La fin de la navette spatiale 2) les essais préliminaires des briques volantes
La décision a été prise par Nixon le 5 janvier 1972, mais elle semble encore bien aventureuse. Pour l'instant, on ne sait pas grand chose du comportement de la navette lors de son retour, normalement, sous la forme d'un planeur démuni de toute propulsion. Enfin rien, pas tout à fait : depuis une dizaine d'années, d'obscurs casse-cous se sont acharnés à démontrer que c'était faisable, avec des moyens qui semblent très dérisoires au regard des sommes dépensées pour aller sur la Lune. Le premier des engins pour préparer la navette spatiale volera en effet dès le 12 Novembre 1962, et il possède la particularité d'avoir été construit... en contreplaqué. C'est le Los Angeles Times qui en parle le premier en évoquant une "baignoire volante" (Flying Bathtub) qui "pourrait aider les astronautes à rentrer". A voir l'engin, on se dit que ce n'est pas demain la veille qu'on n'y arrivera... et pourtant !
Milt Thompson (qui volera aussi sur le X-15 !), le fringuant pilote à côté de l'engin paraît bien confiant en sa monture. Qu'est-ce que cet engin sorti d'on ne sait où vient faire au milieu du lac salé, se dit-on à en voir l'allure assez ridicule. Et pourtant, sans lui, il n'y aurait jamais eu de navette spatiale ! A quoi tient l'astronautique, parfois ! L'idée en est venue un jour à un chercheur de la NASA, Dale Reed, à partir d'observations fort sagaces, faites chez lui, tout d'abord avec de petites maquettes, qui tirées par un fil accroché à un petit avion à moteur thermique, avaient une tendance naturelle à se stabiliser grâce à leur forme particulière, une sorte de tronc de cône plat sur le dessus. La propre femme de Reed réalisera de petits films 8mm pour immortaliser ses tous premiers essais de ce qu'on va très vite appeler des "corps porteurs" ou "lifting bodies". Pour les amis de la famille, ces engins sont vite surnommés "baignoires volantes", et le plus souvent "fers à repasser", tant leur forme en évoque un, retourné. L'avenir de l'astronautique passerait par cet engin ? Personne n'y croit. Et pourtant, c'est bien l'obstination de Dale Reed qui va finir par l'emporter ! Très viten dans la presse, des projets ressemblant à ceux de Dale vont apparaître : pour l'instant, les dessinateurs hésitent encore sur la bonne forme à donner aux appareils.
Un engin pour rentrer dans l'atmosphère comme un avion, ce sont les militaires qui y avaient pensé au départ. Avec un très beau projet, celui du X-20 Dyna Soar, sorte de mini-navette, déjà, lancée par une fusée Titan IIIC, l'une des plus puissantes chez les militaires, une idée sortie tout droit des cartons de Walter Dornberger, venu de la base de Peenemünde qu'il commandait via l'opération Paperclip... et ancien général de l'armée allemande "Chef du programme de développement des fusées de l'armée de terre du IIIème Reich"...fait prisonnier par les américains le 2 mai 1945 à Reutte en Autriche (dans le Tyrol), entré discrètement chez Bell en 1950. L'engin est tout de suite présenté comme une navette monoplace, rentrant dans l'atmosphère protégée par le même revêtement que le X-15 (comme lui il se pose sur des skis-sans roulette avant). Les études iront jusqu'à une maquette en bois d'évaluation, mais aussi des essais de maquettes lancées par fusée et ayant rentré dans l'atmosphère. On ira jusqu'à imaginer son cockpit, handicapé par une vision à l'avant bouchée pendant une partie du vol, par crainte d'un trop gros échauffement, seuls deux hublots sur les côtés sont prévus. L'engin a beau avoir fière allure, les crédits qu'il absorbent gonflent vite, et Robert Mc Namara doit trancher entre lui et Gemini et le projet MOL de station spatiale militaire. Le 10 décembre 1963, en pleine construction du premier prototype, les crédits alloués sont supprimés. Le projet à coûté 410 millions de dollars, et avec 373 millions de rallonge l'engin aurait pu voler dès 1966. Le projet MOL attendra 6 ans pour subir le même sort après avoir dévoré 1.5 milliard de dollars pour rien. McNamara est l'un des pires technocrates militaires qu'ait connu les Etats-Unis. Les cosmonautes sélectionnés se reconvertiront ... dans la navette spatiale, tels Bob Crippen, Bob Overmyer et Henry Hartsfield, Richard Truly et Gordon Fullerton.
Les essais du premier modèle de Dale, le M1-F1 seront assez épiques : pour faire décoller la baignoire de bois, les ingénieurs iront tout d'abord dégotter une énorme voiture décapotable,Pontiac, qu'ils "doperont" dans un garage spécialisé en "hot-rods" sur le lac salé, et qui s'efforcera de tirer l'engin au bout d'un long câble. Comme les talkies-wakies ne marchent pas et que la voiture n'a pas de radio, les techniciens communiqueront par... panneaux tenus à bout de bras : on est pas loin de scènes à la Tex-Avery. Puis on passera au remorquage par DC-3, et enfin par un atterrissage une fois largué aidé par le petit moteur fusée à bord... Milt Thompson réalisant toutes ces prouesses avec un calme olympien, mais dans un véritable sauna : rien n'a été prévu comme refroidissement à bord. Entre temps, l'équipe de Dale Reed continue ses essais de maquettes téléguidées, larguées par une maquette porteuse, finissant par en avoir toute une collection. Les essais du M1-F1 ayant démontré la validité du concept, la même équipe va reproposer le même engin, baptisé M2-F2, mais cette fois en aluminium et acier... prêt à être largué de beaucoup plus haut par un B-52, celui qui habituellement, largue le X-15. C'est maintenant qu'on va s'apercevoir que les pilotes de ces fers à repasser en avaient, des c.... : une fois largués, il n'avaient que quelques minutes pour rejoindre leur aire d'atterrissage, qu'ils abordaient beaucoup plus vite que les autres avions. Démunis de moteur, ou presque, ils n'avaient aucune chance de s'en sortir en cas de problème, à moins de s'éjecter. A bord, ça tanguait sec comme le montre cette ahurissante vidéo... il n'y aura qu'un seul accident, le 10 mai 1967, lors du 16 eme vol, mais il sera tellement spectaculaire qu'il deviendra sujet de présentation d'un feuilleton, "L'homme qui valait six millions de dollars". Le train était sorti trop tard, et l'appareil était parti en tonneaux. Dans le feuilleton, l'accidenté deviendra "L'homme bionique". En réalité, Bruce Peterson, le pilote ce jour là s'en sortit vivant, en perdant un oeil, touché mais infecté à l'hôpital par un staphylocoque. Contre toute attente, l'engin ne fut pas détruit mais reconstruit, pour devenir le... M2-F3. Le même, mais avec une dérive centrale en plus. Viendront ensuite d'autres modèles, dont un assez exceptionnel signé Northrop : le HL-10.
En même temps, trois fusées Atlas ont discrètement lancé trois maquettes de 400 kilos qui ont été récupérés en plein pacifique. C'est le projet ASV-3 "Asset" , qui fait partie du programme START (pour Spacecraft Technology and Advanced Reentry Test) rebaptisé X-23 « PRIME », pour Precision Recovery Including Maneuvering Entry » : les américains testent dessus des matériaux ablatifs en résine comme ceux des boucliers d'Apollo : à l'époque c'est ce qu'on projette d'apposer sur la future navette. Dans cette continuation, l'engin à la taille normale baptisé le X-24 (SV-5P), construit par Martin Marietta, et la deuxième partie du programme START, donc est achevé le le 24 août 1967. L'engin vole pour la première fois le 17 avril 1969, alors qu'on s'affaire autour des préparatifs du vol lunaire... l'histoire s'accélère. L'engin est propulsé par un XLR-11. L'engin a un fond plus plat que les modèles précédents et se comporte déjà mieux.
Plusieurs modèles furent testés, le plus beau étant sans conteste le HL-10 de Northrop, devenu image iconique des essais avec un pilote en nage saluant le B-52 porteur passant au-dessus de lui. L'engin était dangereux : il atterrissait à 410 km/h !!! Mais il battra deux records : un d'altitude et un de.... vitesse, atteint grâce à son moteur XLR-99, celui du X-1 vainqueur du son... et retrouvé au musée ! Chez les fous volants qui entouraient Dale, beaucoup étaient des bricoleurs de génie en fait ! Le HL-10, sans son moteur, tombait comme une brique ! L'engin était nettement plus stable, car son fond était plat, contrairement au précédent : en quatre années d'essai, on découvre que c'est le design inverse qu'il faut faire. Le X-24 de Martin-Marietta se comporte aussi très bien, mais les ingénieurs pensent qu'ils peuvent encore l'améliorer : dès juillet 1968, il avait fait la une de Popular Mechanics. C'est ainsi d'ailleurs que je découvrirai son existence, via l'édition française du magazine.
Les recherches contiuent alors que le programme Apollo s'achève : c'est Martin Marietta qui finit par trouver en 1972 la bonne configuration en découpant son modèle X-24 et en en changeant radicalement le design, en l'allongeant passablement et en lui assignant un fond totalement plat. Le tout rebâti au dessus de la coque d'origine : le bricolage continuait ! Le fer à repasser volant qui avait commencé sa carrière la tête en bas se retrouvait dans le sens normal ! Ce sera le meilleur de toute la série au point de vue comportement aérien. La NASA sait à quoi doit ressembler son futur planeur spatial, mais elle hésite encore sur son revêtement : acier au chrome comme pour le X-15, résine ablative (qui changerait l'aérodynamisme) ou une toute nouvelle matière qu'un ingénieur vient de mettre au point. En novembre 1973, il avait droit à la consécration en faisant la couverture de Popular Science. Martin songe alors à une version "C", qui ne sera jamais construite...
Jamais construite, mais qui reverra le jour de façon fort étonnante en 1999, soit exactement 30 ans après le premier vol du X-24A. La Nasa, qui espérait encore de l'élection présidentielle de 2000 pour pouvoir imposer ses vues, avait proposé l'idée d'une "chaloupe" spatiale de sauvetage pour les cosmonautes de l'ISS. Des ingénieurs avaient cogité depuis quatre années, jusqu'au jour où l'un d'entre eux, en faisant les calculs, s'aperçut que ce qu'ils cherchaient à faire, et à réaliser comme comportement spatial avait déjà été fait avec le X-24A et les calculs déjà à moitié faits avec la maquette de Martin du X-24C.Le projet, soutenu par l'Agence Spatiale Européenne fut appelé au départ X-35, qui devint le X-38, et qui reprenait trait pour trait les calculs de Dale. L'engin final ressemblait comme deux gouttes d'eau à l'ancien prototype, seul un gigantesque parachute, grand comme un terrain de football, lui assurait un atterrissage en douceur, sans avoir à l'équiper de roues mais de skis. L'engin était magnifique, et une maquette téléguidée, à l'échelle de 80% construite par les ateliers de Burt Rutan, cet autre génie, fut essayé à chaque fois avec succès, larguée d'un B-52. C'était de loin l'engin idéal pour la fonction. Dale Reed reçût l'honneur de poser à ses côtés, à la demande de ses concepteurs. Les crédits devaient être débloqués... lorsque G.W.Bush fût élu, et enterra aussitôt le projet le 29 avril 2002, alors que les travaux étaient déjà bien avancés sur le vaisseau final de 10 tonnes pour 9,1m de long. En cas de pépin, sur l'ISS... rien n'avait été prévu d'autre désormais que le vaisseau ravitailleur Soyouz...
Un bon résumé est ici (on y voir un extrait du film de la femme de Dale Reed ( à 1'03) à et on y explique la construction en bois du M1F1, ainsi que son essai derrière une voiture.
http://xplanes.free.fr/x24/m2f1/m2f1_07.jpg
Dale Reed est interviewé peu de temps avant son décès en mars 2005, ici, il explique à la NASA, peu de gens croyaient au début à son projet. On y voit la construction du premier engin, en bois et en tube d'acier ! Le captivant livre de Reed "Wingless Flight,The Lifting Bodies Story" est disponible intégralement ici sur le site de la NASA.
La saga est lisible ici. Notez le déploiement au dernier moment du train d'atterrissage, caractéristique également de la navette.
La propagande style hollywood des années 40, musique comprise, du X-24A est ici.
Un bon résumé ici aussi. Le X-24 B dernier du lot est visible ici. A remarquer son énorme "flap" arrière, dont la navette reprendra l'idée. Notez les bouts de ficelle pour capter l'écoulement de l'air ! Noter aussi que le F-104, pour l'accompagner en descente, est obligé de sortir son train.
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