Cette manne suscite la convoitise de nombreuses entreprises européennes du secteur, en particulier les spécialistes italiens. Profitant d’un secteur professionnel faiblement structuré, le marketing italien grignote des parts de marché, avec lui, les professions satellites telles que les constructeurs et distributeurs de matériel d’équipement et de produits transalpins. La pizza en tant que totem de la gastronomie italienne participe considérablement à cette réussite. De plus, les professionnels italiens, contrairement à leurs homologues français, surfent sur l’évènementiel et l’émotionnel en organisant des compétitions entre pizzaiolos et des shows de pizza acrobatique. Appuyés par des lobbies « up to date » et une stratégie combative, l’école italienne séduit les grands médias de masse, les quotidiens régionaux, et les rédactions de revue professionnelle qui participent alors à l’accroissement continu de leur visibilité.
Pour contrer cette offensive économique et culturelle, des artisans pizzaiolos français se sont réuni en syndicat. L’association pour la Promotion de l’Ecole française de Pizza, (Apep France) ambitionne de valoriser le métier de pizzaiolo auprès des pouvoirs publics, améliorer l’image de la pizza auprès des professionnels de la santé, et transmettre les valeurs de transculturalité, de symbole de réussite et d’adaptation, de convivialité, de culture populaire et d’anti-conformisme propres à la pizza.
En effet, le secteur de la pizza, malgré ses performances, fait figure de parent pauvre de la restauration, et demeure quasiment exclus des commissions et des institutions paritaires, alors qu’à partir de Marseille, capitale française de la pizza, nous consommons ce plat depuis la fin du XIXème siècle, tandis qu’il ne s’imposera dans le nord de l’Italie seulement à la fin des années soixante.
Sans nier l’origine napolitaine de la pizza moderne, l’APEP estime que la pizza n’est ni une invention napolitaine, ni un plat national italien. Elle trouve ses racines profondes des civilisations méditerranéennes. En 800 av. J-C, les Etrusques faisaient des fouaces, l’ancêtre de la pizza, qu’ils consommaient avec différentes garnitures. Plus tard, les Grecs ont, les premiers, garnis leurs fouaces, nommées "Planctunos", avant la cuisson et non après.
Surtout, pendant des décennies, l’Italie a dénigré la spécialité napolitaine, la considérant comme un plat de la plèbe indigne de figurer dans ses livres de cuisine. Devant le succès mondial de la pizza, l’Italie tente aujourd’hui de se réapproprier la spécialité napolitaine. Mais cette pizza n’est plus la leur car, au fil des siècles, elle s’est totalement affranchie. C’est donc bien la pizza napolitaine qui s’est exportée lors des grandes migrations du XIXème siècle, en particulier à Marseille et New York, mais ce n’est pas la pizza napolitaine qui a réussi sa mondialisation. La grande réussite de la pizza est d’avoir toujours été un met de culture locale réalisé par le pizzaiolo ou l’habitant avec les produits qu’il a sous la main, les produits du terroir, et de se décliner constamment sous les traits du mélange des cuisines, des couleurs, des pratiques, et des cultures sans perdre son identité de plat populaire, mais sans s’imposer pour autant. Ces valeurs font de la pizza un plat hypermoderne et un met mondial appartenant à personne que chaque région du monde réalise selon ses habitudes alimentaires.
En France, Marseille a élevé la pizza en référence culinaire en l’adaptant au code du goût méditerranéen, en lui imprégnant sa marque et son savoir-faire. Il est important de souligner que le concept du camion- pizza cuite au feu de bois a été inventé à Marseille, là où la pizza, jusqu’alors honnie, est entrée pour la première fois dans les livres d’une cuisine prestigieuse : la cuisine méditerranéenne française.
Quelle différence entre la pizza française et la pizza napolitaine ?
La différence essentielle tient aux propriétés des farines utilisées. Les Italiens travaillent avec des farines très fortes qui produisent une pâte très résistante aux manipulations du pizzaiolo. La pâte à pizza traditionnelle italienne reste inerte aux effets de la fermentation. Or, c’est la fermentation qui apporte le gout et la flaveur. Ainsi, les farines italiennes génèrent des pizzas à la mie très blanche, et assez insipides faute d’une fermentation suffisante. L’autre différence tient à l’aspect des pizzas napolitaines. Elles présentent des bords très développés, pauvres en garniture, et très boursouflées, ce que le consommateur français n’apprécie pas dans une large proportion.
Quoiqu’il en soit, selon les artisans réunis au sein de l’APEP, on ne valorisera pas le métier de pizzaiolo en cherchant à imiter l’artisanat napolitain. Au contraire, il est indispensable de mettre en avant le savoir faire unique que nous avons développés depuis des décennies.
La pizza comme archétype du phénomène malbouffe
Autre injustice qu’il convient de dénoncer : l’image déplorable de la pizza comme archétype du phénomène malbouffe. En réalité, nous sommes en train de faire à la pizza le procès qu’on a fait pendant trente au pain avant de s’apercevoir qu’on s’était trompé de cible. Les professionnels de la santé assimilent « la Pizza Pan » américaine surchargées en lipides et glucides avec une pizza française digne de ce nom. Les Etats-Unis, habitués à l’uniformisation, cherchent depuis des années à exploiter le créneau identitaire de la pizza afin de favoriser l’adhésion de la planète à leur conception de la mondialisation. Dans les Ateliers de la Pizza - destinés au grand public en général, et aux enfants en particulier - l’APEP a élaboré des programmes avec des nutritionnistes construis autour de l’apprentissage du gout et l’éducation des saveurs dans un esprit créatif et ludique, tout en abordant les questions liées à l’équilibre alimentaire en démontrant qu’il était possible de faire un repas équilibré en consommant de la pizza.
Loin de représenter le symbole de la société productiviste occidentale ; la pizza est, avant tout, un plat naturel. Elle est un fruit de la panification qui accompagne le quotidien de l’Homme depuis des millénaires. Elle s’apparente, ainsi, à une nourriture anticonformiste attachée à son passé lointain. Certes, la pizza n’est pas sérieuse, mais elle nourrit authentiquement, et les passerelles qu’elle jette entre les identités culturelles et les disciplines en font un met authentiquement moderne.Ainsi, lorsque le pizzaiolo est devant son four à bois, tous les regards de la salle convergent vers lui, il est le centre d’intérêt de la pizzeria. A ce moment précis, le pizzaiolo est à la fois artiste et artisan.
Pour promouvoir son message, l’APEP édite des affiches, et participe à des projets dans le domaine de la formation professionnelle au métier de pizzaiolo. Depuis plusieurs mois, l’APEP œuvre pour convaincre la ville de Marseille et ses élus de s’associer au projet d’une Grande Fête de la Pizza qui se déroulerait au Parc Chanot. Dès le printemps prochain, notre association présentera des candidats aux élections aux Chambre de Métiers et appellent tous les artisans pizzaiolos désireux de saisir cette opportunité à s’associer à cette initiative pour présenter leur candidature grâce aux soutiens techniques et financiers de notre syndicat.
Quant à la fête de la Pizza, elle sera à la fois un salon professionnel très attendu par la profession, et une kermesse de la convivialité, de la culture populaire et de la transculturalité au cours de laquelle sera accueilli le Championnat de France de la Pizza, une tentative de record du monde, et de multiples pavillons à caractère pédagogique. En réalité, cette fête donnerait à Marseille et aux partenaires de ce projet ambitieux l’occasion de surfer sur l’image hyper moderne de la pizza en s’appropriant intelligemment ses symboles afin de rassembler le plus grand nombre autour de son message, de son image et de ses projets.
Une fête populaire et un rendez-vous professionnel qui pourraient devenir une véritable institution dans notre ville, un juste retour des choses pour Marseille, capitale de la pizza française depuis plus de 100 ans.