Voici un texte que j’écrivais en préambule d’un de mes livres (Définitions et autres commentaires), il y a deux ans. Rien n’a hélas changé, les mots sont les mêmes. Depuis je vis ailleurs, moi aussi j’ai décidé de quitter ce pays que j’aimais tant. En fait c’est ce pays qui m’a rejeté, comme il a rejeté tellement de ses séniors qui avaient pourtant tant à lui donner.
J’ai 55 ans et je vis au pays des Droits de l’Homme, de l’Egalité, de la Fraternité et de la Liberté. Ce pays s’appelle la France. C’est un vieux pays, vieux en ce sens qu’il a une histoire de plusieurs millénaires, qu’il a connu les invasions, les guerres, les famines, l’inquisition, les révolutions. Mais aussi la Renaissance, François I, Louis XI, Louis XIV, le Siècle des Lumières, Pascal, Rousseau, Diderot, Pierre et Marie Curie, Voltaire, Pasteur, Victor Hugo, Napoléon Bonaparte, Clémenceau, Gambetta, Robespierre, Jaurès, Eiffel, Sartre, Charles de Gaulle, et tellement d’autres encore. La France s’est construite avec et par ses hommes, ses idées et le temps. Le patrimoine, le passé culturel de la France sont immenses. La France a été longtemps un phare de la pensée, un guide spirituel et religieux. Sa langue était celle de la diplomatie mondiale. On venait à Paris pour faire ses humanités.
La France est une démocratie, c’est-à-dire que son peuple gouverne au travers de représentants élus. La France est le pays de naissance de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, et à ce titre jouit d’une notoriété morale internationale.
Mais l’Histoire passe, comme le reste, les réputations s’étiolent avant d’être carrément usurpées, la notoriété s’estompe avant de disparaître. La France moderne, celle d’après Mai 68, sombre. Ce vieux pays est devenu un pays vieux, malade, mourant. La France d’aujourd’hui n’a plus de Grandeur que dans ses souvenirs. Elle a laissé passer le train de la rénovation, des réformes, pour s’inscrire dans la mondialisation inévitable. Elle est restée vieille, sclérosée, percluse d’archaïsmes, elle a refusé d’évoluer. Tant et si bien qu’aujourd’hui la France se paupérise de plus en plus, que sa société se fracture et que les haines grandissent. Son peuple se sent floué, trompé, trahi par ses représentants qui n’ont pas su prévoir, qui n’ont pas eu, surtout, le courage de faire les adaptations nécessaires quand il était encore temps. La France est devenue un pays qui empêche ses jeunes de travailler, qui met en quarantaine les plus de quarante ans et qui considère ses séniors comme un coût plutôt qu’un apport d’expérience. Ce pays n’est pas digne.
Les causes du déclin sont multiples. Refus de nos politiques de voir la réalité, inadaptation des modèles, archaïsme des indicateurs, vision à court terme, incapacité à prévoir, égoïsmes, lâchetés, laxismes, incompétences...la liste est longue. De la Recherche en panne, de l’Administration étouffante, des Universités délabrées aux services publics bloqués, bloquants et obsolètes, en passant par une dette colossale et paralysante, un chômage de masse et une démotivation généralisée des français, la France s’enfonce chaque jour d’avantage. Et en accuse bien sûr les autres. Car la caste soixante-huitarde, la Nomenklatura des grandes écoles, qui a pris le pouvoir politique, celui de l’argent, des idées, des médias, ne sait pas s’autocritiquer. La panne de la croissance, c’est la faute des américains. La panne de nos exportations c’est la faute de l’Euro. C’est toujours la faute des autres, jamais la nôtre : chacun sait que nous avons toujours eu les meilleurs gouvernants, les plus prévoyants, les plus intelligents. La preuve, on a même crée l’école nationale d’administration, l’ENA, pour les former. On a même eu longtemps un commissariat au plan qui devait planifier le futur, prévoir les besoins en infrastructures routières, hospitalières, universitaires etc... Pendant que les autres pays agissaient nous on causait, on créait des commissions qui faisaient des rapports que personne ne lisait. On s’était dit qu’il fallait décentraliser, donner aux régions, aux départements, les moyens de réfléchir et d’agir sur leur propre futur. On a donc créé des structures supplémentaires, embauché pléthore de personnels, empilé de nouvelles taxes pour les financer et construit des hôtels de région ou de département pharaoniques, à la hauteur de la mégalomanie de leurs potentats. On en est ainsi arrivés à avoir à la fois le plus fort taux de prélèvements et la dette la plus importante par tête d’habitant au monde, ce qui nous enlise, nous paralyse. Et le pire c’est que depuis cinquante ans c’est le contraire de ce qui était recherché qui s’est produit, tout est resté centralisé à Paris comme du temps de Colbert, rien n’a évolué dans le bon sens. Tous les sièges sociaux des grandes entreprises sont encore à Paris, tous les cadres supérieurs sont encore à Paris, tous les centres décisionnaires sont encore à Paris, tous les gouvernants sont à Paris, tout l’argent du pays est à Paris, toutes les grandes écoles sont à Paris, tous les sièges des médias sont à Paris. Bref, la France se réduit à l’île de France. Tout se fait à Paris. Et comme au début du siècle il fallait monter à Paris pour faire fortune ou carrière, aujourd’hui il faut être à Paris pour exister, travailler, se faire entendre. Ce centralisme exacerbé n’existe pas que dans les affaires, les médias, la culture, le pouvoir, il existe aussi dans les cœurs, la pensée, l’esprit. Le pouvoir central est par définition centralisateur. Une classe issue des beaux quartiers parisiens, des mêmes écoles, véritable nomenklatura s’est emparée des médias, du show biz, de l’argent, du pouvoir. Et ce sont ses enfants qui lui succèdent, les accès sont quasiment fermés. On est acteur de père en fils, chef d’entreprise de père en fils. Sur les dix plus grandes fortunes françaises, six sont des héritages, les autres le doivent à leur accointances politiques. La France étouffe de ses réseaux, de ses passes droits, de son piston. La conséquence de ce sectarisme est que ceux qui refusent de vivre dans ce qu’est devenu ce pays, s’en vont. Les jeunes, ceux qui entreprennent, l’argent, les cerveaux, tout s’en va, la France se vide, ce qui amplifie encore chaque jour d’avantage sa paupérisation, sa marginalisation sur la scène internationale. Et pour boire le calice jusqu’à la lie, sous prétexte de rentabilisation, de rajeunissement, la France a exclu du monde du travail les deux tiers de ses cinquantenaires, se privant ainsi dramatiquement d’expériences et de compétences indispensables. Elle a ainsi réduit la durée d’employabilité à 25 ans au mieux, tout en obligeant les gens à travailler et cotiser plus de 40 ans pour commencer seulement à toucher une maigre retraite, objectif irréalisable pour la grande majorité d’entre nous.
Alors, que dire, que faire surtout ? Le constat est fait, les multiples rapports des multiples commissions, spécialités bien françaises, sont dans les tiroirs et attendent d’être lus, voire appliqués. « Un problème, une commission, un rapport, un tiroir », ce vieux constat n’a plus de raison d’être. On connaît les causes et les remèdes, on peut s’inspirer de ce qui se fait de mieux dans d’autres pays. Il ne manque que la volonté et surtout le courage de remettre à plat les modèles, les institutions. Ce qui suppose d’aller contre les « baronnies » installées à tous les niveaux de la société, et qui engraissent sur son dos. Des syndicats à l’administration en passant par les régimes spéciaux de retraites, l’enseignement, la réindustrialisation, la vraie décentralisation, la recherche, l’aménagement du territoire, les régimes fonciers, les banques, la fonction publique, les lois inappliquées ou inapplicables...La liste n’est pas close. Il faut réformer la France dans tous les domaines, penser autrement, avoir une vision de son avenir, et surtout le courage de mettre les réformes en œuvre. Mais pour cela il faut commencer par changer les hommes qui ont été responsables, par leur aveuglement et leur égoïsme, de cet état dans lequel la France et son peuple se trouvent. Malheureusement, une fois encore, nous n’en prenons pas le chemin. Notre rendez-vous avec l’Histoire risque fort d’être encore manqué. Car, pour l’instant, nous n’avons fait que « reprendre les mêmes et recommencer ».
J’ai voulu apporter ici modestement ma vision des choses. Mais il y a comme pour tout acte humain une motivation bien sûr. Cette vieille France, au sens le plus noble, celle de mon enfance, une époque pourtant pas si lointaine où l’on respectait les valeurs, où les enfants respectaient leurs parents et leurs professeurs, où l’avenir était ouvert pour celui qui voulait, où l’on s’aimait les uns les autres, où l’on ne connaissait pas les mots chômage, SIDA, émeutes, racisme, RMI, terrorisme, SDF, dette abyssale, indifférence, passe-droits… Etc... Cette France là n’existe plus.
Elle a été remplacée par un monstre froid et anonyme. Et ce monstre m’a tué comme il a tué ma génération, celle de mes enfants et qu’il est déjà en train de dévorer nos petits enfants.