent qu’entre les choses de l’esprit et sa libido, il avait établi une nette séparation. Sauf à de rares moments où il a été obligé de compter ses dépenses, mon client avait les moyens financiers qui lui permettaient de tenir son rang dans ce domaine comme dans d’autres. Je demande à la cour de bien vouloir examiner ces pièces à conviction (L’avocat de la défense distribue aux six jurés, au président, à ses deux assesseurs et au greffier, dix baudruches en forme de banane).
Suite de la plaidoirie de l’avocat de la défense. Comme vous le constatez, Mesdames et Messieurs les jurés, ces baudruches ont été réalisées à partir de boyaux d’animaux. Vous constaterez également que si vous les gonflez (Le président, ses assesseurs et les jurés soufflent dans le ballon), ces dix baudruches peuvent s’enfler jusqu’à occuper tout l’espace (mouvements de panique dans la salle). Eh bien, Mesdames et Messieurs les jurés, vous venez de refaire ici, dans ce tribunal, une expérience de Léonard de Vinci. Mon client connaissait parfaitement la vertu et les vertus – virtus et virtutes en latin - du boyau de mouton lorsque dans une chambre de son atelier, il a fait gonfler de telles baudruches à l’aide de soufflets de forge (cf. livre de Serge Bramly, p. 420).
Trois mille ans avant J.C., en Egypte, les dits boyaux de mouton servaient déjà à confectionner des préservatifs. En l’an 1 500, le roi Minos en possédait un, en vessie de mouton. Au XVI ème siècle, on fabriquait des fourreaux de soie, huilés ou non, agrémentés d’un fin ruban pour les maintenir en place. Casanova en avait toujours avec lui, bien rangés dans un coffret précieux.
Léonard de Vinci, un homosexuel inhibé ? En m’appuyant sur ces pièces à conviction, je demande à la cour de rejeter avec force cette supposition.
En jonglant avec ses baudruches, mon client vous prouve qu’il pratiquait une sexualité sans inquiétude ni stress. (Il s’adresse aux journalistes) Avant de semer le doute et la rumeur, réfléchissons plutôt au contexte de l’époque et au milieu dans lequel notre homme a vécu.
Je demande à la cour d’entendre le témoignage de Madame Veronica Franco.
Déposition de Madame Veronica Franco (C’est une femme très élégante et très belle). Je m’appelle Veronica Franco. Je suis née à Venise vers 1550, un siècle seulement après Léonard de Vinci.
Mon mari était médecin. Pour la postérité, je suis restée l’exemple le plus noble de la courtisane vénitienne. Ma maison à Sancta Maria Formosa était fréquentée par des musiciens, des peintres et des nobles. Des soirées musicales, des débats de philosophie et des lectures de poésies en faisaient un lieu vivant et recherché. J’ajoute que lors d’un banquet donné en l’honneur du futur roi de France, Henri III, j’eus le grand honneur de lui être présentée entièrement nue sur un plat d’argent (http://www.veniceguide.net/cortigianefr.htm)
(Étonnement dans l’assistance).
Le Président. Merci, Madame, pour votre témoignage. C’est un avis d’expert dont la cour ne manquera pas de tenir compte. Toutefois, avant de vous laisser rejoindre vos agréables et vertueuses occupations, les jurés aimeraient savoir ce que vous pensez de ces quelques lignes écrites par l’accusé au sujet de sa Verga (mot italien) : Elle a une intelligence propre. L’homme désire-t-il la stimuler ? Elle s’obstine à ne pas répondre. L’homme pense-il à autre chose ? Et voici qu’elle se met à bouger sans autorisation. Souvent l’homme est endormi et elle est éveillée. Souvent l’homme est éveillé et voudrait qu’elle entre en action mais elle est endormie. En vérité, cette créature a une intelligence et une vie qui mériteraient qu’on en parle plutôt que d’en avoir honte. (Serge Bramly, p.143 et 144).
Madame Veronica Franco. Mon avis est le suivant : il s’agit là d’une remarque extrêmement pertinente émanant d’une personne parfaitement équilibrée.
Le Président. Une dernière question : combien y avait-il de courtisanes à Venise en 1509 ?


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