La fin de l’hégémonie du Dollar
Ce texte est un discours prononcé par l’homme politique américain Ron Paul devant la chambre des représentants le 15 février 2006. Traduit intégralement par mes soins, vous pouvez également consulter le texte original en anglais.
Ce texte présente plusieurs qualités qui m’ont incité à le traduire ; il aborde de manière transversale différents aspects de l’histoire et de la politique américaines, tous dépendant du rôle fondamental acquis au fil du temps par le dollar. Ron Paul traite donc de manière claire et simple du système monétaire américain, il aborde le schéma fondamental sur lequel reposent les empires et montre comment les Etats-Unis en sont devenu un grâce à leur monnaie. Il explique en quoi cela influença leur stratégie de domination mondiale récente (Moyen Orient, Venezuela…) et en quelle mesure aujourd’hui « l’hégémonie du dollar » arrive à sa fin, faisant courir de grands risques au pays.
I Les Empires et la monnaie :
A De l’or…
Il a été dit, très justement, que celui qui détient l’or fait la loi. Dans des temps plus reculés, il était communément admis qu’un commerce honnête et équitable nécessitait qu’une chose pourvu d’une réelle valeur soit obtenue de l’échange.
B … Au papier
Aujourd’hui les principes restent les mêmes, mais le processus diffère : l’or n’est plus la devise du royaume, mais le papier. Désormais, « celui qui imprime la monnaie fait la loi » ; du moins pour le moment… Bien que l’or n’est pas utilisé, les buts sont donc les mêmes : contraindre les pays étrangers à produire ; financer l’Etat par le biais d’une supériorité militaire et le contrôle des machines à imprimer la monnaie. Puisque l’impression de papier-monnaie n’est rien de moins que de la contrefaçon, l’émetteur de la devise internationale doit toujours être le pays disposant de la puissance militaire pour garantir le contrôle du système. Ce plan semble idéal pour obtenir une richesse perpétuelle. Le problème, cependant, est qu’un tel système détruit la morale de la nation contrefactrice, comme c’était le cas quand l’or était la monnaie et qu’elle était obtenue par la guerre. Cela détruit la volonté de produire et d’épargner, en même temps que cela encourage à la dette. Quand le papier-monnaie est rejeté, ou quand l’or s’épuise, richesses et stabilité politique sont perdues. Le pays passe alors d’une vie au dessus de ses moyens à une autre en dessous, jusqu’à ce que le système économique et politique s’ajuste aux nouvelles règles ; - des règles qui ne sont cette fois plus écrites par les détenteurs de la défunte presse à papier.
II L’Empire américain : de la diplomatie à l’hégémonie du dollar
A La diplomatie
« La diplomatie du Dollar », une politique instituée par William Howard Taft et son secrétaire d’Etat Philander C. Knox, fut conçue pour promouvoir les investissements commerciaux U.S en Amérique latine et en extrême orient. McKinley fomenta une guerre contre l’Espagne en 1898 et le pendant de Theodore Roosevelt à la doctrine Monroe précéda l’agression de Taft pour utiliser le dollar et l’influence diplomatique pour sécuriser les investissements à l’étranger. La signification du changement opéré par Roosevelt était que nos interventions pouvaient maintenant être justifiées par la simple faiblesse apparente d’un pays (nous intéressant) vis-à-vis de l’influence de l’Europe. Non seulement avons-nous revendiqué un droit, mais également une obligation pour le gouvernement de protéger nos intérêts commerciaux des européens.
B L’hégémonie
1. La Réserve fédérale
Le Congrès créa le système de la Réserve fédérale en 1913. Dès lors, jusqu’en 1971 les principes présidant à une monnaie saine ont été systématiquement ébranlés. Entre 1913 et 1971, la Réserve fédéral trouva plus facile de « gonfler » notre réserve monétaire à volonté pour financer des guerres et manipuler l’économie avec peu de résistance de la part du Congrès tout en bénéficiant de l’intérêt qu’influence le gouvernement.
2. Bretton Woods : la convertibilité dollar/or
L’accord de Bretton Woods de 1944 « figea » le dollar comme monnaie de réserve mondiale, remplaçant ainsi la livre anglaise. Grâce à nos forces politiques et militaires, et parce que nous avions une masse importante d’or, le monde accepta notre dollar (fixé à 1/35ème d’une once d’or) en tant que monnaie de réserve mondiale.
Le dollar était « aussi bon que l’or », et convertible à ce taux pour toute banque centrale étrangère ; pour le citoyen américain, cependant, la détention d’or était illégale. C’était un standard d’échange qui dès le départ était condamné à échouer.
3. Le 15 aout 1971 : Nixon met fin à la convertibilité dollar-or
Tout ceci finit le 15 aout 1971. Nixon ferma le robinet et refusa de payer la moindre once des 280 million restantes. Fondamentalement, nous avions déclaré notre insolvabilité et chacun reconnaissait qu’un autre système monétaire devait être conçu pour stabiliser les marchés.
4. « Pétrole payable en dollar exclusivement ».
Réalisant que le monde s’embarquait dans quelque chose de nouveau l’élite des gérants de fonds (« money managers ») avec un fort soutient de la part des autorités, trouvait un accord avec l’OPEP (Organisation des pays producteurs de pétrole) pour fixer le prix du pétrole en U.S dollars exclusivement, pour toutes les transactions mondiales. Le dollar gagna ainsi une place particulière parmi les devises mondiales, et fondamentalement, le dollar était ainsi garanti par le pétrole. En retour, les Etats-Unis promirent de protéger les divers royaumes riches en pétroles du golfe persique contre les menaces d’invasions ou de coup d’états intérieurs. Cet arrangement contribua à alimenter l’islamisme radical parmi ceux qui rejetaient notre influence dans la région. L’accord donna au dollar une force artificielle avec d’extraordinaires bénéfices financiers pour les USA. Cela nous permit d’exporter notre inflation monétaire en achetant du pétrole et d’autres biens avec une importante ristourne tandis que l’influence du dollar prospérait.
La hausse des prix de l’or est historiquement vue comme un indicateur de méfiance envers la devise papier. Cet effort récent n’était pas énormément différent au Trésor U.S vendant l’or à 35$ l’once dans les années 60, dans l’objectif de convaincre le monde que le dollar était sain et aussi bon que l’or. Même durant la grande dépression, une des premières décisions de Roosevelt était de mettre de côté la libre fixation du prix de l’or comme indicateur d’un système monétaire défectueux en déclarant illégale la détention d’or par les citoyens américains. Les lois économiques limitèrent finalement cet effort, comme ce fut le cas au début des années 1970 quand notre Trésor et le FMI essayèrent de fixer le prix de l’or en en déversant des tonnes dans le marché pour refroidir l’enthousiasme de ceux qui cherchaient un abris sûr alors que le dollar chutait et que la possession d’or était à nouveau légalisée.
Même avec tous les défauts du système monétaire basé sur la confiance (« fiat monetary system »), l’influence du dollar prospérait. Les résultats semblaient bénéfiques, mais de grossières aberrations subsistaient. Et fidèles à leurs habitudes, les politiciens de Washington n’étaient préoccupés que par des solutions superflues, de la poudre aux yeux pour résoudre les problèmes alors qu’ils ne comprenaient pas les difficultés sous-jacentes.
Cela semble être un bon marché pour chacun, sauf que le temps viendra où nos dollars – de par leur dépréciation – seront reçus avec moins d’enthousiasme ou même rejetés par les pays étrangers. Cela peut inverser la donne et nous forcer à payer le prix pour vivre au dessus de nos moyens et de notre production. Le changement de perception par rapport au dollar a déjà commencé, mais le pire est à venir.
La demande artificielle pour notre dollar, couplée à notre puissance militaire, nous met en position de « dominer » le monde sans travail productif ou épargne, et sans limites à nos dépenses de consommation ou nos déficits. Le problème est que cela ne peut pas durer.
Greenspan, dans son premier discours après s’être retiré de la Fed, dit que les prix de l’or étaient élevés en raison de l’inquiétude au sujet du terrorisme et non pas en raison du système monétaire ou parce qu’il créa trop de dollar durant sa présidence. L’or doit être discrédité et le dollar propulsé. Même quand le dollar se fait sérieusement attaquer par les forces du marché, les banques centrales et le FMI font tout ce qui est concevable pour absorber les dollars dans l’espoir de restaurer la stabilité. Finalement ils vont échouer.
5. Axe du mal et pétrodollars.
Plus important, la relation dollar/pétrole doit être maintenue pour sauvegarder la prééminence du dollar. La moindre attaque contre cette relation sera énergiquement arrêtée, comme cela a déjà été fait.
Il est maintenant communément admis que la réaction immédiate de l’administration après le 11 septembre tournait autour de la question de savoir comment établir un lien entre Saddam Hussein et les attaques, pour justifier une invasion et le renversement de son gouvernement. Même sans aucun indice sur une telle connexion ou sur l’existence d’armes de destruction massive l’appui du public et des membres du Congrès était généré par le biais de la désinformation et une représentation fallacieuse des faits en vue de justifier la guerre.
Il n’y a pas eu de débat public sur le renversement de Saddam du fait de son attaque envers l’intégrité du dollar en tant que monnaie de réserve en voulant vendre le pétrole en euro. Beaucoup estiment que c’était la véritable raison de notre obsession concernant l’Irak. Je doute que ce soit la seule, mais cela a certainement joué un rôle significatif dans notre motivation à déclarer la guerre. En un court laps de temps après notre victoire militaire, toutes les ventes de pétrole irakien se réalisèrent en dollars. L’Euro était abandonné.
En 2001, l’ambassadeur vénézuélien en Russie évoqua du passage à l’Euro pour toutes leurs ventes de pétrole. En l’espace d’une année, il y eu une tentative de coup d’état contre Chavez, apparemment avec l’assistance de notre CIA.
A présent, une nouvelle tentative se profile contre notre système de pétrodollar. L’Iran, un autre membre de « l’axe du mal », a annoncé ses plans pour créer une bourse du pétrole au mois de mars de cette année. Devinez quoi, les ventes de pétrole y seront fixés en Euros, non pas en dollars.
La majorité des américains oublient comment nos politiques ont systématiquement et inutilement provoqué l’hostilité des Iranien les années passant. En 1953, la CIA participa au renversement d’un président démocratiquement élu, Mohammed Mossadeqh, et installa le Shah, autoritaire mais ami des Etats-Unis. Les Iranien s’en souvenaient encore quand les otages furent pris en 1979. Notre alliance avec Saddam Hussein lors de son invasion de l’Iran dans le début des années 1980 n’allait pas arranger les choses, et n’apporta objectivement pas grand-chose à notre relation avec Saddam. L’annonce de l’administration en 2001 que l’Iran faisait partie de l’axe du mal n’améliorait pas notre relation diplomatique entre nos deux pays. Des menaces récentes au sujet de la puissance nucléaire sont lancées tout en ignorant le fait qu’ils sont entourés de pays détenant l’arme atomique. Avec ce que la plupart des musulmans considèrent comme notre guerre contre l’Islam et cette récente histoire, il n’y a pas à s’étonner que l’Iran puisse choisir de heurter les USA en ébranlant le dollar. L’Iran, comme l’Irak, n’a pas de moyen de nous attaquer. Mais cela ne nous empêche pas de grimer Saddam Hussein en Hitler des temps moderne, prêt à s’emparer du monde. A présent, l’Iran, spécialement depuis qu’il a planifié de passer à l’euro pour son pétrole, a été l’objet d’une propagande de guerre similaire à celle qui éclata à l’encontre de l’Irak avant notre invasion.
Il est peu probable que le maintient de la suprématie du dollar fut le seul facteur déterminant la guerre en Irak, il en est de même pour l’Iran. Bien que les réelles raisons soient complexes, nous connaissons maintenant que les arguments donnés avant que la guerre débuta, tels l’existence d’armes de destruction massive et la connexion de Saddam au 11 septembre étaient faux. L’importance du dollar est évidente, mais elle ne réduit pas l’influence de plans distincts pensés précédemment par les néoconservateurs pour remanier le moyen orient. L’influence d’Israël tout comme celle des sionistes chrétiens, joua un rôle pour justifier cette guerre. La protection de « notre » approvisionnement en pétrole influença notre politique moyen orientale pendant des décennies.
Pour la plupart, les vraies victimes ne savent pas comment elles payent les factures. La permission de créer de la monnaie à partir du vent permet aux factures d’être payées par le biais de l’inflation des prix. Les citoyens américains, tout comme les citoyens du Japon, de Chine ou d’autres pays, souffrent de l’inflation des prix, qui représente la « taxe » qui paye les factures de notre aventure militaire. Et ce, juqu’à ce que l’escroquerie soit découverte, et que les producteurs étrangers décident de ne plus prendre de dollar ni d’en détenir pendant longtemps en paiement de leurs biens. Tout est fait pour éviter que l’escroquerie de notre système monétaire soit divulguée aux masses qui en souffrent. Si les marchés du pétrole remplacent le dollar par l’euro, cela restreindra notre capacité à créer la monnaie mondiale de manière illimitée.
C’est un bénéfice inestimable pour nous d’importer des biens de valeur et d’exporter des dollars qui se déprécient.
Les pays exportateurs sont devenus accro à nos achats dont dépend leur croissance économique. Cette dépendance les rend complices pour continuer l’escroquerie, et leur participation maintien la valeur du dollar artificiellement élevée. Si ce système était viable à long terme, les citoyens américains n’auraient jamais plus besoin de retravailler. Nous aussi nous pourrions apprécier le « pain et le cirque » comme les romains le faisaient, mais leur or s’épuisa finalement et l’impuissance de Rome à continuer le pillage des nations conquises mit fin à leur empire.
La même chose nous arrivera si nous ne changeons de cap. Bien que nous n’occupons pas de terres étrangères pour piller directement, nous avons néanmoins répandu nos troupes dans 130 pays à travers le monde. Notre effort intense pour déverser nos forces dans le Moyen orient riche en pétrole n’est pas une coïncidence. Mais contrairement aux vieux jours, nous n’affirmons pas notre droit de propriété direct sur les ressources naturelles ; - nous insistons juste sur le fait que nous puissions acheter ce que nous voulons en payant avec notre propre papier-monaie. N’importe quel pays qui conteste notre autorité le fait à grand risque.
Une nouvelle fois, le Congrès adhéra à la propagande de guerre contre l’Iran, exactement comme il le fit avec l’Irak. Les arguments sont maintenant apportés pour attaquer économiquement l’Iran, et militairement si nécessaire.
Mais les vrais menaces viennent d’adversaires politiques qui sont incapables de nous confronter militairement mais pourtant pas timide pour nous confronter économiquement. C’est pourquoi nous voyons que la nouvelle opposition de l’Iran est prise si sérieusement. L’urgence des arguments pour faire de l’Iran une menace militaire pour la sécurité des USA n’est pas plus plausible que les fausses accusations élevées à l’encontre de l’Irak. Pourtant il n’y a pas d’effort pour résister à cette marche vers la confrontation de la part de ceux qui offrirent une tribune pour les raisons politiques contre une guerre en Irak.
Il semble que le peuple et le Congrès sont facilement persuadés par le chauvinisme des promoteurs de la guerre préventive. Ce n’est qu’après le décompte du coût en vie humaine et en dollars que le peuple proteste contre un militarisme imprudent.
La loi économique selon laquelle un commerce honnête nécessite une monnaie fondée sur des choses disposant d’une réelle valeur ne peut pas être abrogée. Le chaos qui un jour résultera de notre expérience longue de 35 années de monnaie mondiale basée sur la confiance (« world fiat money ») nécessitera un retour à une monnaie ayant une réelle valeur. Nous saurons que ce jour approche quand les producteurs de pétrole demanderont de l’or, ou son équivalent, plutôt que des dollars ou des euros. Le plus tôt sera le mieux.
Ron Paul ; traduit par Maldoror.
47 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON